Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Futures Energies Investissements a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 20 décembre 2012 par lesquels le préfet des Ardennes a refusé de lui accorder des permis de construire huit éoliennes sur le territoire des communes de Saint-Clément-à-Arnes, Saint-Pierre-à-Arnes et Saint Etienne-à-Arnes.
Par un jugement n° 1301038 du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 janvier 2015, la société Futures Energies Investissements, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1301038 du 4 novembre 2014 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet des Ardennes du 20 décembre 2012, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes de lui délivrer les permis de construire sollicités dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, subsidiairement, de prendre une nouvelle décision, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que le préfet était tenu par l'avis défavorable du ministre des armées et une erreur de fait concernant l'existence d'un radar à Gratreuil ;
- les arrêtés litigieux ne sont pas suffisamment motivés ;
- le préfet s'est cru à tort lié par les avis du ministre de la défense et du service départemental de l'architecture ;
- l'avis émis par le ministre de la défense, entaché d'une erreur de fait, est irrégulier ;
- le projet ne méconnait pas l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- le projet ne méconnait pas l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 mai 2015, le ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code des postes et des télécommunications électroniques ;
- le code des transports ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me Paitier, avocat de la société Futures Energies Investissements.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 juillet 2011, la société Futures Energies Investissements (anciennement Eole génération) a déposé une demande de permis de construire huit éoliennes et trois postes de livraison électrique sur le territoire des communes de Saint-Clément-à-Arnes, Saint-Pierre-à-Arnes et Saint-Etienne-à-Arnes, le tout constituant le projet " Le Mont de la Grévière " dans les Ardennes. La société Futures Energies Investissements relève appel du jugement du 4 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés du 20 décembre 2012 par lesquels le préfet des Ardennes a refusé de lui délivrer les permis de construire sollicités pour ce projet.
Sur la régularité du jugement :
2. La société Futures Energies Investissements soutient que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en considérant que le préfet était en situation de compétence liée et une erreur de fait en estimant qu'il y avait un radar à Gratreuil. De telles erreurs, à les supposer établies, ne constituent pas une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement par le juge d'appel saisi de moyens en ce sens. Il appartient seulement à ce dernier d'examiner ces moyens dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel qui est résulté de l'introduction de la requête.
Sur la légalité des refus de permis de construire du 20 décembre 2012 :
3. Les arrêtés litigieux sont motivés, d'une part, au visa de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, par le danger que les éoliennes représentent pour le fonctionnement du radar de l'armée établi à Gratreuil et, d'autre part, au visa de l'article R. 111-21 du même code, par l'atteinte portée aux paysages de la Champagne crayeuse.
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
5. Le préfet a fondé ses refus de permis de construire sur le fait que le parc éolien, établi dans la zone de 5 à 20 km autour du radar de la défense de Gratreuil, risquait de perturber le fonctionnement de celui-ci et que, dans cette " zone de protection ", toute construction d'aérogénérateurs était interdite au dessus d'une altitude de 205 mètres NGF. La société Futures Energies Investissements, se référant à l'étude d'impact réalisée en avril 2012 et jointe au dossier de demande, fait valoir que si, à la suite de l'arrêt de l'activité de la base aérienne 112 de Reims-Bétheny, la défense nationale avait exploré la possibilité de déplacer le radar qui y était installé à Gratreuil au nord du camp de Suippes, cette possibilité n'avait en définitive pas été retenue. Ainsi, alors même que le ministre de la défense avait émis le 23 février 2012 un avis défavorable au projet au motif qu'il était susceptible de perturber le fonctionnement du radar de Gratreuil, il ne ressort d'aucun élément au dossier que ce radar fonctionnait à la date des décisions litigieuses et que le projet était susceptible de perturber son fonctionnement et ainsi de créer un risque pour la sécurité publique. Le ministre de la défense a d'ailleurs indiqué, dès le 27 juin 2013, que le projet " se situe désormais en dehors de toute zone grevée de servitudes radioélectriques gérées par le ministère et n'est plus de nature à remettre en cause la mission des forces ". Si le ministre défendeur soutient que l'existence au dossier de l'avis défavorable, précité, du ministre de la défense l'obligeait à refuser le projet, il est constant qu'un avis défavorable du ministre de la défense ne saurait lier l'autorité chargée de délivrer le permis de construire que si cet avis est lui même régulier et concerne les servitudes aéronautiques visées par les dispositions des articles L. 6353-2 du code des transports et R. 244-1 du code de l'aviation civile et non, comme en l'espèce, des servitudes radioélectriques instituées au-delà des prescriptions du code des postes et télécommunications électroniques par une circulaire interministérielle.
6. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que le préfet n'a pu sans erreur d'appréciation retenir le motif tiré de l'atteinte à la sécurité publique pour refuser les permis de construire litigieux.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".
8. Il résulte de ces dispositions que lorsque les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, le préfet peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
9. Le préfet des Ardennes a estimé que le projet " se situe dans le paysage de la Champagne crayeuse, site ouvert qui présente des visions profondes et dégagées sur les nombreux parcs à venir " et qu'il " propose une implantation contraire à la cohérence générale des projets accordés, engendrant une organisation du paysage non qualitative et destructurée ".
10. Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, qui longe la vallée de l'Arnes, se situe sur l'un des points les plus hauts de l'aire rapprochée, le Mont de Grévière qui culmine à 174 mètres d'altitude, mais n'affecte aucun site remarquable ou élément patrimonial classé ou inscrit. Le projet s'inscrit au milieu de grandes parcelles de cultures intensives, pauvres en biodiversité, à proximité, comme le soulignent les arrêtés litigieux, de nombreux autres parcs éoliens. Alors même que ce paysage " ouvert et coloré " n'est pas dénué de tout intérêt et que l'implantation du projet ne serait pas en cohérence avec celle des parcs préexistants ou conduirait à un effet de saturation, le préfet des Ardennes n'a pu, sans erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, refuser le projet litigieux au motif de l'atteinte portée au paysages et aux sites.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir qu'aucun des deux motifs retenus par le préfet pour rejeter sa demande n'est fondé et à demander en conséquence l'annulation des arrêtés de refus de permis de construire litigieux. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens soulevés par la société Futures Energies Investissement, tirés de l'insuffisante motivation des arrêtés litigieux et de l'erreur de droit qu'aurait commise le préfet dans l'appréciation de sa compétence, n'est, en l'état du dossier soumis à la cour, susceptible d'entraîner l'annulation des arrêtés litigieux.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Futures Energies Investissement est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés de refus de permis de construire du 20 décembre 2012.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
14. Dans les circonstances de l'espèce, le présent arrêt implique seulement que le préfet des Ardennes statue sur les demandes de permis de construire litigieuses, au vu du dernier avis du ministre de la défense. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à la société Futures Energies Investissements de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour sa requête.
D É C I D E :
Article 1er: Le jugement du 4 novembre 2014 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et les arrêtés du 20 décembre 2012 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Ardennes de statuer sur les demandes de permis de construire dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à la société Futures Energies Investissements une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Futures Energies Investissement et au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.
Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.
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