Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 2011, complétée par deux mémoires enregistrés les 24 janvier et 28 juin 2012, présentée pour M. Philippe A, demeurant ..., par la Selas d'avocats Devarenne associés ; M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002069 du 20 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de Réseau Ferré de France (RFF) à lui payer les sommes de 14 463,16 euros en réparation des dommages qu'il a subis à la suite des opérations de remembrement de la commune de Sivry-Ante, 1 416,66 euros en remboursement des honoraires réglés à l'expert, 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et 35 euros en remboursement de la contribution au titre de l'aide juridique ;
2°) de condamner Réseau Ferré de France à lui payer la somme de 17 915,37 euros majorée des intérêts légaux à compter de sa demande préalable en date du 16 juillet 2010 en réparation des dommages qu'il a subis du fait des opérations de remembrement de la commune de Sivry-Ante et celle de 1 416,66 euros en remboursement des honoraires réglés à l'expert majorée des intérêts légaux à compter du paiement intervenu en mai 2010 ;
3°) de mettre à la charge de Réseau Ferré de France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, outre le remboursement de la somme de 35 euros en remboursement de la contribution due pour l'aide juridique ;
M. A soutient que :
- n'ayant bénéficié d'aucun regroupement parcellaire et sa parcelle d'apport anciennement cadastrée ZB22 ayant en outre été séparée en deux par la construction de la ligne à grande vitesse Est, il est fondé à demander à RFF d'être indemnisé des dommages résultant de l'implantation de cet ouvrage, en application de l'article L. 123-26 du code rural ;
- sa parcelle d'attribution ZW44 étant inaccessible, il n'a pu la louer depuis 2007, date à laquelle elle a été libérée par le précédent locataire ;
- la parcelle ZW44, inaccessible depuis 2004, ayant évolué naturellement vers un état de friche, RFF doit l'indemniser des frais de remise en état chiffrés à la somme de 7 007,54 euros TTC ;
- le préjudice résultant de la diminution de la valeur vénale des deux parcelles ZW44 et ZW76 issues de la division de sa parcelle d'apport anciennement cadastrée ZB22 s'élève à la somme de 6 882 euros ;
- l'allongement de parcours pour rejoindre sa parcelle ZW44 lui occasionne un préjudice d'exploitation s'élevant à 1 360 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 20 avril 2012 fixant la clôture de l'instruction le 6 juillet 2012 à 16 h 00 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2012, présenté pour Réseau Ferré de France, représenté par son président, par la SCP d'avocats Bergeret-Bouileret, qui conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. A de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Réseau Ferré de France soutient que :
- la perte de loyers afférents à la parcelle ZW44 résulte uniquement de la décision de M. A de résilier par acte du 2 août 2005 le bail du preneur en place ;
- l'état de friche de la parcelle ZW44 est du à l'inaction de M. A qui n'a pris aucune initiative pour remettre à bail cette parcelle après la résiliation du bail du précédent preneur ;
- M. A n'étant pas exploitant agricole, il ne peut se prévaloir d'un préjudice d'exploitation à raison de la perte de productivité des parcelles ZW44 et ZW76 nées de la division de la parcelle ZB22 ni solliciter une indemnisation au titre de l'allongement de parcours pour gagner la parcelle ZW44 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 septembre 2012 :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- et les observations de Me Keyser, pour M. A, et de Me Bergeret, pour Réseau Ferré de France ;
Sur les conclusions indemnitaires :
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 123-26 du code rural, applicable au présent litige : "Lorsqu'un aménagement foncier est réalisé en application de l'article L. 123-24, les dispositions des articles L. 123-1 et L. 123-23 sont applicables. / Toutefois, sont autorisées les dérogations aux articles L. 123-1 et L. 123-18 qui seraient rendues inévitables en raison de l'implantation de l'ouvrage et des caractéristiques de la voirie mise en place à la suite de sa réalisation. Les dommages qui peuvent en résulter pour certains propriétaires et qui sont constatés à l'achèvement des opérations d'aménagement foncier sont considérés comme des dommages de travaux publics (...)" ; qu'aux termes de l'article L. 123-1 du même code : "L'aménagement foncier agricole et forestier, applicable aux propriétés non bâties, (...) a principalement pour but, par la constitution d'exploitations rurales d'un seul tenant ou à grandes parcelles bien groupées, d'améliorer l'exploitation agricole des biens qui y sont soumis (...). / Sauf accord des propriétaires et exploitants intéressés, le nouveau lotissement ne peut allonger la distance moyenne des terres au centre de l'exploitation principale, si ce n'est dans la mesure nécessaire au regroupement parcellaire" ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un remembrement est effectué en vue de la réalisation d'un grand ouvrage public et qu'il apparaît inévitable de déroger aux dispositions de l'article L. 123-1 du code rural, les propriétaires pour lesquels, du fait de ces dérogations, des préjudices subsistent au terme des opérations de remembrement sont fondés à demander au maître de l'ouvrage réparation des dommages résultant de ces opérations, constatés à l'issue de celles-ci, à titre de dommages de travaux publics ;
