Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 19 juillet 2012, complétée par des mémoires enregistrés le 8 mars et le 24 mai 2013, présentée pour la SA Transports Jeantet, dont le siège est 4 rue de l'Escale à Besançon (25000), par Me Saillard Laurent, avocat au barreau de Paris ;
La société demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100633 en date du 24 mai 2012 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat, d'une part, à lui verser des intérêts moratoires liquidés sur le montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée au titre de péages autoroutiers au cours de la période allant de 1996 à 2000, d'autre part, à l'indemniser des préjudices subis en raison de la restitution tardive de la taxe sur la valeur ajoutée ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser ces intérêts moratoires et une somme 6 655 euros à titre de dommages et intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- qu'elle remplit les conditions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales dès lors, d'une part, qu'elle a déposé une réclamation contentieuse en décembre 2005 fondée sur la formalité impossible d'obtenir les factures de la part des concessionnaires autoroutiers, et qu'elle a procédé à l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée postérieurement à cette réclamation qu'elle a mentionnée sur sa déclaration et, d'autre part, qu'elle a été contrainte d'imputer la taxe sur la valeur ajoutée sur sa déclaration de chiffre d'affaires en raison de l'obtention tardive des factures rectificatives de la part des sociétés concessionnaires qui ont tardé à les communiquer sous l'impulsion des courriers de l'administration fiscale ;
- que sa demande indemnitaire est distincte, par sa nature et sa forme, de sa demande d'intérêts moratoires dès lors qu'elle procède d'un calcul différent, qu'elle est fondée sur la justification d'un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires, qu'elle ne résulte pas d'une estimation théorique mais d'un chiffrage précis, ainsi que le démontre le tableau joint, et qu'elle a pour objet la réparation d'un préjudice tenant, non à des erreurs mais à des fautes de l'Etat qui a notamment méconnu les articles 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2012, présenté par le ministre de l'économie et des finances (direction de contrôle fiscal Est) ;
Le ministre conclut au rejet des conclusions à fin de paiement d'intérêts moratoires ;
Il soutient :
- que bien qu'elle ait présenté une réclamation en décembre 2005, la société a imputé la taxe sur la valeur ajoutée en litige sur sa déclaration CA3 de mars 2006, sans attendre la réponse à sa réclamation et sans que soit expiré le délai de six mois dont disposait le service pour instruire sa réclamation ; qu'ainsi, la société a entendu renoncer à sa réclamation contentieuse ; que le 18 octobre 2006, le service a informé la société que l'examen des factures produites à l'appui de l'imputation de la taxe était clos ; que l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les déclarations de chiffre d'affaires, qui ne donne lieu à aucune restitution, ne constitue pas une réclamation au sens de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et ne saurait donner lieu à intérêts moratoires ;
- que les dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne peuvent s'appliquer en l'absence de réclamation initiale ou de procédure contentieuse devant les tribunaux ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2013, complété par un mémoire enregistré le 22 avril 2013, présenté par le ministre de l'économie et des finances (service juridique de la fiscalité) ;
Le ministre conclut au rejet des conclusions indemnitaires ;
Il soutient :
- que l'action indemnitaire n'est pas recevable dès lors qu'existe un recours parallèle fiscal ; qu'en effet, la société requérante ne fait pas état, dans sa demande indemnitaire, d'un préjudice distinct de celui qui est susceptible d'être réparé par l'octroi d'intérêts moratoires et calcule le montant de l'indemnité sur la base des intérêts moratoires même si le montant de l'indemnité réclamée diffère de celui des intérêts moratoires ; que si la société avait choisi de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée par voie de réclamation contentieuse et non par imputation, elle aurait pu prétendre au versement d'intérêts moratoires et est responsable du préjudice qu'elle invoque ;
- que l'administration n'a commis aucune faute, l'Etat français ne pouvant restituer la taxe sur la valeur ajoutée en l'absence de réclamation alors qu'en outre rien n'empêchait la société requérante de déposer une réclamation contentieuse avant le 31 décembre 2002 ;
- que la société n'établit pas la réalité et le montant d'un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires et qu'elle a imputé tardivement la taxe sur la valeur ajoutée ;
- que le droit à recours effectif prévu à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas méconnu par le jugement attaqué alors que la société requérante a choisi d'imputer la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle n'est pas davantage victime d'une discrimination prohibée par les dispositions combinées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que toutes les personnes placées dans une même situation subissent un même traitement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mai 2013 :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- et les conclusions de M. Féral, rapporteur public ;
Sur les conclusions tendant au versement d'intérêts moratoires :
1. Considérant , d'une part, qu'aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. (...) " ;
2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat. (... ) " ; qu'aux termes de l'article 224 de l'annexe II audit code, alors en vigueur : " 1. Les entreprises doivent mentionner le montant de la taxe dont la déduction leur est ouverte sur les déclarations qu'elles déposent pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée " ; qu'aux termes de l'article 242-0 A de l'annexe II au même code : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile " ;
3. Considérant qu'en imputant sur sa déclaration de chiffre d'affaires CA3 déposée en mars 2006, conformément aux articles 271 du code général des impôts et 224 de l'annexe II au même code, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les péages d'autoroute dont elle s'était acquittée pendant la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000, la société Transports Jeantet ne peut être regardée ni comme ayant déposé une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, ni comme ayant obtenu un dégrèvement ; que la société requérante ne peut utilement se prévaloir, en tout état de cause, de la réclamation qu'elle avait déposée le 7 décembre 2005, dès lors qu'elle a procédé à l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée sans attendre la réponse à sa réclamation et sans que soit expiré le délai de six mois dont disposait le service pour instruire cette réclamation ; qu'il suit de là que la société Transports Jeantet n'entrait pas dans le champ d'application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et qu'elle ne peut, en conséquence, prétendre, à raison de cette imputation , au paiement d'intérêts moratoires sur le fondement de ces dispositions ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
4. Considérant que la société Transports Jeantet demande la réparation des préjudices qu'elle aurait subis à raison d'agissements fautifs de l'administration tenant à la méconnaissance de la 6ème directive du 17 mai 1977 du Conseil des Communautés européennes, à une interprétation erronée des textes du code général des impôts applicables et aux obstacles qui auraient été mis à la délivrance de factures rectificatives aux usagers par les concessionnaires d'autoroutes ; que si la société requérante fait valoir qu'elle pourrait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice commercial, matériel ou moral, elle ne fait état que d'un préjudice de trésorerie qu'elle calcule à partir du taux d'intérêt légal de placement, en appliquant au résultat un abattement forfaitaire d'un tiers pour tenir compte de l'avantage obtenu en matière d'impôt sur les sociétés ; qu'ainsi, la société Transports Jeantet n'établit pas l'existence d'un préjudice distinct de celui qui est susceptible d'être réparé par l'octroi d'intérêts moratoires ;
5. Considérant, par ailleurs, que la société requérante n'est pas fondée à demander une indemnité en invoquant, sans autre précisions, la méconnaissance en l'espèce des principes du droit à un recours effectif, d'interdiction des discriminations et de protection de la propriété définis respectivement aux articles 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, au motif que l'Etat aurait fait obstacle à ses droits à remboursement ou à restitution de taxe sur la valeur ajoutée pendant plus de dix ans ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Transports Jeantet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à la société Transports Jeantet la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Transports Jeantet est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transports Jeantet et au ministre de l'économie et des finances.
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