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04/10/2012 | FRANCE | N°12NC00323

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 04 octobre 2012, 12NC00323


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2012, présentée pour Mme Albina A, demeurant chez Mme B, ..., par Me Zind ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1104400 en date du 10 novembre 2011 en tant que, par ledit jugement, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du 31 août 2011 du préfet du Haut-Rhin l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de renvoi ;

2°) d' annuler lesdites décisions en date du 31 août 2011 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-

Rhin, conformément aux dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administra...

Vu la requête, enregistrée le 23 février 2012, présentée pour Mme Albina A, demeurant chez Mme B, ..., par Me Zind ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1104400 en date du 10 novembre 2011 en tant que, par ledit jugement, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du 31 août 2011 du préfet du Haut-Rhin l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de renvoi ;

2°) d' annuler lesdites décisions en date du 31 août 2011 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin, conformément aux dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai d'un mois, conformément aux dispositions de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Mme A soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que c'est à l'âge de 15 ans qu'elle est entrée en France où vit l'ensemble de sa famille, qu'elle a suivi toute sa scolarité en France depuis son arrivée en 2004, qu'elle n'a jamais connu son père, qu'elle n'a plus aucune attache en Russie et qu'elle vit depuis avril 2011 avec M. C, réfugié statutaire de nationalité azerbaïdjanaise, qui a reconnu son enfant à naître ;

- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale dès lors qu'elle a été prise en application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont contraires aux objectifs fixés aux articles 3-7 et 7-4 de la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dans la mesure où elles donnent une définition large du risque de fuite au point que l'absence de délai de départ volontaire est devenue la règle au lieu de l'exception et que le risque de fuite englobe des comportements non intentionnels ;

- elle méconnaît les articles 1er et 5 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dès lors qu'elle n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments de sa situation en matière de vie familiale, d'état de santé et de principe de non-refoulement ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des sévices sexuels qu'elle a subis à Vladivostok alors qu'elle était encore mineure comme en atteste le témoignage établi par M. Karimov qui a organisé sa libération ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2012, présenté par le préfet du Haut-Rhin, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :

- Mme A reprend intégralement les moyens qu'elle a exposés en première instance et auxquels le Tribunal administratif a répondu de manière particulièrement détaillée et circonstanciée ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa mère et son beau-père résident en situation irrégulière en France, qu'elle ne justifie nullement de l'absence d'attaches familiales dans son pays d'origine, qu'elle n'a jamais fait état auprès des services de préfecture de son concubinage avec M. C, qu'elle ne démontre ni l'intensité ni la durée de cette relation et que la circonstance qu'elle attend un enfant de M. C est sans incidence ;

- s'agissant de la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui donne des critères objectifs et une définition limitative au risque de fuite, est conforme aux exigences de l'article 3-7 de la directive 2008/115/CE ;

- s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi, la requérante n'invoque aucun élément probant ou suffisant pour établir qu'elle serait personnellement soumise à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Russie ;

- il n'y a pas lieu de confirmer l'annulation par le Tribunal administratif de la décision portant interdiction de retour dès lors que l'appel n'a pas été interjeté sur ce point ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 juillet 2012, présenté pour Mme A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, à ce que le préfet du Haut-Rhin soit enjoint de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et soutient en outre que la Cour nationale du droit d'asile a reconnu qu'elle avait été victime de traitements inhumains et dégradants lors de son retour en Russie en octobre 2010 ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 7 août 2012, présenté par le préfet du Haut-Rhin, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu, en date du 19 janvier 2012, la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle admettant Mme A au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 dite " retour " relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2012 :

- le rapport de M. Richard, rapporteur ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

