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14/06/2012 | FRANCE | N°11NC01167

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 14 juin 2012, 11NC01167


Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2011, présentée pour M. Didier A, demeurant ..., par Me Paragyios ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902325 du 17 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 153 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite du harcèlement moral dont il a fait l'objet de la part de ses supérieurs hiérarchiques ;

2°) de condamner le Centre hospitalier univer

sitaire de Nancy à lui verser la somme de 153 000 euros, majorée des intérêts au t...

Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2011, présentée pour M. Didier A, demeurant ..., par Me Paragyios ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0902325 du 17 mai 2011 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 153 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite du harcèlement moral dont il a fait l'objet de la part de ses supérieurs hiérarchiques ;

2°) de condamner le Centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 153 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du Centre hospitalier universitaire de Nancy la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la solution du tribunal administratif est contradictoire avec son jugement du même jour ayant annulé le licenciement pour insuffisance professionnelle ;

- il a apporté des preuves du harcèlement moral dont il faisait l'objet depuis le rattachement de son service à la direction des achats et de la nomination d'un nouveau supérieur hiérarchique ;

- en effet, ses compétences ont été dénigrées, il a fait l'objet de sanctions, déguisées ou non, ainsi que d'un licenciement pour insuffisance professionnelle, des fonctions lui ont été retirées et il a été exclu des réunions sans que la direction du Centre hospitalier universitaire de Nancy n'assure sa protection ;

- il a subi un préjudice moral ainsi qu'un préjudice financier du fait de son départ à la retraite anticipé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2011, présenté pour le Centre hospitalier universitaire de Nancy, qui conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge du requérant des dépens et de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le requérant ne justifie nullement avoir été victime d'agissements répétés de harcèlement moral alors qu'il a commis des fautes professionnelles de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

- en l'absence d'éléments nouveaux produits en appel, la requête sera rejetée par adoption des motifs des premiers juges ;

Vu le mémoire, enregistré le 18 mai 2012, présenté pour M. A, tendant aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2012 :

- le rapport de M. Trottier, président,

- les conclusions de Mme Dulmet, rapporteur public,

- et les observations de Me Ribeiro pour Me Paragyios, avocat de M. A, et de Me Moukha, avocat du Centre hospitalier universitaire de Nancy ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel... " ;

Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

Considérant, d'autre part, que pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels agissements répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ; que dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral ;

Considérant, enfin, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

Considérant qu'à la suite de la nomination en 2007 du directeur des achats au Centre hospitalier universitaire de Nancy et, un an plus tard, du responsable des secteurs achat médical et biomédical, le service technique biomédical a été réorganisé ; que M. A, ingénieur biomédical en poste au Centre hospitalier universitaire de Nancy depuis septembre 1986, a été ainsi rattaché à la direction des achats de matériels ; qu'il résulte de l'instruction qu'à partir de cette période M. A, alors âgé de 60 ans, a vu ses notations et ses primes abaissées, il a été maintenu pendant plusieurs semaines seul dans les anciens locaux du service, son nom a été oublié de l'annuaire téléphonique interne à l'établissement hospitalier, un huissier de justice a été requis pour dresser un constat de l'état de rangement de son bureau, il a été invité à réaliser un bilan de compétence, des dossiers dont il avait la charge lui ont été retirés, un blâme lui a été infligé pour défaut d'exécution d'instructions relatives au respect des délais pour mener à bien les missions qui lui étaient confiées et pour absence de rangement de son bureau et, finalement, il a été licencié pour insuffisance professionnelle à compter du 21 octobre 2009 ; que, si le requérant n'a pas traité quatre dossiers d'achats, n'a pas honoré un rendez-vous avec un fournisseur et n'a pas respecté les délais d'exécution de certaines tâches, ses appréciations étaient globalement satisfaisantes jusqu'en 2007 et il donnait satisfaction aux médecins du centre hospitalier, à savoir les principaux " utilisateurs " de ses services ; qu'en outre, la décision de licenciement pour insuffisance professionnelle a été annulée par jugement du Tribunal administratif de Nancy en date du 17 mai 2011, devenu définitif, au motif que cette mesure n'était pas fondée ; que M. A, qui avait sollicité une mutation dans un autre poste, a alerté à plusieurs reprises la direction des ressources humaines ou le médecin du travail sur les pressions dont il estimait être victime ; que, suivi pour dépression nerveuse, le requérant a d'ailleurs été placé en congé de maladie puis de longue maladie avant de solliciter son départ à la retraite à la date d'effet du licenciement ultérieurement annulé ; que, dans ces conditions, le requérant doit être regardé comme victime d'agissements répétés ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que, par suite, il est fondé à mettre en cause la responsabilité du Centre hospitalier universitaire de Nancy ;

En ce qui concerne le préjudice :

Considérant que si M. A soutient qu'il a subi un préjudice financier dans la mesure où il a été contraint de partir à la retraite en 2009 de façon anticipée, ce préjudice, au demeurant non justifié, ne présente pas un caractère certain ; qu'au surplus, il était loisible à l'intéressé d'attendre de connaître le sort réservé à sa requête dirigée contre la décision de licenciement pour insuffisance professionnelle avant de faire valoir ses droits à la retraite ;

Considérant, en revanche, qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en allouant la somme de 6 000 euros à M. A au titre de son préjudice moral ;

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que le requérant a droit, comme il le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 6 000 euros à compter du 6 août 2009, date de réception par le Centre hospitalier universitaire de Nancy de la réclamation préalable de M. A ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête introductive d'instance enregistrée le 9 décembre 2009 devant le Tribunal administratif de Nancy ; que cette demande prend effet à compter du 6 août 2010, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier universitaire de Nancy ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du Centre hospitalier universitaire de Nancy la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par le Centre hospitalier universitaire de Nancy et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy du 17 mai 2011 est annulé.

Article 2 : Le Centre hospitalier universitaire de Nancy est condamné à verser à M. A la somme de 6 000 (six mille) euros. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du 6 août 2009. Les intérêts échus à la date 6 août 2010 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le Centre hospitalier universitaire de Nancy versera à M. A une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Didier A et au Centre hospitalier universitaire de Nancy.

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N° 11NC01167


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC01167
Date de la décision : 14/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. LAURENT
Rapporteur ?: M. Thierry TROTTIER
Rapporteur public ?: Mme DULMET
Avocat(s) : PARAGYIOS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-06-14;11nc01167 ?
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