Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2011, présentée pour l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX (ONIAM), par Mes Saumon et Roquelle-Meyer ;
L'ONIAM demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0800293 du 26 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamné à payer à M. Jean-Pierre A, d'une part, à compter du 1er janvier 2011, une rente mensuelle de 5 247 euros et, d'autre part, une somme de 476 240 euros au titre des préjudices subis par lui ;
2°) de le mettre hors de cause ;
3°) de condamner M. A à lui rembourser les sommes déjà versées ;
4°) de mettre à la charge du Centre hospitalier universitaire de Reims les dépens et la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la prise en charge par la solidarité nationale d'accident médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales est exclusive de toute faute à l'origine des dommages allégués ;
- lors de l'ultime séance de caisson hyperbare, l'établissement hospitalier a commis des fautes tenant à l'absence de report de la séance, à l'absence de recherche de contre-indication éventuelle, au défaut de monitorage, à l'absence de personnel suffisant sur les plans quantitatif et qualitatif ;
- le fait générateur de l'arrêt cardiaque est une faute et non un accident médical non fautif ;
- l'arrêt cardiaque n'était pas anormal compte tenu de l'état du patient ;
- le lien de causalité entre le traitement hyperbare et l'arrêt cardiaque n'est pas démontré ;
- il ne saurait être condamné au profit d'un organisme social ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 octobre 2011, présenté pour M. Jean-Pierre A, Mme Ginette A, Mme Séverine A et M. Jérôme A, par Me Chambolle, qui concluent :
1°) à titre principal, à la réformation du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 26 mai 2011 ;
2°) à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Reims à verser à M. Jean-Pierre A, d'une part, une rente mensuelle de 10 772,80 euros et, d'autre part, une somme globale de 1 957 791,90 euros au titre des préjudices subis par lui, à Mme Ginette A la somme globale de 387 236 euros au titre des préjudices subis par elle, à Mme Séverine A et à M. Jérôme A la somme de 25 000 euros chacun au titre des préjudices subis par eux ;
3°) à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 26 mai 2011 ;
4°) à la mise à la charge de l'ONIAM et du Centre hospitalier universitaire de Reims aux dépens et d'une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- le Centre hospitalier universitaire de Reims a commis des fautes tenant à l'absence de report de la dernière séance de caisson hyperbare, à l'absence de recherche de contre-indication éventuelle, au défaut de monitorage, à l'absence de personnel suffisant sur les plans quantitatif et qualitatif ;
- la responsabilité de cet établissement sera donc entièrement reconnue ;
- les préjudices seront réparés dans les conditions suivantes :
A- S'agissant de M. A :
1. au titre des préjudices patrimoniaux :
a) les préjudices patrimoniaux temporaires :
- si la sécurité sociale a pris en charge des dépenses de santé pour 291 322,20 euros, aucun frais ne reste à la charge de la victime ;
- la perte de gains professionnels actuels : 10 132 euros ;
b) les préjudices patrimoniaux permanents :
- les dépenses de santé futures, qui n'ont pas à être assorties de justificatifs, restant à sa charge : 86 269,30 euros ;
- le coût d'aménagement du logement : 150 000 euros ;
- le coût d'aménagement du véhicule : 174 680 euros ;
- les frais d'assistance de tierce personne de la date de consolidation jusqu'à la date de l'arrêt : 653 762,13 euros ;
- la rente pour assistance de tierce personne à compter de la date de l'arrêt : 10 772,80 par mois ;
- la perte des gains professionnels futurs : 356 347,20 euros ;
- l'incidence professionnelle : 100 000 euros ;
2. au titre des préjudices extra-patrimoniaux :
a) les préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
- le déficit fonctionnel temporaire : 11 900 euros ;
- les souffrances endurées : 20 000 euros ;
b) les préjudices extra-patrimoniaux permanents :
- le déficit fonctionnel permanent : 201 125 euros ;
- le préjudice esthétique : 20 000 euros ;
- le préjudice d'agrément : 50 000 euros ;
- le préjudice sexuel : 50 000 euros ;
- le préjudice d'établissement : 40 000 euros ;
B- S'agissant de Mme A :
1. au titre des préjudices patrimoniaux, c'est-à-dire l'incidence professionnelle de la faute : 287 236 euros ;
2. au titre des préjudices extra-patrimoniaux :
- le préjudice moral et d'affection : 40 000 euros ;
- le préjudice sexuel : 30 000 euros ;
- le préjudice exceptionnel, c'est-à-dire les bouleversements dans le mode de vie : 30 000 euros ;
C- S'agissant des enfants :
- leur préjudice moral sera indemnisé à hauteur de 25 000 euros chacun ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2012, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher par Me Holleaux, qui conclut :
1°) à la réformation du jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 26 mai 2011 ;
2°) à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Reims à lui verser la somme globale de 1 125 132,08 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de son mémoire ainsi qu'une somme de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
3°) à la mise à la charge du Centre hospitalier universitaire de Reims aux dépens et d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- il ressort des l'expertise ordonnée par les premiers juges que le Centre hospitalier universitaire de Reims a commis des manquements de nature à engager sa responsabilité ;
