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05/07/2012 | FRANCE | N°11NC00926

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 05 juillet 2012, 11NC00926


Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2011, présentée pour M. Yves A, domicilié ..., par Me Samoun Boulourde ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801734, en date du 31 mars 2011, par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête tendant à ce que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims soit condamné pour faute médicale à lui verser une indemnité de 55 000 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Reims

à lui verser la somme de 55 000 euros, à titre subsidiaire de décider d'une nouvelle e...

Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2011, présentée pour M. Yves A, domicilié ..., par Me Samoun Boulourde ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801734, en date du 31 mars 2011, par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête tendant à ce que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims soit condamné pour faute médicale à lui verser une indemnité de 55 000 euros en réparation de ses préjudices matériel et moral ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Reims à lui verser la somme de 55 000 euros, à titre subsidiaire de décider d'une nouvelle expertise afin de déterminer s'il était effectivement atteint d'un cancer de la prostate, s'il a été correctement informé sur les choix thérapeutiques existants et si une faute médicale a été commise ;

3°) de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Reims à lui verser la somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

M. A soutient que :

- en méconnaissance des dispositions de l'article L.1111-2 du code de la santé publique, il n'a été informé ni sur les possibilités alternatives de traitement de son cancer de la prostate autres que la chirurgie ni, en cas d'acte chirurgical, sur les techniques qui pouvaient être utilisées et les conséquences invalidantes qu'un tel acte pouvait avoir pour lui ;

- le centre hospitalier, suivi en cela par l'expert, a commis une faute en ne procédant à aucune vérification des résultats contradictoires, après son opération, portant sur le point de savoir s'il était ou non atteint d'un cancer de la prostate ;

- le rapport d'expertise devra être écarté pour ne pas répondre à la mission qui avait été confiée ;

- il a droit à une somme de 55 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses préjudices sexuel, physique et esthétique ;

- un complément d'expertise s'impose compte tenu des résultats contradictoires sur son affection, le centre hospitalier pouvant y avoir intérêt et l'expert n'ayant procédé à aucune vérification utile ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 23 novembre 2011, le mémoire en défense présenté pour le centre hospitalier universitaire de Reims par Me Le Prado, qui conclut au rejet de la requête de M. A ;

Le centre hospitalier universitaire de Reims soutient que :

- le cancer de la prostate de M. A était avéré, tant avant l'intervention chirurgicale qu'après celle-ci, et aucune faute à cet égard ne peut lui être imputée ;

- M. A a été informé des risques liés à l'intervention, des alternatives thérapeutiques, de l'intérêt de recourir à la chirurgie et aucun manquement ne peut lui être reproché à cet égard ;

- compte tenu de l'âge du patient, il n'y avait pas d'autre alternative que la prostatectomie radicale ;

- les préjudices allégués par M. A, physique et sexuel, comme l'a relevé l'expert, sont inexistants ;

- en l'absence d'éléments nouveaux, le recours à une nouvelle expertise n'apparaît pas utile ;

Vu, en date du 26 octobre 2011, la mise en demeure adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne pour qu'elle produise ses conclusions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 juin 2012 ;

- le rapport de M. Collier, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Dulmet, rapporteur public,

- et les observations de Me Samoun-Bulourde, avocat de M. A, et de Me Demailly pour Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Reims ;

Considérant que, par le jugement attaqué, la demande de M. A tendant à ce que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims soit condamné, pour faute, à réparer ses préjudices consécutifs aux conditions dans lesquelles il a subi, le 28 juillet 1998, une prostatectomie en raison de la suspicion d'un cancer de la prostate, a été rejetée au motif que lesdits préjudices n'étaient pas établis ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que M. A peut se prévaloir d'un préjudice esthétique consécutif à l'intervention chirurgicale, qui lui a laissé une importante cicatrice sur l'abdomen, et qu'il a subi, pendant au moins une année après celle-ci, des déficiences physiques et sexuelles auxquelles il aurait pu échapper s'il avait renoncé à tout acte chirurgical pour le traitement de son affection ou en choisissant un autre procédé médical ; que M. A est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué et pour ce motif, sa demande a été rejetée ;

Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. A tant devant le tribunal administratif que devant la Cour ;

Sur la régularité de l'expertise :

