Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2011 sous le n° 11NC01930, présentée pour Mme Catherine , demeurant ..., par Me Benoît ;
Mme demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1000279 du 11 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme 61 257,27 euros à la suite du décès de son père ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2009 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Nancy la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nancy est engagée sur le terrain de la faute médicale et du fonctionnement défectueux du service hospitalier ;
- l'indemnisation ne doit pas être limitée à la perte de chance que le dommage soit survenu ;
- les préjudices subis par la victime ont été transmis à ses héritiers ;
- il conviendra donc d'indemniser les souffrances endurées par M. , sa perte de chance de survivre et la douleur morale éprouvée par la conscience de l'espérance de vie réduite ;
- outre la réparation des frais d'obsèques, la fille de la victime a subi un préjudice moral ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2012, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Nancy qui conclut au rejet de la requête et à la réduction des indemnités accordées en première instance ;
Il soutient que :
- les fautes, non contestées ont seulement compromis les chances du patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation ;
- si les premiers juges ont correctement évalué les préjudices, il convenait de leur appliquer un coefficient réducteur pour ne tenir compte que de la perte de chance ;
- le lien entre les souffrances endurées par la victime et les fautes commises n'est pas établi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 novembre 2012 :
- le rapport de Mme Fischer-Hirtz, président,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- les observations de Me Benoît, avocat de Mme Catherine ,
- et les observations de Me Vilmin, avocat du centre hospitalier universitaire de Nancy ;
Sur la responsabilité :
1. Considérant que M. Jean-Claude , âgé de soixante ans, s'est rendu, le 2 septembre 2004 vers 8 h 45, chez son médecin traitant en raison de douleurs thoraciques évoluant depuis la veille à 21 heures ; que le médecin l'a lui-même conduit aux urgences du centre hospitalier universitaire de Nancy avec une lettre dans laquelle le praticien, soupçonnant une affection cardio-vasculaire, demandait de vérifier notamment un risque d'embolie pulmonaire et souhaitait la réalisation d'une radiographie pulmonaire ; que, si divers examens ont été réalisés, la radiographie pulmonaire n'a pas été prescrite et certains résultats d'analyse déterminants pour le diagnostic d'embolie pulmonaire n'ont pas été vus par l'interne, ni par le praticien hospitalier alors responsable du service avant la sortie du patient, le jour même, vers 11 h 30 par ses propres moyens ; que M. a regagné seul et à pied son domicile, distant de six kilomètres de l'hôpital et a été retrouvé sans vie chez lui, le 8 septembre 2004, par sa fille Catherine ; que les erreurs dans la prise en charge de M. par le service des urgences, pour lesquelles les deux médecins ont été condamnés par jugement du Tribunal correctionnel de Nancy du 21 novembre 2008 pour homicide involontaire, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nancy qui n'en conteste d'ailleurs pas le principe ;
Sur les préjudices :
2. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si les fautes commises par l'établissement hospitalier ont indiscutablement compromis les chances de M. d'éviter le décès, elles ne peuvent être regardées comme l'ayant directement provoqué ; qu'au demeurant, l'expert désigné dans l'instance pénale a estimé que lesdites fautes " sont en rapport direct et certain avec la cause du décès " et non avec le décès lui-même ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des préjudices indemnisables en les évaluant à 95 % des dommages ;
En ce qui concerne les préjudices propres de M. :
4. Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ; qu'il n'en va, en revanche, pas de même du préjudice résultant de la perte de chance de survivre dès lors que cette perte n'apparaît qu'au jour du décès de la victime et n'a pu donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour ;
5. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. ait pu avoir conscience avant son décès, survenu très peu de temps après sa sortie de l'hôpital, d'une espérance de vie réduite en raison des erreurs commises lors de sa prise en charge ; que, par suite, Mme Catherine n'est pas fondée à demander réparation, en sa qualité d'héritière de son père, du préjudice propre de celui-ci ;
6. Considérant, en revanche, qu'en mettant un terme à l'hospitalisation de M. et en le renvoyant chez lui sans se soucier des conditions dans lesquelles il rejoindrait son domicile et sans davantage prendre la peine d'avertir une de ses filles, alors qu'il en avait expressément fait la demande, le centre hospitalier universitaire de Nancy a incontestablement causé une souffrance morale au patient par la désinvolture manifeste dont il a fait preuve à son égard ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en allouant à sa fille Catherine, en qualité d'ayant droit de son père, compte-tenu de la perte de chance de 95 %, une somme de 3 000 euros ;
En ce qui concerne les préjudices propres de Mme :
7. Considérant que la requérante justifie, par la production d'une facture, que le coût des obsèques de son père s'est élevé à la somme de 3 771,82 euros TTC qui a été partagée entre ses trois filles ; qu'il y a donc lieu de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à verser à la requérante, compte tenu du taux de la perte de chance de 95 % retenu, la somme de 1 194, 40 euros ;
8. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme Catherine en raison du décès de son père en l'évaluant à la somme de 9 000 euros, vu les circonstances particulièrement éprouvantes dans lesquelles la requérante a été amenée à constater le décès de son père qui était intervenu plusieurs jours auparavant et très probablement peu de temps après son retour à son domicile ; que, compte tenu du taux de la perte de chance de 95 % retenu, le centre hospitalier universitaire de Nancy est condamné à verser à la requérante la somme de 8 550 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
9. Considérant que Mme a droit au paiement des intérêts légaux, sur la totalité de la somme qui lui est due, à compter de la date de la réception par l'administration de sa réclamation préalable, soit le 10 septembre 2009, ainsi qu'à la capitalisation des intérêts échus le 10 septembre 2010 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme est seulement fondée à demander la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 12 744, 40 euros ; que le jugement attaqué sera donc réformé en ce sens ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à verser à Mme , en remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, la somme de 1 500 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme que le centre hospitalier universitaire de Nancy a été condamné à verser à Mme Catherine par l'article 1er du jugement n° 1000279 du 11 octobre 2011 est portée à 12 744,40 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy du 11 octobre 2011 n° 1000279 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Nancy versera à Mme Catherine une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes et le recours incident du centre hospitalier universitaire de Nancy sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Catherine et au centre hospitalier universitaire de Nancy.
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