- elle justifie de sa créance, correspondant aux prestations en relation directe avec l'accident du 7 avril 2004, pour laquelle elle est subrogée dans les droits de son assuré ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2012, présenté pour le Centre hospitalier universitaire de Reims par Me Le Prado, qui conclut au rejet de la requête et de l'appel provoqué des consorts A ;
Il soutient que :
- l'oxygénothérapie hyperbare était bien adaptée au patient ;
- il existe une incertitude sur l'origine de l'embolie pulmonaire dont a été victime le patient ;
- aucun manquement fautif de l'établissement hospitalier ne peut être considéré comme étant à l'origine des séquelles dont se trouve atteinte la victime ;
- à titre subsidiaire, même si une faute était retenue, il ne devrait peser sur le Centre hospitalier de Reims que la fraction du dommage corporel correspondant à la hauteur de la chance perdue et non l'intégralité du dommage ;
- les demandes indemnitaires des consorts A sont irrecevables faute d'avoir été précédées d'une réclamation préalable ;
- s'agissant de la perte de gains professionnels actuels, la période à retenir n'est que de 11 mois et seul le salaire net, dument justifié, doit être pris en compte ;
- la perte de gains professionnels futurs, à la supposer établie, est en relation avec l'accident initial et non la complication qui a suivi ;
- la demande formée au titre de l'incidence professionnelle, qui repose sur une nomenclature qui n'est pas utilisée par la jurisprudence administrative, fait double emploi avec la perte de revenus professionnels ;
- s'agissant des frais de santé futurs, ils sont pris en charge par les organismes de sécurité sociale et, si une partie devait rester à la charge de l'assuré, il faudrait en justifier ;
- les frais d'aménagement du logement et du véhicule ne sont pas justifiés ;
- les sommes réclamées au titre de l'assistance d'une tierce personne sont exagérées et doivent être versées sous forme de rente ;
- l'indemnisation sollicitée au titre des préjudices personnels est exagérée et ne tient pas compte des seuls préjudices en lien avec la complication ;
- la demande de réparation du préjudice d'établissement n'est pas fondée dans son principe ;
- l'indemnisation sollicitée au titre des préjudices de l'épouse de la victime est exagérée et partiellement injustifiée ;
- l'indemnisation sollicitée par les enfants de la victime est excessive au regard de ce qu'alloue habituellement le juge administratif ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 février 2012, présenté pour les consorts A, tendant aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent en outre que si la Cour venait à considérer que la perte de revenus est uniquement imputable à l'accident de la circulation, la pension d'invalidité ne sera pas imputée sur le poste de préjudice des pertes de gains professionnels futurs ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 avril 2012, présenté pour le Centre hospitalier universitaire de Reims, tendant aux mêmes fins que son mémoire en défense, ainsi qu'au rejet des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, par les mêmes moyens ;
Il soutient en outre que :
- si sa responsabilité devait être retenue, l'indemnisation des souffrances endurées par la victime ne saurait être supérieure à 13 000 euros, le préjudice esthétique à 12 500 euros, le préjudice d'agrément à 15 000 euros, le préjudice sexuel à 5 000 euros et le déficit fonctionnel permanent 120 000 euros ;
- le préjudice subi par l'épouse de la victime ne sera pas indemnisé si elle bénéficie d'une indemnisation au titre de la tierce personne ;
- l'organisme de sécurité sociale ne démontre pas que les frais dont il demande le remboursement sont la conséquence directe et certaine d'une faute imputable à l'établissement hospitalier ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 mai 2012, présenté pour la Caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, tendant aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 mai 2012, présenté pour le Centre hospitalier universitaire de Reims, tendant aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance en date du 18 avril 2012 fixant la clôture d'instruction au 18 mai 2012, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 juin 2012 :
- le rapport de M. Trottier, président,
- les conclusions de Mme Dulmet, rapporteur public,
- et les observations de Me Keyser pour Me Chambolle, avocat des consorts A, et de Me Demailly pour Me Le Prado, avocat du Centre hospitalier universitaire de Reims ;
Considérant que M. A, qui exerçait la profession de chauffeur d'autocar, a été victime, le 29 mars 2004 à l'âge de 57 ans, d'un grave accident de la circulation ; qu'admis au service des urgences du Centre hospitalier universitaire de Reims, il lui a été prescrit des séances d'oxygénothérapie hyperbare sous sédation et ventilation contrôlée ; que, le 7 avril 2004, à la fin de la douzième et dernière séance, M. A a été victime d'un arrêt cardiaque qui a entraîné des troubles neurologiques irréversibles ; qu'après le refus opposé par l'ONIAM, le 29 août 2007, d'indemniser M. A, son épouse et ses deux enfants majeurs ont saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande d'indemnisation dirigée tant contre l'ONIAM que contre le Centre hospitalier universitaire de Reims ; que, par un jugement du 26 mai 2011, le tribunal administratif a mis hors de cause l'établissement hospitalier et a condamné l'ONIAM à verser à la seule victime une rente mensuelle de 5 247 euros et une somme de 476 240 euros au titre des préjudices subis par M. A ; que l'ONIAM relève appel de ce jugement tandis que les consorts Paumiers et la Caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher en demandent la réformation ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision... " ;
