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13/11/2014 | FRANCE | N°13NC01755

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 13 novembre 2014, 13NC01755


Vu la requête, enregistrée le 12 septembre 2013, complétée par des mémoires enregistrés les 24 février 2014, 24 juin 2014 et 6 août 2014, présentés pour Mme F...D..., demeurant ...à Boulogne-Billancourt (92100), par MeA... ;

Mme D...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1202228 du 16 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2011 par laquelle le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne a accordé à

son fils B...une dérogation pour l'entrée en classe de préparation au certificat ...

Vu la requête, enregistrée le 12 septembre 2013, complétée par des mémoires enregistrés les 24 février 2014, 24 juin 2014 et 6 août 2014, présentés pour Mme F...D..., demeurant ...à Boulogne-Billancourt (92100), par MeA... ;

Mme D...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1202228 du 16 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2011 par laquelle le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne a accordé à son fils B...une dérogation pour l'entrée en classe de préparation au certificat d'aptitude professionnelle agricole mention " production horticole ", ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 15 octobre 2012, ainsi que sa demande visant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices résultant de l'illégalité de ces décisions ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en réparation des préjudices subis ;

4°) d'enjoindre, à titre principal, que son fils B...soit scolarisé dans un établissement d'enseignement général relevant du ministère de l'éducation nationale ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir est nouvelle en appel et donc irrecevable ;

- elle a intérêt pour agir, tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de son enfant, la circonstance que son fils ait fini sa scolarité n'ayant pas d'incidence sur son intérêt à agir ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne n'était pas compétent pour signer la décision attaquée ;

- l'administration a manqué à son obligation d'information en n'informant ni ne consultant pas les parents, détenteurs de l'autorité parentale, avant de prendre la décision contestée ;

- seuls les titulaires de l'autorité parentale ou, à défaut, un jugement judiciaire, pouvaient décider de la nature de la formation et du lieu de son suivi, la décision contestée ayant été rendue en violation des décisions judiciaires applicables en la matière ;

- la décision contestée est entachée de détournement de pouvoir ;

- elle méconnaît le code de l'éducation en portant atteinte au libre choix final élaboré par les parents au profit de l'enfant, lequel relève de la responsabilité exclusive de la famille et, en particulier, le droit à l'éducation consacré à l'article L. 111-1 du code de l'éducation ;

- elle méconnaît les dispositions des articles D. 341-10 et D. 341-12 du code de l'éducation ;

- cette décision a été prise en violation des stipulations des articles 2, 9, 28 et 29 de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que de celles de l'article 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme consacrant le droit à l'éducation ;

- elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que, en séparant la fratrie, elle porte atteinte au droit à mener une vie familiale normale ;

- le préjudice causé en écartant un enfant mineur du système scolaire est réel en le privant d'une chance d'évolution régulière de sa scolarité ;

- la fin de non-recevoir tirée de l'absence de demande préalable est nouvelle en appel et donc irrecevable, alors au surplus que l'administration n'a pas opposé celle-ci à sa demande en première instance ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 28 février et 24 juillet 2014, présentés par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requérante dès lors que la scolarité de son fils est achevée ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables, faute de liaison du contentieux ;

- M.E..., chef du service de la formation et du développement, avait bien compétence pour prendre la décision contestée ;

- la décision contestée n'avait pas à être motivée ;

- eu égard au placement du fils de la requérante à l'aide sociale à l'enfance, une demande de dérogation pouvait être formée sans recueillir au préalable l'avis de celle-ci ;

- la réorientation dont a bénéficié le fils de la requérante n'a pas méconnu son droit à l'éducation ;

- cette décision a été prise dans l'intérêt de celui-ci ;

- Mme D...n'a pas présenté sa demande au nom de son fils, dont l'intérêt n'est, au demeurant, pas d'aboutir à l'annulation de la décision du 19 août 2011 ;

Vu les pièces dont il résulte que, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions de première instance tendant à l'annulation de la décision contestée en raison de l'absence d'intérêt à agir en son nom propre de MmeD... ;

Vu les pièces dont il résulte que, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions de première instance tendant à l'annulation de la décision contestée qui n'a ni pour objet ni pour effet de procéder à l'orientation du fils de la requérante et ne constitue donc pas une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la déclaration universelle des droits de l'homme ;

Vu la convention internationale des droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu l'arrêté du 19 juin 2009 relatif aux voies d'orientation dans l'enseignement agricole ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 octobre 2014 :

- le rapport de M. Fuchs, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;

1. Considérant que le fils mineur de MmeD..., prénomméB..., né en 1998, a été placé par le juge des enfants à l'aide sociale à l'enfance de Paris du 14 avril 2010 au 31 juillet 2011, puis, pour une durée d'un an, à l'aide sociale à l'enfance des Hauts-de-Seine à compter du 1er août 2011 ; que, par une décision du 19 août 2011, le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne a, sur demande des institutions où était placé l'enfant, accordé une dérogation afin que celui-ci puisse s'inscrire en classe préparatoire au certificat d'aptitude professionnelle agricole portant la mention " production horticole "; que Mme D...relève appel du jugement du 16 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 15 octobre 2012, ainsi que sa demande indemnitaire ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