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Considérant que l'implantation de la ligne à grande vitesse Est européenne (LGV Est) a rendu nécessaires des emprises foncières dans le département de la Marne, notamment sur le territoire de la commune de Sivry-Ante ; qu'il résulte des pièces produites pour la première fois en appel que M. A, propriétaire de 10 ha 88a 92 ca en superficie réduite répartis en quatre parcelles dont une grande parcelle faisant à elle seule 9ha 13a 10ca, a reçu, au terme du remembrement décidé pour la réalisation de cet ouvrage public, 11ha 01a 34ca comportant là encore 4 parcelles mais dont la plus étendue a une contenance de 4ha 99a 54ca ; que les opérations de remembrement, qui ont ainsi eu pour effet d'accroître le morcellement de la propriété de M. A, dérogent aux dispositions de l'article L. 123-1 du code rural ; que M. A demande l'annulation du jugement du 20 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de Réseau Ferré de France (RFF) à l'indemniser, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 123-26 du code rural, des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des opérations de remembrement ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la parcelle nouvellement cadastrée ZW44 a été louée à M. Alain B par un bail à ferme en date du 20 février 2001 venant à échéance le 1er octobre 2009 ; qu'après le décès de M. B le 26 mars 2005, M. A a résilié ce bail par acte du 2 août 2005 ; que postérieurement à la prise d'effet de cette résiliation, M. A n'établit pas avoir cherché à relouer cette parcelle ; que la circonstance que M. A n'a perçu aucun fermage pour les années 2007 à 2011 est ainsi sans lien avec les opérations de remembrement ; que M. A n'est par suite pas fondé à solliciter la condamnation de RFF à lui verser la somme de 2 665,83 euros au titre de ses pertes de fermage pour ces cinq années ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la parcelle ZW44 a été exploitée dans le cadre du bail rural consenti à M. B de 2001 jusqu'au terme de l'année culturale 2006, qu'elle a ensuite été mise gratuitement pour toute l'année 2007 à la disposition d'un autre exploitant, enfin qu'à compter de 2008, M. A n'a effectué aucune démarche pour la relouer, alors qu'il est constant que l'accès à cette parcelle avait été totalement rétabli à compter d'août 2008 ; qu'ainsi, l'état de friche du terrain n'est pas imputable au remembrement, mais aux décisions successives de M. A ; que M. A n'est par suite pas fondé à demander la condamnation de RFF à lui payer une somme de 7 007,54 euros TTC correspondant au coût de remise en état de cette parcelle ;
6. Considérant, en troisième lieu, que M. A, qui n'a pas la qualité d'exploitant agricole, ne peut solliciter la condamnation de Réseau Ferré de France à lui verser une indemnité euros au titre de l'allongement de parcours pour rejoindre sa parcelle ZW44 ;
7. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la parcelle d'apport de M. A anciennement cadastrée ZB 22, d'une superficie initiale de 9ha 13a 10ca, a été traversée par la LGV ; qu'à l'issue des opérations de remembrement, les fractions restantes de cette parcelle situées au nord et au sud de la ligne lui ont été réattribuées sous les numéros respectivement ZW 44 pour une surface de 4ha 99a 54ca. et ZW 76 pour une surface de 3ha 18a 13ca. ; que M. A, qui, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, établit à hauteur d'appel comme il a déjà été dit que le remembrement a eu pour effet d'accroître globalement le morcellement de sa propriété, peut prétendre à être indemnisé de la perte de valeur vénale de ses deux parcelles ;
En ce qui concerne le préjudice :
8- Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A du fait de la perte de valeur vénale de sa parcelle anciennement cadastrée ZB 22 en fixant la somme due par RFF à 2 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2010, date de réception de sa demande préalable ;
Sur le remboursement des frais d'honoraires es frais d'expertise :
9. Considérant que l'expertise diligentée par M. A n'étant d'aucune utilité pour la détermination du préjudice indemnisable, RFF ne saurait être condamné à indemniser M. A de tout ou partie des honoraires qu'il a réglés de ce chef ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au remboursement de la contribution à l'aide juridique :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Réseau Ferré de France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Réseau Ferré de France les sommes de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens et 35 euros en remboursement de la contribution à l'aide juridique ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 20 octobre 2011 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A tendant à la condamnation de Réseau Ferré de France à l'indemniser du préjudice résultant de la perte de valeur vénale de ses deux parcelles nouvellement cadastrées ZW44 et ZW76.
Article 2 : Réseau Ferré de France est condamné à verser à M. A la somme de 2 000 euros (deux mille) euros majorée des intérêts légaux à compter du 19 juillet 2010.
Article 3: Réseau Ferré de France versera à M. A une somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 35 (trente cinq) euros en remboursement de la contribution à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Philippe A et à Réseau Ferré de France.
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N° 11NC02007