Considérant que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis hors de cause le Centre hospitalier universitaire de Reims et a estimé que M. A avait été victime d'un accident médical non fautif ; que l'ONIAM, les consorts Paumiers et la Caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher font valoir que le Centre hospitalier universitaire de Reims a commis des manquements fautifs lors de la prise en charge de M. A le 7 avril 2004 ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour d'apprécier la cause de l'état de M. A et les éventuels droits à réparation ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur l'appel principal de l'ONIAM et sur les conclusions des consorts A et de la Caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de l'appel principal de l'ONIAM et sur les conclusions des consorts A et de la Caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, procédé à une expertise, par un collège de trois experts composé d'un médecin spécialisé en cardiologie, un anesthésiste réanimateur et un médecin qualifié en médecine hyperbare, en vue de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. A et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur lui lors de sa prise en charge par le Centre hospitalier universitaire de Reims, y compris les rapports des expertises médicales ordonnées le 31 mars 2006 par le président de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux et le 30 novembre 2009 par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder éventuellement à l'examen clinique de M. A ;
2°) décrire l'état de santé de M. A, les conditions dans lesquelles il a été pris en charge et soigné au Centre hospitalier universitaire de Reims ; décrire l'état pathologique de M. A ayant conduit aux soins, aux interventions et aux traitements pratiqués ;
3°) donner son avis sur le point de savoir si les diagnostics établis et les traitements, interventions et soins prodigués et leur suivi ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science, et s'ils étaient adaptés à l'état de M. A ;
4°) de manière générale, réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si des fautes médicales, des fautes de soins ou des fautes dans l'organisation des services ont été commises lors de l'hospitalisation de M. A ; déterminer les raisons de la dégradation de l'état de santé de M. A et des complications dont il souffre depuis cette hospitalisation ;
5°) en particulier, déterminer quelle est la cause de l'arrêt cardiaque dont a été victime M. A le 7 avril 2004 ; dire si :
* l'arrêt cardiaque est en lien avec l'oxygénothérapie hyperbare et si ce traitement a pu causer une embolie pulmonaire, la favoriser ou l'aggraver ;
* l'oxygénothérapie hyperbare était indiquée à la date du 7 avril 2004 eu égard à l'état de santé de M. A ;
* l'arrêt cardiaque a pu être causé par une défaillance du matériel utilisé lors du traitement hyperbare ; le cas échéant, quels ont pu être les effets d'une défaillance du matériel en question '
* le traitement hyperbare a pu causer l'arrêt cardiaque ou le favoriser ;
* l'arrêt cardiaque a été causé par une embolie pulmonaire et, dans l'affirmative, quelle a été l'incidence de traitement hyperbare sur cette embolie '
* la prise en charge de M. A pendant et après l'arrêt cardiaque a été conforme aux règles de l'art ;
* le traitement hyperbare a eu pour effet d'aggraver l'état de santé de M A, dans quelles proportions a-t-il perdu une chance d'éviter l'encéphalopathie dont il reste atteint '
6°) donner son avis sur le point de savoir si le dommage corporel constaté a un rapport avec l'état initial de M. A, ou l'évolution prévisible de cet état ; le cas échéant, déterminer la part du préjudice présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec un manquement reproché à l'établissement, en excluant la part des séquelles à mettre en relation avec la pathologie initiale, son évolution ou toute autre cause extérieure ;
7°) indiquer les périodes pendant lesquelles M A a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire en lien avec la complication survenue le 7 avril 2004 dans l'incapacité d'exercer son activité professionnelle et de poursuivre ses activités personnelles en précisant, le cas échéant, les taux et les durées ; de fixer la date de consolidation de son état en lien avec la complication en cause ; d'indiquer le taux éventuel du déficit fonctionnel total lié à cette complication et de préciser si ce déficit est à l'origine d'une incidence professionnelle ; de décrire les troubles dans les conditions d'existence en rapport avec la complication en cause et de déterminer, en les chiffrant distinctement sur une échelle de 1 à 7, les souffrances endurées, les préjudices sexuel, esthétique et d'agrément pouvant, le cas échéant, être regardés comme directement et exclusivement imputables à la complication en cause ;
Article 2 : Les experts seront désignés par le président de la Cour. Ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé dans un délai de quatre mois suivant la prestation de serment.
Article 3 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, à M. Jean-Pierre A, à Mme Ginette A, à Mme Séverine A, à M. Jérôme A, au Centre hospitalier universitaire de Reims et à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher.
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N° 11NC01236