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15/11/2007 | FRANCE | N°06NC00990

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 15 novembre 2007, 06NC00990


Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2006, complétée par un mémoire enregistré le 12 février 2007, présentée pour M. Joël X, demeurant ..., par Me Boucher, avocat ; M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0300977 en date du 16 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a condamné la ville de Besançon à lui verser une somme de 7.000 € en réparation des préjudices qu'il a subis en raison des fautes commises à son égard par les responsables du conservatoire national de région de Besançon ;

2°) de condamner la ville de Besan

on à payer à lui payer une somme de 100 000 € en réparation des conséquences du harcè...

Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2006, complétée par un mémoire enregistré le 12 février 2007, présentée pour M. Joël X, demeurant ..., par Me Boucher, avocat ; M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0300977 en date du 16 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a condamné la ville de Besançon à lui verser une somme de 7.000 € en réparation des préjudices qu'il a subis en raison des fautes commises à son égard par les responsables du conservatoire national de région de Besançon ;

2°) de condamner la ville de Besançon à payer à lui payer une somme de 100 000 € en réparation des conséquences du harcèlement moral dont il a été l'objet ;

3°) d'enjoindre à la ville de Besançon de le promouvoir au grade de professeur d'enseignement artistique hors-classe ;

4°) d'enjoindre à la ville de Besançon de le réintégrer dans la pleine responsabilité de sa classe de percussion ;

5°) de mettre à la charge de la ville de Besançon une somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une omission à statuer, le tribunal n'ayant pas statué sur l'existence d'un harcèlement moral ;

- les fautes commises sont plus étendues que celles retenues par le tribunal et constituent un véritable harcèlement moral à son égard ; le harcèlement a débuté en 1981 lorsqu'il a refusé de participer à l'orchestre municipal de Besançon et a refusé de favoriser le fils du directeur de l'époque ; les directeurs successifs du conservatoire national de région de Besançon ont volontairement désorganisé ses conditions de travail pour les rendre insupportables ; ils l'ont humilié et dénigré publiquement ; ils lui ont retiré une partie de ses élèves pour les confier à son adjoint qui ne peut statutairement pas assumer des enseignements ; il a été soumis à un examen psychiatrique ; il n'est plus noté depuis 1998 ; il n'a pas été promu à la hors-classe alors qu'il a de grands mérites professionnels et l'ancienneté requise ; tous ces agissements constituent un harcèlement moral injustifiable eu égard à sa notoriété, à la qualité du travail qu'il fournit et aux résultats qu'il obtient ;

- le préjudice a été sous-évalué ; les pertes de rémunérations causées par le refus de le promouvoir à la hors-classe représentent à elles-seules 92 000 € ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2006, présenté pour la ville de Besançon par Me Dufay , avocat, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 € soit mise à la charge de M. X au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le conservatoire national de région a été transféré à la communauté d'agglomération du Grand Besançon à compter du 1er janvier 2006 ;

- aucune faute ne saurait lui être reprochée avant la fin des années 1990 ;

- les conditions de travail difficiles de l'appelant n'ont pas de caractère intentionnel ; aucun dénigrement public de l'intéressé n'a eu lieu ; la création d'un enseignement parallèle confié à l'assistant de M. X était conforme à l'intérêt du service ; l'examen psychiatrique de M. X s'imposait en raison des soucis de santé qu'il invoquait ; la procédure de notation a été engagée après 1998 ; seule la note chiffrée, dont on réfléchit par ailleurs à la suppression, n'a pas été attribuée ;

- par son comportement, M. X est à l'origine de sa situation difficile ;

- les états de service de M. X ne sont pas aussi excellents qu'il ne le prétend ; son absence de promotion à la hors classe de son cadre d'emploi n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa valeur professionnelle ;

- l'état dépressif de M. X n'est pas relié de manière certaine à ses conditions de travail ;

- les conclusions à fin d'injonction formées par l'appelant sont irrecevables puisqu'elles ne constituent pas des mesures nécessaires d'exécution de la décision à intervenir ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 91-857 du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des professeurs territoriaux d'enseignement artistique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 octobre 2007 :

