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05/06/2012 | FRANCE | N°11NC01721

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 05 juin 2012, 11NC01721


Vu, enregistrée au greffe de la Cour le 3 novembre 2011, la décision n° 344133 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, en date du 13 octobre 2011, qui, après avoir annulé l'arrêt n° 09NC01174 du 23 septembre 2010 de la Cour administrative d'appel de Nancy, a renvoyé à cette dernière le jugement de l'affaire ;

Vu le recours, enregistré le 4 août 2009, présenté par le MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES, DE LA FAMILLE, DE LA SOLIDARITE ET DE LA VILLE ;

Le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800291 du 25 juin 2009 par lequel

le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, à la demande de la société M...

Vu, enregistrée au greffe de la Cour le 3 novembre 2011, la décision n° 344133 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, en date du 13 octobre 2011, qui, après avoir annulé l'arrêt n° 09NC01174 du 23 septembre 2010 de la Cour administrative d'appel de Nancy, a renvoyé à cette dernière le jugement de l'affaire ;

Vu le recours, enregistré le 4 août 2009, présenté par le MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES, DE LA FAMILLE, DE LA SOLIDARITE ET DE LA VILLE ;

Le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800291 du 25 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, à la demande de la société MDC Menuiserie, annulé la décision en date du 18 décembre 2007 par laquelle l'inspecteur du travail a infirmé l'avis d'inaptitude de M. A, salarié de la société MDC Menuiserie, émis le 20 septembre 2007 par le médecin du travail ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par la société MDC Menuiserie ;

Le MINISTRE soutient que :

- la circonstance que l'employeur a licencié le salarié déclaré inapte par le médecin du travail ne saurait faire obstacle au plein exercice, par l'inspecteur du travail, des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 241-10-1 du code du travail devenu l'article L. 4624-1 du même code ;

- ces dispositions ne prévoient aucun délai de saisine pour contester un avis d'inaptitude émis par un médecin du travail ;

- la solution retenue par les premiers juges revient à vider de sens et de portée l'article L. 241-10-1 du code du travail, qui prévoit un tel recours administratif préalable obligatoire à tout recours juridictionnel ;

- la décision de l'inspecteur du travail se substitue rétroactivement à l'avis du médecin du travail en raison du caractère obligatoire de ce recours ;

- si la décision de l'inspecteur n'ouvre pas droit à réintégration, elle permet au salarié licencié de l'invoquer devant la juridiction prud'homale ;

- l'article L. 241-10-1 du code du travail reconnaît à l'inspecteur du travail la possibilité de se déclarer compétent alors même que le salarié a été licencié antérieurement à sa saisine ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les observations, enregistrées le 14 décembre 2009, présentées pour M. A par Me Chevrier, avocat ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 10 juin 2010 et 25 janvier 2012, présentés pour la société MDC Menuiserie, dont le siège est situé 3 rue de la garde à SAINT-MAURICE, représentée par son gérant par Me Cotillot, avocat ; elle conclut au rejet du recours du ministre, à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, par voie d'appel incident, à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi ;

La société MDC Menuiserie fait valoir que :

- la procédure de vérification de l'aptitude du salarié et de contestation de l'avis du médecin du travail n'a de sens que si le contrat de travail demeure en cours ;

- admettre le contraire provoquerait une insécurité juridique, l'employeur n'ayant pas la possibilité de différer le licenciement du salarié dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail ; l'insécurité juridique serait encore accrue si le salarié avait la possibilité de saisir l'inspecteur du travail après le licenciement ;

- l'absence de mention d'un délai dans les dispositions de l'article L. 241-10-1 n'implique pas que la décision du médecin du travail peut être contestée à tout moment ;

- du fait de l'intervention du licenciement, M. A n'a plus d'intérêt à contester l'avis du médecin du travail ;

- l'avis d'inaptitude porte sur tout poste existant dans l'entreprise avec impossibilité de reclassement ;