1. Considérant que Mme A, ressortissante russe née en 1989, est entrée irrégulièrement en France avec sa mère et son beau-père le 4 novembre 2004 ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, qui a fait l'objet de trois mesures d'éloignement prises le 16 octobre 2008, le 30 septembre 2009 et le 7 octobre 2010, a été reconduite à la frontière à destination de la Russie au mois d'octobre 2010 et n'est revenue en France de manière irrégulière qu'au cours du mois d'avril 2011 ; que si la requérante fait valoir qu'elle a suivi toute sa scolarité en France, elle n'établit pas le bien-fondé de ses allégations ; qu'il ressort en outre des pièces du dossier que la mère et le beau-père de Mme A, qui ont fait l'objet de décisions portant obligation de quitter le territoire français prises le 9 juin 2008, résident en France de manière irrégulière ; que si l'intéressée soutient entretenir depuis avril 2011 une relation avec M. C, réfugié statutaire de nationalité azerbaïdjanaise et père de son enfant à naître, reconnu par l'intéressé le 9 décembre 2011 avant sa naissance, elle n'établit pas l'existence d'une communauté de vie, laquelle serait en tout état de cause très récente, avec son concubin en produisant une facture d'électricité établie le 30 novembre 2011 à leurs deux noms ; que, par ailleurs, Mme A n'est pas dépourvue de toute attache en Russie où elle a vécu sans interruption depuis sa naissance jusqu'à l'âge de 15 ans et pendant six mois suite à son éloignement en octobre 2010 ; qu'il résulte de ce qui précède que la décision du 31 août 2011 n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, porté au droit de Mme A au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ;

En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il convient, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'écarter le moyen, qui ne comporte aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation que Mme A a développée devant le Tribunal administratif de Strasbourg, tiré de l'incompatibilité des dispositions du paragraphe II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec les dispositions des articles 3-7 et 7-4 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

3. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu'au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l'homme. " et qu'aux termes de l'article 5 de la même directive : " Lorsqu'ils mettent en oeuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte: / a) de l'intérêt supérieur de l'enfant, / b) de la vie familiale, / c) de l'état de santé du ressortissant concerné d'un pays tiers, et respectent le principe de non-refoulement " ;

4. Considérant que Mme A soutient que la décision en litige n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments de sa situation en matière de vie familiale, d'état de santé et de principe de non-refoulement en méconnaissance des stipulations des articles 1 et 5 de la directive précitée ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Haut-Rhin aurait omis d'examiner la situation de l'intéressée au regard de sa vie familiale alors par ailleurs que celui-ci fait valoir que Mme A, qui n'a pas sollicité son admission au séjour pour raisons de santé, ne s'est pas prévalue de son concubinage avec M. C et qu'il est au surplus constant qu'elle n'était pas enceinte à la date de la décision attaquée ; que, par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation personnelle au regard des éléments énumérés par les stipulations combinées des articles 1 et 5 de la directive précitée ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

5. Considérant que Mme A, dont la demande d'admission au statut de réfugié a d'ailleurs été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) en date du 12 mai 2005, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 19 décembre 2006, et dont la demande de réexamen a été rejetée par décision de l'OFPRA du 27 mai 2011, confirmée le 20 février 2012 par la Cour nationale du droit d'asile, fait valoir que la décision litigieuse a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, en admettant même qu'elle ait subi en 2004 des sévices sexuels à Vladivostok, en Russie, alors qu'elle était encore mineure, ce qui a justifié son suivi psychiatrique à Colmar, et qu'elle a été victime de mauvais traitements à Moscou lors de son retour en Russie en octobre 2010 au cours de sa détention illégale par les services de police, suite à quoi son traumatisme a été réactivé, ces éléments ne suffisent pas à établir l'existence d'un risque actuel pour sa vie ou sa liberté auquel elle serait personnellement exposée ; que, par suite, la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du 31 août 2011 du préfet du Haut-Rhin l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de renvoi ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions aux fins d'injonction présentées par Mme A ne peuvent ainsi qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Albina A et au ministre de l'intérieur.

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N°12NC00323


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.

Étrangers - Reconduite à la frontière - Légalité interne - Droit au respect de la vie familiale.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Michel RICHARD
Rapporteur public ?: Mme GHISU-DEPARIS
Avocat(s) : ZIND

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Date de la décision : 04/10/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12NC00323
Numéro NOR : CETATEXT000026529518 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-10-04;12nc00323 ?
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