- le rapport de M. Tréand, premier conseiller,

- les observations de Me Boucher, avocat de M. X,

- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'il n'est pas contesté que le tribunal a statué sur chacune des fautes invoquées par M. X à l'encontre de son employeur ; que si les premiers juges ont reconnu que la responsabilité de la ville de Besançon était engagée en raison de divers manquements qu'elle avait commis envers l'appelant sans mentionner que ces derniers seraient constitutifs d'un harcèlement moral, ils doivent être regardés comme ayant implicitement mais nécessairement écarté cette qualification ; qu'au surplus, la reconnaissance par le tribunal de l'existence d'un harcèlement moral n'aurait, en tout état de cause, emporté aucune modification du régime de responsabilité administrative de la commune intimée vis-à-vis de son agent, même pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, qui a introduit l'article 6 quinquies dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; que, par suite, le tribunal n'ayant pas omis de statuer sur un des moyens de la requête, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 79 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 : L'avancement de grade a lieu de façon continue d'un grade au grade immédiatement supérieur (..) Il a lieu suivant l'une des modalités ci-après : 1° soit au choix par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle des agents (..) ; qu'aux termes de l'article 80 de la même loi : Le tableau annuel d'avancement mentionné au 1° et au 2° de l'article 79 est arrêté par l'autorité territoriale dans les conditions fixées par chaque statut particulier ; que l'article 19 du décret susvisé du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des professeurs territoriaux d'enseignement artistique prévoit que : Peuvent être nommés au grade de professeur d'enseignement artistique hors classe, après inscription sur un tableau d'avancement, dans la limite d'une nomination pour un effectif de sept professeurs d'enseignement artistique de classe normale, les professeurs d'enseignement artistique de classe normale ayant atteint le 6ème échelon de leur grade ; qu'il résulte de ces dispositions, que, contrairement à ce que prétend M. X, pour établir le tableau d'avancement au grade de professeur d'enseignement artistique hors classe, l'autorité territoriale ne doit prendre en compte que la valeur professionnelle relative des différents professeurs d'enseignement artistique de classe normale ayant atteint le 6ème échelon de leur grade et non leur seule ancienneté dans leur grade ou dans leur collectivité ;

Considérant que, même si M. X, professeur de renommée internationale, auteur de plusieurs ouvrages de référence dans sa discipline, a accru le rayonnement de la classe de percussion dont il a la charge depuis 1972 au conservatoire national de région de Besançon et si ses élèves ont obtenu, grâce à ses qualités pédagogiques, des résultats significatifs au fil des ans, ces circonstances ne sont pas à elles seules de nature à établir qu'en ne l'inscrivant pas sur le tableau d'avancement au grade de professeur d'enseignement artistique hors-classe depuis 1992, le maire de Besançon aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de ses aptitudes professionnelles ; que l'appelant ne démontre notamment pas qu'un de ses collègues possédant des qualités professionnelles inférieures aux siennes aurait été inscrit audit tableau d'avancement ou nommé dans le grade supérieur au cours de cette période ; que, d'ailleurs, l'appelant, qui disposait d'une note chiffrée inférieure à la moyenne des professeurs de son grade jusqu'en 1998, n'a jamais contesté devant le tribunal administratif les notations qui lui étaient attribuées ; qu'au surplus, il ne soutient pas que son absence de notation depuis 1999 aurait empêché l'autorité territoriale d'apprécier sa valeur professionnelle depuis cette date et de l'inscrire au tableau ; qu'enfin, il ne peut prétendre que le refus de lui accorder la promotion qu'il estime mériter serait entachée de détournement de pouvoir dès lors qu'il ne conteste pas sérieusement que six autres professeurs d'enseignement artistique de classe normale employés par la ville intimée et remplissant les conditions fixées par les dispositions précitées de l'article 19 du décret susvisé du 2 septembre 1991 pour être promus au grade de professeur d'enseignement artistique hors classe depuis 1991 ne l'auraient pas encore été ; que, par conséquent, M. X ne démontre pas plus que devant le tribunal que les refus qui lui ont été opposés depuis 1992 de lui accorder un avancement de grade auraient été entachés d'excès de pouvoir et seraient, par suite, fautifs ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des nombreuses pièces produites par l'appelant, d'une part, que, depuis le milieu des années 1980 et jusqu'à la date à laquelle il a saisi le tribunal, M. X a subi des conditions de travail très dégradées au sein du conservatoire national de région de Besançon, les instruments de musique mis à sa disposition disparaissant, n'étant pas régulièrement remplacés ou lui étant retirés pour être prêtés ou utilisés par d'autres musiciens, même extérieurs au conservatoire, ce qui l'empêchait régulièrement d'assurer ses enseignements et le conduisait même parfois à interrompre des séances en cours ; que la salle qui lui était normalement affectée était totalement inadaptée à l'enseignement des percussions et lui était, au surplus, souvent unilatéralement retirée afin qu'y soient assurées d'autres activités ; qu'il résulte clairement de l'attestation datée du 5 mai 2004 de M. Jean-Louis Y, responsable de la surveillance au conservatoire national de région, de celle établie le 20 août 2003 par M. Jean-Pierre Z, doyen des professeurs du conservatoire, et de celle rédigée le 7 juin 2004 par M. Gérard A, professeur au conservatoire de 1996 à 2002 et délégué syndical, que M. X était le seul professeur d'enseignement artistique affecté au conservatoire national de région de Besançon à se voir imposer de telles contraintes dans l'exercice de ses fonctions pendant toutes ces années ; que, d'autre part, alors même que l'appelant a, à de très nombreuses reprises tout au long de cette période, attiré l'attention des directeurs successifs du conservatoire sur les conditions matérielles défavorables qui lui étaient réservées, il n'est pas contesté qu'aucune mesure n'a été prise pour mettre un terme à ces dysfonctionnements majeurs, qui conduisaient pourtant à une dégradation progressive de l'état de santé de l'intéressé qui était régulièrement placé en congé de maladie ; que la ville de Besançon, qui n'a d'ailleurs pas fait appel du jugement, ne démontre pas plus qu'en première instance qu'elle ait été dans l'impossibilité de répondre favorablement aux sollicitations légitimes dont elle était l'objet de la part du responsable de la classe de percussion du Conservatoire et de rétablir au moins partiellement une situation de travail normale ; que cette carence répétée des supérieurs hiérarchiques de M. X a rendu possible la persistance, sur une période de presque vingt ans, de conditions de travail très sensiblement dégradées susceptibles de porter atteinte à la dignité de l'intéressé et d'altérer sa santé physique et mentale ; que, par suite, ce seul comportement vexatoire et étranger aux nécessités du service, pris dans son ensemble, a constitué, dans les circonstances de l'espèce, un harcèlement moral exercé sur la personne de M. X qui était de nature à engager la responsabilité de la ville de Besançon ;

