Vu la requête, enregistrée le 13 avril 2012, présentée pour le Groupement Forestier Amélie, dont le siège est 5 rue de la Fontaine à Bathelémont les Bauzemont (54370), par Me Vivier ;
Le Groupement Forestier Amélie demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002283 du 13 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 octobre 2010 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a déclaré d'utilité publique l'acquisition d'un chemin privé par le syndicat intercommunal des eaux de Bénamont ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal des eaux de Bénamont et de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- l'arrêté portant déclaration d'utilité publique est entaché d'illégalité dès lors que le projet est dépourvu d'utilité publique ; le chemin en cause étant grevé d'une servitude de passage, il n'est nul besoin de recourir à l'expropriation ; à supposer qu'une entrave soit apportée à l'usage de cette servitude, ce qui est contesté, le syndicat bénéficiaire de cette servitude dispose des voies de droit pour y remédier ; le gérant a supprimé le cadenas et mis en place une simple manille aisément manoeuvrable ;
- l'expropriation de ce chemin constitue une atteinte excessive au droit de propriété et aurait pour conséquence de diviser en deux sa propriété ; il en résulterait une atteinte au respect des biens tels qu'affirmé par le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté attaqué est entaché de détournement de pouvoir car le but recherché est à l'évidence de sanctionner le comportement de son gérant ;
Vu le mémoire en observations, enregistré le 10 juillet 2012, présenté pour le syndicat intercommunal des eaux de Bénamont, par Me Pollet, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du groupement forestier Amélie la somme de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il fait valoir que depuis 2004 le groupement forestier Amélie a adopté une attitude délibérée d'entrave à la servitude de passage existant depuis 1974 ; que l'opération envisagée poursuit un but d'intérêt général ; que l'expropriation est rendue nécessaire par l'impossibilité de réaliser un autre chemin d'accès ; que les procédures judiciaires pour obtenir du groupement requérant le respect de la servitude de passage ne permettront pas d'assurer la continuité du service public de l'eau ; que l'atteinte aux intérêts privés est faible au regard de l'intérêt public ; que l'expropriation permettra de pouvoir intervenir en urgence sur les canalisations passant sous le chemin ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir que l'accès aux réservoirs et canalisations doit être possible de jour comme de nuit ; que les difficultés d'accès rencontrées par le syndicat intercommunal des eaux de Bénamont sont suffisamment établies par les pièces du dossier ; que le bilan coût/avantage est favorable à la déclaration d'utilité publique ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 octobre 2012, présenté pour le groupement forestier Amélie, par Me Vivier, qui conclut aux mêmes fins que la requête ;
Il soutient en outre que la chaîne placée à l'entrée du chemin peut être facilement retirée puisqu'elle est équipée d'une simple manille et non d'un cadenas ; qu'il n'apparaît pas clairement comment le transfert de propriété du chemin au syndicat intercommunal pourrait par lui-même mettre fin aux prétendus incidents dont il est question ;
Vu le deuxième mémoire en réplique, enregistré le 19 octobre 2012, présenté pour le groupement forestier Amélie, par Me Brosseau, qui conclut aux mêmes fins que précédemment et à ce que soit mise à la charge solidaire des défendeurs à l'instance la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient en outre que le jugement est irrégulier car les premiers juges ont dénaturé les faits de l'espèce ; que, quand bien même un incident de quelques minutes aurait empêché le syndicat des eaux d'accéder au chemin d'accès, cette seule circonstance ne justifie nullement le caractère répété des prétendues entraves ; que la société Bouygues Telecom n'éprouve aucune difficulté à accéder aux réservoirs en empruntant le chemin rural tel qu'il est matérialisé sur le plan produit aux débats ; que l'intérêt général ne doit pas porter d'atteinte excessive à la propriété privée ; que l'opération envisagée, qui prévoit la construction d'une route de 6 m de large, est pour le moins excessive alors qu'une largeur de 3 m suffirait pour le passage ponctuel de véhicules légers d'entretien ; que l'opération entraînera la caducité de la convention passée avec la société Bouygues Telecom, ce qui lui fera perdre le bénéfice de la redevance perçue et lèse donc ses intérêts ; que la parcelle nord, de plus de 20 hectares, lui appartenant, sera enclavée ; que les travaux projetés porteront une atteinte excessive à l'environnement ; que le syndicat des eaux et l'administration n'ont pas agi dans un esprit de concertation et de conciliation ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 20 octobre 2012, présenté pour le syndicat intercommunal des eaux de Bénamont, qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;
