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09/04/2015 | FRANCE | N°14NC00463

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 09 avril 2015, 14NC00463


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C...épouse B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler la décision du 17 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis par M. A...B..., son époux décédé et d'enjoindre au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices.

Par un jugement n° 1201366 du 22 janvier 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.r>
Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mars 2014, Mme B..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C...épouse B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler la décision du 17 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis par M. A...B..., son époux décédé et d'enjoindre au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices.

Par un jugement n° 1201366 du 22 janvier 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 mars 2014, Mme B..., représentée par la société d'avocats Teissonnière - Topaloff - Lafforgue - Andreu associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 janvier 2014 ;

2°) d'annuler la décision du 17 février 2012 ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense de procéder à l'évaluation des préjudices subis par M.B..., dans les conditions prévues par l'article 7 du décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre les dépens à la charge de l'Etat, ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie des conditions prévues par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, lui permettant de bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie dont son époux est décédé à l'exposition aux rayonnements ionisants induits par les essais nucléaires français ;

- le ministre de la défense n'établit pas, au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition de la victime aux rayonnements, que le risque attribuable aux essais nucléaires serait négligeable.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 16 septembre 2014 et 26 février 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Le ministre de la défense fait valoir que, dans la survenue de la maladie dont est décédé l'époux de la requérante, le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable, permettant ainsi de renverser la présomption de causalité instaurée par la loi du 5 janvier 2010.

Par une ordonnance en date du 10 février 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., pour MmeB....

1. Considérant que Mme B...a présenté le 8 novembre 2010 une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, en qualité d'ayant-droit de son époux, M. A...B..., décédé d'un cancer du foie le 9 février 1990 ; que, par une décision du 17 février 2012, le ministre de la défense a rejeté cette demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. B...pouvait être considéré comme négligeable ; que Mme B...fait appel du jugement du 22 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 17 février 2012 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense d'évaluer l'étendue de ces mêmes préjudices ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ;/ 3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ; " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) / Les ayants droit des personnes visées à l'article 1er décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le comité d'indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation. / II. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. / Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. / Il peut requérir de tout service de l'Etat, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d'autres fins que cette dernière (...) / III. - Dans les quatre mois suivant l'enregistrement de la demande, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de lui donner. Ce délai peut être porté à six mois lorsque le comité recourt à des expertises médicales. Dans un délai de deux mois, le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. Il joint la recommandation du comité à la notification (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, alors applicable : " La liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret. " ; que le cancer du foie figure sur cette liste ; qu'aux termes de l'article 7 de ce décret : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant que le législateur a instauré une présomption de causalité au bénéfice de toute personne s'estimant victime des rayonnements ionisants provoqués par les essais nucléaires français, dès lors qu'elle justifie souffrir d'une maladie inscrite sur la liste fixée par le décret du 11 juin 2010 et avoir séjourné dans l'une des zones géographiques et au cours d'une période déterminées par la loi du 5 janvier 2010 ; que, toutefois, alors même que le demandeur remplit ces conditions, la présomption peut être écartée lorsqu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants, le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., employé de la société CGEE Alsthom, a séjourné pour raisons professionnelles sur l'atoll de Hao en Polynésie française du 1er septembre 1966 au 11 octobre 1966, du 27 mai 1967 au 3 novembre 1967 et du 1er décembre 1967 au 3 octobre 1968, puis sur l'atoll de Mururoa du 1er juin au 30 juin 1971 et du 5 janvier 1972 au 26 avril 1972 ; qu'il a en outre exercé ses fonctions à bord du bâtiment de la marine nationale Maine du 3 novembre au 1er décembre 1967, alors que ce navire se trouvait dans les eaux polynésiennes ; qu'il n'est pas contesté qu'il a ainsi séjourné dans un lieu et durant une période fixés par les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il est également constant qu'il a été atteint d'un cancer du foie et qu'il a ainsi souffert de l'une des pathologies figurant sur la liste des maladies annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, toutefois, dans sa recommandation émise le 22 novembre 2011, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a relevé que la maladie de M. B... a été diagnostiquée en 1989, dix-huit années après sa participation aux essais nucléaires français et que, eu égard au niveau de l'exposition de ce dernier aux rayonnements ionisants lors de sa présence en Polynésie française, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique, d'une relation de causalité entre cette exposition et ladite maladie était très inférieure à 1 % ; que le ministre de la défense a estimé, au vu de cette recommandation, que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenue de la maladie de M. B...était négligeable ;