Considérant, toutefois, qu'en raison de son comportement entier et peu ouvert au dialogue, M. X a largement contribué, par son attitude, à la dégradation des conditions de travail dont il se plaint ; que si cette circonstance n'est pas de nature à retirer leur caractère fautif aux agissements de la hiérarchie rappelés précédemment et caractéristiques d'un harcèlement moral, elle est, dans les circonstances de l'espèce, de nature à atténuer la responsabilité de la ville de Besançon à hauteur de la moitié des conséquences dommageables de ceux-ci ;

Sur le préjudice :

Considérant que si M. X ne peut prétendre obtenir l'indemnisation qu'il réclame pour compenser les pertes de rémunérations qu'il aurait subies depuis 1992 en n'étant pas nommé au grade de professeur d'enseignement artistique hors classe dès lors qu'il n'a pas démontré le caractère fautif du refus de le promouvoir au cours de cette période, il est fondé, en revanche, eu égard à la durée pendant laquelle il a été victime de harcèlement moral et dès lors qu'il n'est pas sérieusement contesté que ce dernier est à l'origine de la dégradation de son état de santé mentale, à soutenir que le tribunal a fait une évaluation insuffisante du préjudice moral qu'il a subi en ne lui accordant qu'une somme de 7 000 € ; que, compte tenu du partage de responsabilités indiqué précédemment, il y a lieu de condamner la ville de Besançon à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera réformé en ce sens ;

Sur les conclusion d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un servie public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant que M. X n'est pas fondé à demander à la Cour d'enjoindre à la ville de Besançon de le promouvoir au grade de professeur d'enseignement artistique hors classe et de le réintégrer dans la pleine responsabilité de sa classe de percussion dès lors que de telles injonctions ne constituent pas des mesures d'exécution nécessaires du présent arrêt ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

Considérant, d'une part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la ville de Besançon à payer à M. X une somme de 1 500 € en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la ville de Besançon au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La ville de Besançon est condamnée à verser à M. X une somme de 10 .000 € (dix mille euros). L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Besançon en date du 16 mai 2006 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 2 : La ville de Besançon est condamnée à payer à M. X une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la ville de Besançon tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Joël X et à la ville de Besançon.

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N° 06NC00990


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 06NC00990
Date de la décision : 15/11/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: M. Olivier TREAND
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : BOUCHER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-11-15;06nc00990 ?
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