- l'inspecteur était incompétent pour apprécier l'existence éventuelle d'un poste compatible avec l'aptitude physique du salarié ou des possibilités d'aménagement du poste de travail ; qu'ainsi, même si elle devait écarter le motif retenu par le tribunal administratif, la Cour devrait confirmer l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail pour incompétence ;

- le médecin du travail avait effectivement procédé à l'étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise ; il a constaté que la nature même du travail et le cadre précis de l'activité de M. A rendaient impossible l'adaptation du poste ; elle ne pouvait adjoindre un autre salarié pour permettre à M. A de travailler ; les salariés travaillant en binôme doivent être tous deux valides ; l'inspecteur a commis une erreur manifeste d'appréciation sur ce point ; c'est à juste titre que le médecin du travail a considéré que M. A était inapte à son poste et à tout autre poste dans l'entreprise, qui sont tous de même nature ; la Cour, à titre subsidiaire, pourrait retenir ce motif pour établir l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail du 18 décembre 2007 ;

- elle subit un préjudice du fait de cette décision, dès lors qu'elle risque d'être condamnée par le conseil des prud'hommes, auprès duquel M. A a sollicité une indemnité de 20 000 euros ;

Vu l'ordonnance en date du 9 janvier 2012 fixant la clôture de l'instruction le 2 février 2012 à 16 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 juin 2012 :

- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public ;

Considérant que, le 20 septembre 2007, le médecin du travail a déclaré M. A inapte à tous les postes au sein de la société MDC Menuiserie en l'absence de toute possibilité de reclassement ; que M. A, licencié le 4 octobre 2007 pour inaptitude physique consécutive à cet avis, a contesté ce dernier, le 16 octobre 2007, devant l'inspecteur du travail de la Haute-Marne ; que, par décision du 18 décembre 2007, l'inspecteur du travail, après avoir relevé que l'inaptitude médicale définitive à tous les postes de travail existant dans l'entreprise n'était pas clairement établie et que l'étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise n'avait pas été effectuée, et estimé que le salarié apparaissait apte à un poste de travail dépourvu de contrainte physique à l'égard de la mobilisation du rachis lombaire, a annulé l'avis d'inaptitude du 20 septembre 2007 ; que le MINISTRE DU TRAVAIL demande l'annulation du jugement du 25 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, à la demande de la société MDC Menuiserie, annulé cette décision ;

Sur les conclusions principales :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 241-10-1 du code du travail alors applicable, devenu l'article L. 4624-1 dudit code : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. / Le chef d'entreprise est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / En cas de difficulté ou de désaccord, la décision est prise par l'inspecteur du travail après avis du médecin inspecteur du travail. " ;

Considérant qu'il ne résulte pas de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition de nature législative ou réglementaire, que la contestation de l'avis émis par le médecin du travail sur l'aptitude d'un salarié à occuper son emploi, présentée par ce dernier devant l'inspecteur du travail sur le fondement des dispositions précitées du code du travail, doive être introduite avant que le licenciement du salarié déclaré inapte ait pris effet ; que, par suite, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a commis une erreur de droit en jugeant que l'inspecteur du travail était tenu de rejeter la demande formée par M. A sur le fondement de l'article L. 241-10-1 du code du travail, alors en vigueur, au motif que ce dernier n'était pas recevable à introduire une telle demande postérieurement à la rupture de son contrat consécutive à son licenciement ; qu'il suit de là que le MINISTRE est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu ce motif pour annuler la décision de l'inspecteur du travail du 18 décembre 2007 ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens développés par la société MDC Menuiserie tant en première instance qu'en appel ;

