La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/08/2012 | FRANCE | N°11NC01908

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 02 août 2012, 11NC01908


Vu la requête, enregistrée le 19 janvier 2012, présentée par le PREFET DU BAS-RHIN ;

Le PREFET demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103847 en date du 3 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 27 juin 2011 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A, obligeant cette dernière à quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter la requête de première instance de Mme A ;

Il soutient que :

- dans la mesure où il n'a pas reçu communication des pièc

es complémentaires produites le 6 septembre 2011 par la requérante en première instance et figurant...

Vu la requête, enregistrée le 19 janvier 2012, présentée par le PREFET DU BAS-RHIN ;

Le PREFET demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103847 en date du 3 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 27 juin 2011 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A, obligeant cette dernière à quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;

2°) de rejeter la requête de première instance de Mme A ;

Il soutient que :

- dans la mesure où il n'a pas reçu communication des pièces complémentaires produites le 6 septembre 2011 par la requérante en première instance et figurant au fichier " Sagace ", le jugement est irrégulier dès lors qu'il a été pris au terme d'une procédure n'ayant pas respecté le principe du contradictoire ;

- il n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour en application de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que Mme A ne remplit pas effectivement les conditions d'obtention d'un titre de séjour ;

- sa décision portant refus de séjour ne méconnaît pas les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où Mme A, qui possède des attaches familiales particulièrement fortes au Cameroun, notamment en la personne de sa fille mineure, ne dispose d'aucune attache familiale en France caractérisée par l'ancienneté, l'intensité et la stabilité ;

- il n'était pas tenu de statuer sur la demande de titre de Mme A au regard des dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressée n'ayant pas sollicité de changement de statut sur ce fondement ;

- sa décision portant refus de séjour ne méconnaît pas les articles L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que Mme A, qui n'a pas sollicité son admission au séjour au titre de l'article L. 313-14, a vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine où demeure sa fille âgée de treize ans ;

- compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il était fondé à assortir le refus de titre de séjour opposé à Mme A d'une obligation de quitter le territoire français ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 février 2012, présenté pour Mme Julienne A, par Me Hilaire ; Mme A demande à la Cour :

1°) de rejeter l'appel du PREFET DU BAS-RHIN ;

2°) d'enjoindre au PREFET DU BAS-RHIN de lui délivrer une carte de résident, sur le fondement des articles L. 314-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou à défaut un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du même code ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'attitude partiale de l'administration ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- il appartenait à l'administration de prendre connaissance des pièces complémentaires qu'elle a produites avant la clôture de l'instruction et d'en demander une copie le cas échéant, voire d'invoquer l'absence de communication desdites pièces par une note en délibéré ;

- la décision portant refus de séjour a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'administration était tenue de saisir la commission départementale du titre de séjour en application de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'administration, qui a dénaturé les éléments qu'elle a fournis dans sa demande de titre de séjour, a manqué à son obligation d'examen neutre et objectif devant lui permettre de prendre une décision au regard d'une situation fidèlement retranscrite ; l'administration n'a pu sans erreur manifeste d'appréciation estimer qu'elle ne remplissait pas les conditions pour être admise au séjour en application de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle a tissé durant les neuf dernières années des liens amicaux et des relations professionnelles en France où elle travaille comme agent d'entretien dans le milieu hôtelier, où elle est parfaitement intégrée comme en attestent les témoignages de collègues, d'amis et d'élus locaux qu'elle produit et alors qu'elle ne peut plus compter sur sa famille pour l'accueillir dans le cas d'un retour et que sa fille demeurée au Cameroun vit avec son père ; qu'au demeurant, le droit camerounais lui dénie toute autorité parentale sur sa fille et elle ne peut même pas exiger de la voir ;

- résidant régulièrement en France depuis cinq ans sans interruption et justifiant de ressources stables et suffisantes, elle remplit les conditions à l'obtention d'une carte de résident sur le fondement des articles L. 314-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle remplit également les conditions nécessaires à l'obtention de la carte de séjour " salarié " dès lors qu'elle a indiqué aux services de la préfecture qu'elle disposait d'un contrat de travail ;

- l'administration aurait pu user de son pouvoir discrétionnaire pour lui accorder une carte de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle travaille en France depuis neuf ans, qu'elle a été mariée quatre ans à un ressortissant français avant de vivre en concubinage avec un autre ressortissant français pendant trois ans et qu'elle est de bonnes vie et moeurs comme en attestent les témoignages qu'elle produit et eu égard aux liens personnels qu'elle a tissés en France ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 juin 2012 :