Il soutient en outre qu'au cours de la présente procédure, son fermier a de nouveau été victime d'entraves ; que les réunions organisées tant en préfecture qu'avec la gendarmerie n'ont jamais permis d'améliorer la situation ; que le chemin des rapailles est trop pentu ; que ce chemin de terre n'existe que sur le plan ; qu'en fait la société Bouygues Telecom utilise un chemin d'accès privé appartenant au requérant ; que si le chemin empierré a une largeur de 3 m, l'accotement de 1,5 m de part et d'autre comprend les canalisations de refoulement et de distribution et le câble de service installés pour les besoins du fonctionnement du réseau d'adduction d'eau potable ; qu'il n'est nullement envisagé d'élargir ce chemin ; que la parcelle nord du groupement ne sera pas enclavée puisque ce dernier conservera sa liberté d'usage du chemin en cause ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 octobre 2012 :
- le rapport de M. Pommier, président,
- les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public,
- et les observations de Me Conti, avocat du groupement forestier Amélie, et de Me Pollet, avocat du syndicat intercommunal des eaux de Bénamont ;
Sur la régularité du jugement :
1. Considérant que si, dans ses dernières écritures, le groupement forestier requérant soutient que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'irrégularité en ayant mal apprécié les faits de l'espèce, ce vice allégué n'est en tout état de cause pas de nature à affecter la régularité du jugement ; que ce moyen ne peut donc qu'être écarté ;
Sur la légalité de l'arrêté du 7 octobre 2010 :
2. Considérant qu'une opération ne peut légalement être déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;
3. Considérant que le syndicat intercommunal des eaux de Bénamont a fait édifier deux réservoirs d'eau d'une contenance totale de 1 300 m3 sur les parcelles lui appartenant, cadastrées section B n° 426 et 427 sur le territoire de la commune de Bathelémont-les-Bauzemont, ces deux réservoirs constituant les réservoirs principaux de son réseau d'adduction d'eau potable desservant 21 communes ; que, par acte des 26, 27 mai et 9 juin 1974, le syndicat s'est vu reconnaître une servitude de passage par les propriétaires des parcelles enclavant son fonds ; qu'il a pris à sa charge les travaux de réalisation et d'entretien du chemin d'accès à ses installations, dans l'emprise duquel sont implantés les canalisations de refoulement et de distribution d'eau potable ainsi qu'un câble pilote reliant la station de pompage aux réservoirs ; que, par ailleurs, il a autorisé Voies Navigables de France à édifier sur ses parcelles un pylône destiné à recevoir les antennes nécessaires au fonctionnement de son réseau radio ; qu'un opérateur de téléphonie mobile a également installé une antenne sur ce pylône ; que, pour alimenter le transformateur électrique assurant le fonctionnement de ces réseaux hertziens, EDF a implanté un câble de 20 000 volts dans l'emprise de ce chemin ;
4. Considérant qu'à la suite de la vente, en 2004, au groupement forestier Amélie de la propriété incluant une partie du terrain d'assiette du chemin, il a été fait obstacle par le nouveau propriétaire à la jouissance de cette servitude de passage, notamment par la pose d'un portique interdisant l'accès à tout véhicule surélevé ; que le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nancy a, par ordonnance du 26 septembre 2006, condamné le groupement forestier Amélie à procéder au démontage du portique-gabarit, tout en lui reconnaissant le droit de " maintenir fermé le chemin par le biais d'une chaîne sous réserve que les ayants droit du syndicat disposent d'une clef du cadenas condamnant ladite chaîne " ;
5. Considérant que s'il n'est pas contesté que si le groupement forestier Amélie a enlevé le portique-gabarit, il s'est refusé à donner en août 2008 la clef du cadenas aux services de gendarmerie alors même que, par délibération du 12 avril 2007, le comité syndical du syndicat intercommunal des eaux avait institué la gendarmerie ayant-droit à l'effet d'effectuer des rondes de surveillance des réservoirs d'eau dans le cadre du plan " vigipirate " et en avait informé le groupement forestier ; que, le 12 octobre 2008, le gérant dudit groupement et par ailleurs maire de la commune de Bathelémont-les-Bauzemont, a cru devoir bloquer le véhicule du président du syndicat sur ce chemin ; que le groupement requérant ne conteste pas sérieusement que d'autres incidents, relevés par le commissaire enquêteur dans son rapport, se sont produits après la notification de l'ordonnance du juge des référés ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, le groupement forestier requérant aurait adopté une attitude plus respectueuse du droit de passage dont