2. Considérant que si le fils de la requérante a terminé sa scolarité au centre horticole privé de Châlons-en-Champagne depuis le mois de juin 2013, cette circonstance ne rend pas sans objet les conclusions dirigées contre la décision du 19 août 2011 lui permettant d'engager cette scolarité ; que, dès lors, les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir de la requérante opposée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

3. Considérant que Mme D...a intérêt pour agir en son nom propre contre la décision administrative litigieuse relative à l'orientation scolaire de son enfant mineur, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que celui-ci soit placé à l'aide sociale à l'enfance ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2011 :

4. Considérant que l'article 2 de la loi du 11 juillet 1979 visée ci-dessus dispose : " Doivent également être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement " ; qu'aux termes de l'article R. 811-145 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable au litige : " A l'issue de la classe de troisième, l'enseignement professionnel du second degré comprend : - un cycle de deux ans conduisant au diplôme du certificat d'aptitude professionnelle agricole " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 19 juin 2009 visé ci-dessus : " Les voies d'orientation dans l'enseignement agricole sont ainsi définies : a) Après la classe de cinquième de collège : - la classe de quatrième, puis la classe de troisième de l'enseignement agricole. / b) Après la classe de troisième de l'enseignement agricole ou de collège : - la classe de première année du cycle de deux ans de préparation au certificat d'aptitude professionnelle agricole, puis la classe de terminale du certificat d'aptitude professionnelle agricole (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 du même décret : " Les voies d'orientation ainsi définies n'excluent pas des parcours scolaires différents dans les conditions définies aux articles D. 341-14 et D. 341-34 du code de l'éducation " ;

5. Considérant que le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne a, par la décision attaquée du 19 août 2011, accordé, sur demande de l'aide sociale à l'enfance, une dérogation afin de permettre au fils de la requérante de s'inscrire en classe préparatoire au certificat d'aptitude professionnelle agricole, alors qu'il n'avait poursuivi sa scolarité dans le cadre de l'enseignement général que jusqu'en classe de cinquième ; qu'ayant ainsi dérogé aux règles générales relatives aux voies d'orientation dans l'enseignement agricole, posées par les dispositions réglementaires précitées, il lui appartenait de motiver sa décision conformément à l'article 2 de la loi du 11 juillet 1979 précité ; qu'en se bornant à indiquer, dans les motifs de cette décision, qu'elle est fondée sur une note de service en date du 5 avril 2011, sans préciser les autres éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde, le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne n'a pas satisfait aux exigences de motivation de la loi du 11 juillet 1979 ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne du 19 août 2011, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 15 octobre 2012 ;

Sur les conclusions indemnitaires :

7. Considérant que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que la décision d'orientation scolaire litigieuse méconnaîtrait le droit à l'éducation consacré par l'article 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme et par l'article L. 111-1 du code de l'éducation dès lors qu'elle n'a pas pour effet d'interrompre la scolarité de l'enfant ; que les dispositions des articles D. 341-10 et D. 341-12 du code de l'éducation relatives à la procédure d'orientation ne concernant que les demandes et propositions d'orientation, elles ne peuvent être utilement invoquées en l'espèce ; que cette décision ne méconnaît pas non plus les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la séparation du jeune B...de sa fratrie ne résulte pas de celle-ci, ni, en tout état de cause, les stipulations des articles 2, 9, 28 et 29 de la convention internationale des droits de l'enfant, que la requérante se borne à invoquer sans plus de précisions ; qu'enfin cette décision d'orientation scolaire n'est pas contraire aux décisions judiciaires concernant le jeuneB..., d'autant que sa mère avait fait part, lors de l'audience du 30 mai 2011, de son accord concernant une orientation de son fils vers un cursus professionnalisant en rapport avec la nature ; qu'au demeurant, le juge des enfants a, par ordonnance du 13 décembre 2011, rejeté la demande formulée par Mme D...tendant à ce que son fils soit scolarisé en classe de quatrième générale dans un établissement scolaire dépendant de l'éducation nationale ;

8. Considérant que la décision d'orientation litigieuse étant justifiée au fond, le préjudice qu'aurait subi la requérante ne saurait être regardée comme une conséquence du vice dont cette décision est entachée ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que l'article L. 911-2 du même code dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt, le juge des enfants a, par une ordonnance du 13 décembre 2011, rejeté la demande formulée par Mme D...tendant à ce que son fils soit scolarisé en classe de quatrième générale dans un établissement scolaire dépendant de l'éducation nationale ; que ce dernier a par ailleurs obtenu, lors de l'année 2013, le diplôme de certificat d'aptitude professionnelle agricole, dans la série " productions horticoles ", avec la spécialité " productions florales et légumières " ; que, compte tenu de ces éléments, l'annulation de la décision du 19 août 2011 n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint que le jeune B...soit scolarisé dans un établissement d'enseignement général relevant du ministère de l'éducation nationale ni qu'il soit enjoint au défendeur, comme le demande la requérante, de réexaminer sa situation au regard d'une éventuelle poursuite de ses études dans l'enseignement général ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Champagne-Ardenne du 19 août 2011, ensemble sa décision du 15 octobre 2012 de rejet du recours gracieux, sont annulées.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 16 juillet 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D...la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...D..., à M. C...G...et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

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