- le rapport de M. Vincent, président de chambre,

- et les observations de Me Hilaire, avocat de Mme A ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et le mémoire, ainsi que les pièces produites par les parties sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 6 septembre 2011, Mme A a produit devant le Tribunal administratif des " pièces complémentaires ", à savoir une douzaine de témoignages datés du mois d'août 2011 et attestant en termes souvent très circonstanciés de la bonne intégration de l'intéressée en France ; que ces pièces complémentaires, par suite susceptibles de fonder l'appréciation du Tribunal sur les faits de l'espèce, étaient ainsi soumises à l'obligation de communication aux parties en application des dispositions précitées ; que, toutefois, il ne ressort ni des visas du jugement attaqué, ni d'aucun autre document versé au dossier que ces pièces auraient été communiquées au PREFET DU BAS-RHIN alors que les motifs retenus par les premiers juges font mention de " témoignages nombreux et circonstanciés versés au dossier ", expression manifestement inappropriée au regard des seules pièces dont il disposait antérieurement ; qu'ainsi, le PREFET DU BAS-RHIN n'a pas été mis à même d'en prendre connaissance et d'y répondre, le cas échéant, avant l'audience du 11 octobre 2011 ; que, par suite, le préfet est fondé à soutenir que le jugement qu'il critique méconnaît le principe du contradictoire et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg par Mme A ;

Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la demande :

Considérant que Mme A, ressortissante camerounaise, est entrée régulièrement en France en décembre 2002 sous couvert d'un visa de court séjour portant la mention " famille de Français " délivré en raison de son mariage le 2 novembre 2002 avec M. B, ressortissant français ; qu'à compter du 6 juin 2003, l'intéressée a obtenu un titre de séjour en qualité de conjointe de français, qui a été régulièrement renouvelé par la suite ; que, nonobstant le divorce qui a été prononcé le 8 juin 2007 aux torts exclusifs de M. B, le PREFET DU BAS-RHIN a décidé d'accorder à Mme A un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de sa communauté de vie avec un autre ressortissant français ; que ce titre de séjour, délivré le 7 août 2007, a été régulièrement renouvelé jusqu'au 6 août 2010 ; que l'intéressée, qui a sollicité le renouvellement de son titre le 6 septembre 2010, s'est vu opposer une décision de refus le 27 juin 2011, assortie d'une obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant le pays de renvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit (...) : 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; "

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A justifie d'une bonne insertion en France, pays où elle réside depuis plus de huit ans à la date de la décision en litige, dont elle parle la langue et où elle entretient de nombreux liens sociaux et amicaux attestés par divers témoignages émanant de ses collègues, amis, de deux conseillers généraux du Bas-Rhin et d'un maire ; que Mme A, qui produit de nombreux bulletins de salaire couvrant les années 2007 à 2011, justifie en outre d'une activité professionnelle stable et régulière en qualité d'agent d'entretien ; qu'ainsi, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, notamment l'ancienneté et la régularité du séjour de l'intéressée en France, et eu égard à la qualité de son intégration tant professionnelle que sociale, l'arrêté préfectoral a porté au droit de Mme A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris, et ce alors même que la requérante ne serait pas dépourvue d'attaches familiales au Cameroun où vivent sa mère, ses frères, ses soeurs et sa fille de 13 ans élevée par son père qui en a la garde et sur laquelle le droit camerounais ne lui reconnaît au demeurant aucune autorité parentale ; que le PREFET DU BAS-RHIN a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 juin 2011 par lequel le PREFET DU BAS-RHIN a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi ;

Sur les conclusions indemnitaires présentées en appel par Mme A :

Considérant que Mme A, qui s'est bornée à demander en première instance l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 juin 2011, n'est pas recevable à demander pour la première fois devant la Cour le versement de dommages et intérêts d'un montant de 500 euros au titre du " préjudice subi du fait de l'attitude partiale de l'administration ", ces conclusions indemnitaires n'étant par ailleurs pas précédées d'une demande préalable présentée devant l'administration ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction présentées en appel par Mme A :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;

Considérant, en premier lieu, que la décision annulée étant un refus de renouvellement d'une demande de titre de séjour, Mme A n'est en tout état de cause pas fondée à demander que le PREFET DU BAS-RHIN soit enjoint de lui délivrer une carte de résident sur le fondement des articles L. 314-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant, en second lieu, que les motifs de l'annulation de la décision du PREFET DU BAS-RHIN impliquent nécessairement que ce dernier délivre un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A ; qu'il y a lieu, dès lors, en application des dispositions précitées de l'article L. 911-1, de prescrire au PREFET DU BAS-RHIN de délivrer un tel titre de séjour à Mme A dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir la présente injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées en appel par Mme A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 novembre 2011 est annulé ainsi que l'arrêté du PREFET DU BAS-RHIN du 27 juin 2011 refusant le renouvellement du titre de séjour de Mme A, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.

Article 2 : Le PREFET DU BAS-RHIN est enjoint de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A dans un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) à Mme A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au PREFET DU BAS-RHIN, au ministre de l'intérieur et à Mme Julienne A.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Strasbourg.

''

''

''

''

2

N°11NC01908


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC01908
Date de la décision : 02/08/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit au respect de la vie privée et familiale (art - 8) - Violation - Séjour des étrangers.

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. VINCENT
Rapporteur ?: M. Pierre VINCENT
Rapporteur public ?: Mme GHISU-DEPARIS
Avocat(s) : SELARL SAINT-GERMAIN ; SELARL SAINT GERMAIN ; SELARL SAINT-GERMAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-08-02;11nc01908 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award