justifiait le syndicat intercommunal des eaux, quand bien même il aurait remplacé le cadenas par une manille ; que si la réalisation d'un autre accès par l'aménagement d'un chemin rural existant dénommé " chemin des rapailles " a été envisagée, il est constant que son tracé comporterait une pente de l'ordre de 20% rendant difficile voire dangereux l'accès des véhicules en période hivernale ; que si le groupement forestier requérant soutient que l'opérateur de téléphonie mobile accède sans difficulté à ses installations par le chemin rural, il ne l'établit pas en se bornant à produire un extrait de carte de l'Institut géographique national ; que le syndicat intercommunal de Bénamont fait d'ailleurs valoir sans être contredit que cet opérateur utilise en réalité non le chemin rural mais un chemin privé appartenant au groupement requérant ; qu'en tout état de cause, le chemin dont l'acquisition a été déclarée d'utilité publique non seulement permet l'accès aux réservoirs mais comprend dans son sous-sol les canalisations et le câble de service implantés par le syndicat pour assurer le fonctionnement du réseau d'alimentation en eau potable ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'attitude d'obstruction caractérisée dont a fait preuve à plusieurs reprises le gérant du groupement forestier et à sa volonté manifeste de ne se conformer que partiellement à la décision du juge des référés, et alors que le syndicat ou son fermier doit pouvoir emprunter ce chemin à tout moment pour des visites de surveillance ou d'entretien ou encore des interventions d'urgence sur les installations afin d'être en mesure d'assurer la continuité du service public d'alimentation en eau d'une population d'environ 4 400 habitants, de même d'ailleurs que ses ayants droit pour leurs propres installations, l'expropriation du terrain d'assiette du chemin d'accès aux deux réservoirs principaux du syndicat répond à un besoin d'intérêt général ;
6. Considérant qu'il ressort de l'arrêté attaqué que les propriétaires des parcelles conserveront un droit d'usage du chemin dont il s'agit, en vue de l'exploitation forestière ; qu'ainsi le groupement requérant n'est pas fondé à soutenir qu'une parcelle de 20 hectares lui appartenant serait désormais enclavée ; que l'expropriation envisagée ne porte que sur l'emprise du chemin existant et ses accotements et n'entraîne qu'une atteinte très limitée à la propriété privée; qu'elle ne saurait avoir pour effet de couper en deux la propriété du groupement requérant et ne méconnaît donc pas le droit de propriété garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant que le groupement requérant ne saurait sérieusement soutenir que l'expropriation du chemin en cause porterait une atteinte excessive à l'environnement alors qu'il ressort clairement des pièces du dossier que le chemin existant restera dans sa configuration actuelle et ne sera pas élargi, l'emprise d'une largeur de 6 m soumise à expropriation comprenant, outre la chaussée d'une largeur de 3m, les accotements dans lesquels sont enfouis les canalisation de refoulement et de distribution d'eau et le câble de service ;
8. Considérant que si le groupement requérant soutient que l'opération envisagée entraînera pour conséquence la caducité d'une convention le liant à la société Bouygues Telecom et la perte d'une redevance perçue pour le passage de câbles électriques, il n'assortit ses affirmations d'aucune pièce justificative ; qu'il ne saurait donc se prévaloir d'un préjudice financier qui résulterait pour lui de l'arrêté attaqué ;
9. Considérant que si, pour estimer que la servitude de passage ne pouvait plus permettre au syndicat intercommunal des eaux de Bénamont de bénéficier du libre accès à ses parcelles, il a été pris en compte l'attitude du gérant du groupement forestier Amélie, cette circonstance ne saurait faire regarder l'arrêté attaqué comme ayant eu en réalité pour but de sanctionner ce dernier ; que le moyen tiré du détournement de pouvoir ne peut par suite qu'être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le groupement foncier Amélie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du syndicat intercommunal des eaux de Bénamont et de l'Etat,qui ne sont pas partie perdante dans la présente instance, la somme que le groupement forestier Amélie demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu' il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du groupement forestier Amélie le versement au syndicat d'une somme de 1 500 euros au même titre ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête du groupement forestier Amélie est rejetée.
Article 2 : Le groupement forestier Amélie versera au syndicat intercommunal des eaux de Bénamont une somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié au groupement forestier Amélie, au syndicat intercommunal des eaux de Bénamont et au ministre de l'intérieur.
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N° 12NC00657