Considérant, en premier lieu, que l'inspecteur du travail ne peut intervenir en vertu des dispositions précitées de l'article L. 241-10-1 qu'en cas de contestation de l'appréciation émise par le médecin du travail sur l'état de santé du travailleur ou la nature des postes que cet état de santé lui permet d'occuper ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que par courrier du 16 octobre 2007, M. A a demandé à l'inspecteur du travail l'annulation de la décision du médecin du travail du 20 septembre 2007 au motif que son état de santé était compatible avec la charge physique et mentale de son emploi ; qu'il contestait, ainsi, l'appréciation portée par le médecin du travail tant sur son état de santé que sur la nature des postes que cet état lui permettait d'occuper ; que, dans sa décision du 18 décembre 2007, l'inspecteur du travail a déclaré M. A apte à un poste de travail dépourvu de toute contrainte physique significative à l'égard de la mobilisation du rachis lombaire ; que par suite, et contrairement aux affirmations de la société MDC Menuiserie, l'inspecteur du travail n'a pas excédé les limites de sa compétence ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 251-41-1 du code du travail alors applicable : " Sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude du salarié à son poste de travail qu'après une étude de ce poste et des conditions de travail dans l'entreprise et deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires mentionnés à l'article R. 241-52. /Le médecin du travail peut, avant d'émettre son avis, consulter le médecin inspecteur régional du travail et de la main-d'oeuvre. Les motifs de son avis doivent être consignés dans le dossier médical du salarié. " ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le médecin du travail aurait procédé à une étude du poste de travail de M. A pas plus que des conditions de travail dans l'entreprise avant de constater l'inaptitude de ce dernier à son poste de travail ; que dans son courrier du 23 août 2007 adressé au médecin du travail, l'entreprise MDC s'est bornée à faire état des difficultés qu'elle rencontrait pour respecter les réserves émises par le médecin du travail après l'examen médical dont avait bénéficié M. A le 2 juillet 2007 à l'issue de son arrêt de travail pour maladie ; que ce courrier ne saurait suffire pour considérer que le médecin du travail a procédé aux études de poste et des conditions de travail auxquelles il lui appartenait de procéder ; que la société MDC n'est, par suite, pas fondée à soutenir que l'inspecteur du travail aurait entaché sa décision d'une erreur de fait en considérant que " l'étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise, requise par l'article R. 24-51-1 du code du travail n'a pas été effectuée parle médecin du travail, et que de ce fait, l'avis médical émis le 20 septembre 2007 est dépourvu de validité " ;

Considérant, en dernier lieu, que, dans son avis d'aptitude sous réserve émis le 2 juillet 2007, le médecin du travail avait interdit à M. A le port seul de charges lourdes ; que, contrairement aux affirmations de l'entreprise MDC, cette décision d'aptitude sous réserve, si elle n'impliquait pas que M. A ne puisse aider son coéquipier dans la manutention des huisseries à poser , impliquait en revanche, implicitement mais nécessairement, l'interdiction pour lui de manutentionner seul ces huisseries ; qu'il affirme sans être sérieusement contesté avoir travaillé seul en juillet 2007 ; que par décision du 20 septembre 2007, le médecin du travail a prononcé l'inaptitude médicale de M. A à tout poste de travail dans l'entreprise sans plus procéder, comme il est rappelé ci-dessus, à une analyse du poste de travail de l'intéressé et de ses conditions réelles de travail ; que, par suite, la société MDC Menuiserie n'est pas fondée à soutenir que l'inspecteur du travail aurait entaché sa décision du 18 décembre 2007 d'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A en annulant la décision du 20 septembre 2007 du médecin du travail au motif que ce dernier n'avait pas tenu compte du fait que " le poste de travail occupé par M. A exigeait impérativement un travail en binôme, élément essentiel à une appréciation exacte de son aptitude à ce poste. " ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 18 décembre 2007 ;

Sur les conclusions incidentes :

Considérant, sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère éventuel de la créance, qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société MDC Menuiserie tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société MDC Menuiserie la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 juin 2009 est annulé en tant qu'il a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 18 décembre 2007.

Article 2 : La demande présentée par la société MDC Menuiserie devant le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ainsi que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI, DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DU DIALOGUE SOCIAL, à la société MDC Menuiserie et à M. Roger A.

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N° 11NC01721


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC01721
Date de la décision : 05/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Autres motifs. Inaptitude ; maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. JOB
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: M. WIERNASZ
Avocat(s) : SCP COTILLOT LALLOZ ; CHEVRIER ; SCP COTILLOT LALLOZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-06-05;11nc01721 ?
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