Considérant que compte tenu des éléments médicaux dont il a disposé lors de l'expertise ordonnée par le président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, l'expert était en mesure de répondre aux questions qui lui étaient posées sans qu'il soit nécessaire de recourir à une nouvelle relecture des lames des prélèvements effectués sur la prostate de M. A, après son opération, ou à une analyse ADN permettant de savoir, avec certitude, si ces prélèvements étaient bien les siens ; que, par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que l'expertise ait été réalisée avec partialité ; que M. PARMENTIER n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que cette expertise serait irrégulière et qu'elle devrait être écartée des débats ;

Sur la responsabilité pour faute :

Considérant, en premier lieu, que si M. A soutient que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas à une troisième lecture des lames de prélèvement après un deuxième résultat contredisant les examens réalisés lors de l'ablation de sa prostate, résultats qui concluaient à l'absence de lésion tumorale, il résulte toutefois de l'instruction que son taux d'antigène prostatique spécifique s'était maintenu, depuis l'année 1995, au dessus du taux normal et continuait d'augmenter régulièrement alors qu'une biopsie, réalisée le 15 avril 1998, avait révélé l'existence, sur l'un des prélèvements effectués au lobe gauche de sa prostate, de territoires carcinomateux avec des cellules Gleason 4+4 ; que la présence d'un cancer prostatique et l'utilité d'une prostatectomie radicale ont été confirmées lors d'une consultation préopératoire à l'hôpital Cochin alors que la deuxième lecture de ces lames, réalisée par le chef de service du laboratoire central d'anatomie et de cytologie pathologique de centre hospitalier régional et universitaire de Reims, concluait à la présence, dans ce lobe, de structures adénocarcinomateuses ; que ces résultats, qui confirment de manière répétée l'existence d'une affection cancéreuse ne sont pas utilement contredits par les résultats de l'analyse immédiatement post opératoire qui ne faisait état d'aucune lésion tumorale résiduelle, cette absence pouvant s'expliquer par le traitement par l'androcur qui pouvait, au moment de l'intervention, masquer la présence d'un foyer cancéreux ; que M. A n'est dès lors pas fondé à soutenir que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas à une nouvelle lecture des lames de prélèvement ou en diagnostiquant une affection cancéreuse qu'il n'avait pas ;

Considérant, en second lieu, que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A ait été informé tant des alternatives à la prostatectomie pour traiter son affection cancéreuse que des techniques de chirurgie existant au moment de son opération ni même de l'évolution probable de sa maladie en cas de renoncement à toute intervention chirurgicale ; que le centre hospitalier, auquel revient la preuve de cette information, reconnaît à cet égard que le document exposant les risques et la nature de l'intervention et qui devait être signé par M. A, n'a pas été retrouvé alors que les circonstances que le praticien opérateur serait un habitué de ce type d'intervention et que l'intéressé se serait accordé un temps de réflexion avant de l'accepter et consulté d'autres praticiens ne sauraient établir la réalité de cette information ; que M. A est ainsi fondé à soutenir que le centre hospitalier régional et universitaire de Reims a commis une faute en manquant à son obligation d'information et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, sa demande sur ce fondement a été rejetée ; que ce jugement doit dès lors être annulé et la responsabilité du centre hospitalier régional et universitaire de Reims retenue pour manquement à son obligation d'information du malade ;

Sur l'évaluation du préjudice

Considérant que la réparation du dommage résultant pour M. A de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques d'évolution de son affection auxquels s'exposait l'intéressé en cas de renoncement à cette intervention, cette fraction doit être fixée à la moitié;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a subi une opération considérée par l'expert comme l'une des plus lourdes en urologie, qu'il subit un préjudice esthétique dû à la présence d'une longue cicatrice et qu'il a été affecté d'incontinence et de troubles de l'érection pendant une période d'au moins une année ; qu'il sera fait une juste appréciation de ses souffrances physiques, de l'atteinte à son intégrité physique, de ses troubles sexuels et de son préjudice esthétique en évaluant à 10 000 euros l'ensemble de ses préjudices ; que compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur la fraction du préjudice indemnisable, il y a lieu de condamner le centre régional universitaire de Reims à verser à M. A une somme de 5 000 euros ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Reims les honoraires et frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 524,49 euros par ordonnance du président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 17 juin 2002.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de M. A et de condamner le centre hospitalier régional et universitaire de Reims à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier régional et universitaire de Reims est condamné à verser à M. A la somme de 5 000 (cinq mille) euros.

Article 3 : Les honoraires et frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 524,49 euros par ordonnance du président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 17 juin 2002, sont mis à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Reims.

Article 4 : Le centre hospitalier régional et universitaire de Reims versera à M. A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Yves A et au centre hospitalier régional et universitaire de Reims.

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