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09/04/2015 | FRANCE | N°14NC00805

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 09 avril 2015, 14NC00805


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices et d'enjoindre au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices.

Par un jugement n° 1302278 du 12 mars 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête,

enregistrée le 6 mai 2014, M. C..., représenté par la société d'avocats Teissonnière - Topaloff -...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices et d'enjoindre au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices.

Par un jugement n° 1302278 du 12 mars 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mai 2014, M. C..., représenté par la société d'avocats Teissonnière - Topaloff - Lafforgue - Andreu associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 mars 2014 ;

2°) d'annuler la décision du 19 décembre 2013 ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense de procéder à l'évaluation de ses préjudices dans les conditions prévues par l'article 7 du décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat, ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il justifie des conditions prévues par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, lui permettant de bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie dont il est atteint à l'exposition aux rayonnements ionisants induits par les essais nucléaires français ;

- le ministre de la défense n'établit pas, au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition aux rayonnements, que le risque attribuable aux essais nucléaires serait négligeable.

Par une ordonnance du 24 novembre 2014, la clôture d'instruction a été fixée au 24 décembre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2014, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Le ministre de la défense fait valoir que, dans la survenue de la maladie dont est atteint le requérant, le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable, permettant ainsi de renverser la présomption de causalité instaurée par la loi du 5 janvier 2010.

Par une ordonnance en date du 10 février 2015, la clôture d'instruction a été reportée au 27 février 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour M.C....

1. Considérant que M.C..., atteint d'une leucémie diagnostiquée en 1998, a présenté le 15 décembre 2010 une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, par une décision implicite, à laquelle s'est substituée une décision expresse le 19 décembre 2013, le ministre de la défense a rejeté cette demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. C...pouvait être considéré comme négligeable ; que ce dernier fait appel du jugement du 12 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 19 décembre 2013 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) / Les ayants droit des personnes visées à l'article 1er décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le comité d'indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation. / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. / Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. / Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d'autres fins que cette dernière (...) / III. - Dans les quatre mois suivant l'enregistrement de la demande, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de lui donner. Ce délai peut être porté à six mois lorsque le comité recourt à des expertises médicales. Dans un délai de deux mois, le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. Il joint la recommandation du comité à la notification (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, alors applicable : " La liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret. " ; que la leucémie figure sur cette liste ; qu'aux termes de l'article 2 du même décret : " (...) Les zones de l'atoll de Hao mentionnées au 3° du même article recouvrent l'ensemble de cet atoll (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 de ce décret : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant que le législateur a instauré une présomption de causalité au bénéfice de toute personne s'estimant victime des rayonnements ionisants provoqués par les essais nucléaires français dès lors qu'elle justifie souffrir d'une maladie inscrite sur la liste fixée par le décret du 11 juin 2010 et avoir séjourné dans l'une des zones géographiques et au cours d'une période, déterminées par la loi du 5 janvier 2010 ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit ces conditions, la présomption peut être écartée lorsqu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants, le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.C..., appelé du contingent, a été affecté au centre d'expérimentation du Pacifique, sur l'atoll de Hao en Polynésie française, du 15 avril 1967 au 1er mars 1968, pour y exercer les fonctions de responsable de cafétéria ; qu'il n'est pas contesté qu'il a ainsi séjourné dans un lieu et durant une période fixés par les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il est également constant qu'il est atteint d'une leucémie, pathologie figurant sur la liste des maladies annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, toutefois, dans sa recommandation émise le 24 avril 2013, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a relevé que la maladie de M. C... a été diagnostiquée en 1998, soit trente-et-un ans après son départ du centre d'expérimentation du Pacifique et que, eu égard à son niveau d'exposition aux rayonnements ionisants lors de sa présence en Polynésie française, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique, d'une relation de causalité entre cette exposition et ladite maladie était très inférieure à 1 % ; que le ministre de la défense a estimé, au vu de cette recommandation, que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenue de la maladie du requérant était négligeable ;

5. Considérant, en premier lieu, que, conformément à l'article 7 du décret du 11 juin 2010, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires s'appuie, pour apprécier le caractère négligeable ou non du risque attribuable, sur les méthodes recommandées par l'agence internationale de l'énergie atomique prenant en compte le niveau d'exposition de l'intéressé aux rayonnements ionisants, l'âge atteint par celui-ci au moment de l'exposition et de l'apparition de la maladie, son sexe, ainsi que les circonstances précises de son exposition ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte ni des termes de la loi du 5 janvier 2010, ni des débats parlementaires que le législateur ait entendu exclure le niveau d'exposition pour l'appréciation du caractère négligeable ou non du risque attribuable aux essais nucléaires ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, pendant toute la durée de son service militaire au centre d'expérimentation du Pacifique, M. C...a exercé les seules fonctions de responsable de cafétéria sur la base de Hao, située à 460 kilomètres de l'atoll de Mururoa où étaient réalisés les essais nucléaires atmosphériques ; qu'il n'est pas établi que les trois essais réalisés au cours du service militaire du requérant auraient entrainé des retombées significatives sur l'atoll de Hao, provoquant la contamination de la base ; que le ministre fait valoir sans être utilement contredit que, de par ses fonctions, le requérant n'avait pas vocation à accéder aux zones de la base de Hao dédiées aux opérations de décontamination des avions utilisés pour les expérimentations nucléaires ; que M. C... ne conteste pas les conditions dans lesquelles le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a pris en compte, dans son analyse, la nature de sa maladie et son âge au moment de l'exposition aux rayonnements et du diagnostic de cette maladie ; que, par suite, en se fondant sur ces éléments et en tenant compte des conditions dans lesquelles M. C... a pu se trouver exposé aux rayonnements ionisants, alors même que celui-ci n'a fait l'objet d'aucune mesure particulière de surveillance permettant de mesurer son niveau d'irradiation pendant son service militaire, le comité d'indemnisation, puis le ministre de la défense qui a suivi sa recommandation, ont pu estimer, sans commettre d'erreur d'appréciation, que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenue de la maladie était négligeable ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction, ne peuvent qu'être rejetées ; que la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être également rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de la défense.

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N° 14NC00805


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14NC00805
Date de la décision : 09/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2015-04-09;14nc00805 ?
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