5. Considérant, en premier lieu, que, conformément à l'article 7 du décret du 11 juin 2010, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires s'appuie, pour apprécier le caractère négligeable ou non du risque attribuable, sur les méthodes recommandées par l'agence internationale de l'énergie atomique prenant en compte le niveau d'exposition de l'intéressé aux rayonnements ionisants, l'âge atteint par celui-ci au moment de l'exposition et de l'apparition de la maladie, son sexe, ainsi que les circonstances précises de son exposition ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte ni des termes de la loi du 5 janvier 2010, ni des débats parlementaires que le législateur ait entendu exclure le niveau d'exposition pour l'appréciation du caractère négligeable ou non du risque attribuable aux essais nucléaires ;

6. Considérant, en second lieu, que si onze essais nucléaires ont été réalisés au cours des années 1966, 1967 et 1968 en Polynésie française, il ressort des pièces du dossier que M. B...résidait alors sur l'atoll de Hao, situé à 460 kilomètres des atolls de Mururoa et de Fangataufa où avaient lieu les essais ; que les vingt dosimètres individuels mis à la disposition de M. B...pendant son séjour à Hao révèlent un résultat nul ; que si ce dernier a par ailleurs résidé dans la zone " Denise " de Mururoa au cours du mois de juin 1971, pendant lequel deux essais nucléaires ont été réalisés, son dosimètre individuel indique une dose d'irradiation limitée à 0,35 millisieverts (mSv) ; que l'examen spectrogammamétrique dont l'intéressé a fait l'objet le 25 août 1971, aux fins de déceler une éventuelle contamination interne, s'avère quant à lui normal ; qu'il n'est pas allégué que des essais nucléaires auraient été réalisés à Mururoa du 5 janvier 1972 au 26 avril 1972, période pendant laquelle M. B...y a à nouveau résidé, et que ce dernier a fait l'objet d'un second examen spectrogammamétrique, le 26 avril 1972, ne révélant aucune contamination ; qu'il n'est pas allégué non plus que de tels essais auraient été réalisés du 3 novembre au 1er décembre 1967, période pendant laquelle M. B...se trouvait à bord du bâtiment de la marine nationale Maine ; que si la requérante soutient que les techniques d'évaluation des rayonnements ionisants dont son époux a fait l'objet ne seraient pas fiables, faute notamment de tenir compte des contaminations internes et des radiations autres que les rayons gammas, il ressort des pièces du dossier que le comité d'indemnisation a ajouté pour son analyse une dose de 0,2 mSv pour chaque dosimètre nul ; que le comité a ainsi évalué les rayonnements ionisants auxquels M. B... a été soumis à un niveau total de 4,35 mSv au titre de la période pendant laquelle il a séjourné en Polynésie française, alors que, selon le rapport de l'Académie de médecine du 5 octobre 2004, aucun effet sur la santé n'est révélé dans le cas de l'exposition d'un corps entier à moins de 200 mSv ; que Mme B...ne conteste pas les conditions dans lesquelles le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a pris en compte, dans son analyse, la nature de la maladie et l'âge de la victime au moment de son exposition aux rayonnements et du diagnostic de cette maladie ; que, par suite, en se fondant sur ces éléments, ainsi que sur les résultats dosimétriques et spectrogammamétriques propres à l'intéressé, le comité d'indemnisation, puis le ministre de la défense qui a suivi sa recommandation, ont pu estimer, sans commettre une erreur d'appréciation, que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenue de la maladie était négligeable ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction, ne peuvent qu'être rejetées ; que la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être également rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C...épouse B...et au ministre de la défense.

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N° 14NC00463


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14NC00463
Date de la décision : 09/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2015-04-09;14nc00463 ?
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