Vu la requête, enregistrée le 19 septembre 2006, complétée par mémoires enregistrés les 12 janvier et 27 juin 2007, présentée pour M. Jean-René X, demeurant ..., par Me Branget ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Besançon en date du 20 juillet 2006 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à condamner la Ville de Besançon à réparer les préjudices subis par l'ensemble immobilier lui appartenant ... à la suite des travaux de percement du tunnel dit « de la Citadelle » ;
2°) de condamner la Ville de Besançon à lui verser une indemnité globale de 93 728,85 euros se décomposant comme suit :
- une somme de 45 699,50 F (6 966,84 €), avec les intérêts légaux, au titre des réparations ponctuelles ;
- une somme de 97 577,40 F (14 875,57 €) au titre de la réfection de la toiture de l'immeuble et de la carrosserie de la voiture de M. X ;
- une somme de 348 921 F (53 592,56 € ) au titre des pertes de loyers ;
- une somme de 429 993 F (65 552,01 €) au titre de la perte de valeur locative du local commercial ;
3°) de condamner la Ville de Besançon à lui payer une somme de 3 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- l'indemnité allouée par le tribunal au titre de la réparation des fissurations de l'immeuble n°6 doit être réévaluée pour tenir compte de l'évolution financière du marché en fonction de l'indice BT 01 ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas tenu compte des réparations ponctuelles réalisées en cours de travaux alors que la Ville de Besançon en avait accepté le principe et le montant ;
- c'est à tort que le tribunal a refusé d'accorder une indemnité au titre de la réparation de la toiture de l'immeuble et de la carrosserie de la voiture du requérant, alors que le lien de causalité entre les chutes de pierres ayant provoqué les dommages et le chantier est établi ;
- le tribunal a fait une inexacte appréciation des faits en refusant d'admettre l'existence de pertes de loyers et de la perte de valeur locative du local commercial à usage de magasin ; le requérant a en effet produit plusieurs attestations qui établissent les difficultés de location ;
- le tribunal a omis de statuer sur les conclusions présentées par le requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2007, présenté pour la Ville de Besançon par Me Suissa, avocat ;
La Ville de Besançon conclut au rejet de la requête de M. X et à la condamnation de M. X à lui payer une somme de 1 500 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable car insuffisamment motivée ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé, d'autant que le requérant s'est exposé, en connaissance de cause, aux nuisances dont il se plaint ;
- c'est à bon droit que le tribunal a écarté les prétentions du requérant dès lors qu'elles ne sont pas justifiées ou se rapportent à des dommages qui ne concernent pas l'immeuble n° 9 ;
- la preuve de l'impossibilité de relouer les appartements n'est pas apportée et la vétusté des locaux est avérée ;
Vu l'ordonnance du 29 mai 2007 reportant la date de clôture de l'instruction du 31 mai 2007 au 30 juin 2007 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 septembre 2007 :
; le rapport de M. Martinez, premier conseiller,
- les observations de Me Suissa, avocat de la Ville de Besançon,
; et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par jugement du 20 juillet 2006 le Tribunal administratif de Besançon a déclaré la Ville de Besançon responsable des désordres ayant affecté l'immeuble appartenant à M. X sis ... à Besançon et consécutifs aux travaux de percement du tunnel reliant les quartiers Rivotte et Montegnoz ; que M. X relève appel dudit jugement en tant qu'il a limité le montant des indemnités à une somme de 18 293,88 euros qu'il estime insuffisante ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que contrairement à ce que soutient la Ville de Besançon, la requête de M. X, qui ne se borne pas à reproduire la demande formulée en première instance mais contient des moyens d'appel et comporte une critique du jugement attaqué, met la Cour en mesure de se prononcer sur les erreurs qu'aurait pu commettre le tribunal en écartant les moyens soulevés devant lui ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'intimée et tirée de ce que la requête serait insuffisamment motivée doit être écartée ;
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
En ce qui concerne le principe de l'indemnisation :
Considérant que, contrairement à ce que soutient l'intimée, compte tenu des termes de la demande d'indemnité formulée par M. X, il y a lieu de prendre en considération, au titre des dommages subis par celui-ci en sa qualité de riverain de la voie publique, non seulement les désordres matériels affectant l'immeuble sis au n° 6, liés au creusement de la tranchée au pied du pignon est dudit immeuble, mais également l'ensemble du préjudice résultant du déroulement du chantier, y compris celui susceptible d'affecter les autres immeubles appartenant au requérant, à condition toutefois que le préjudice allégué revête le caractère d'un dommage anormal et spécial et que soit établi un lien de causalité direct entre les chefs de préjudice invoqués et l'exécution des travaux litigieux ; qu'à supposer même que le projet de création d'un tunnel routier dit « de la Citadelle » fût envisagé dans les années 1970, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de la date à laquelle il a acquis l'ensemble immobilier, M. X puisse être regardé comme s'étant délibérément exposé aux nuisances occasionnées par le chantier ;
En ce qui concerne les différents chefs de préjudices :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport établi par l'expert désigné par le président du Tribunal administratif de Besançon et déposé au greffe le 27 mars 2000, que le coût des réparations nécessaires pour remédier aux désordres affectant l'immeuble sis au n° 6 consistant en des fissurations intérieures et extérieures et consécutifs aux travaux de creusement et de remblaiement de la tranchée réalisée le long de la façade côté rue, doit être évalué à la somme, non contestée par les parties, de 120.000 F, soit 18 293,88 euros ; que les conséquences dommageables des désordres doivent être évaluées à la date où leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il peut être procédé aux travaux destinés à y remédier ; qu'en l'espèce, cette date est, au plus tard, celle où l'expert a déposé son rapport, lequel définissait avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires ; que M. X, ne justifiant pas avoir été dans l'impossibilité de financer les travaux de réfection dont s'agit à la date du dépôt de ce rapport d'expertise, n'est pas fondé à demander que le montant de la réparation soit indexé sur l'indice du coût de la construction ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à demander la réformation sur ce point du jugement, lequel précise par ailleurs que la somme qu'il a allouée à ce dernier est assortie des intérêts de retard ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. X, qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables des chutes de pierres qu'il impute à l'exécution du chantier, persiste à demander une indemnisation globale de 97 577,40 F (14 875,57 €) à raison d'une part de la réparation de la toiture du magasin sis au ... et d'autre part de la réfection de la carrosserie de son véhicule automobile ; que cependant, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert, que les immeubles de M. X sont du fait de leur situation en contrebas de la falaise particulièrement exposés aux chutes de pierres liées à l'érosion naturelle de la paroi rocheuse, voire à des actes de malveillance, et qu'à l'exclusion du premier tir, les rares projections directes issues des tirs de mine n'ont pas pu atteindre les immeubles situés latéralement par rapport à l'axe de creusement ; qu'il ne ressort pas non plus du rapport d'expertise qu'un lien puisse être établi entre les chutes de pierre et les vibrations de très faible intensité engendrées par les tirs de mine ; qu'en outre le requérant n'a pas apporté de précisions suffisantes, notamment sur les dates des sinistres et sur la nature des projectiles en cause, permettant d'apprécier les conditions dans lesquelles sont survenues les chutes de pierre dont il se plaint ; que dès lors, le lien de causalité entre les dégâts occasionnés par les chutes de pierres et les tirs de mine liés au percement du tunnel ne peut être regardé comme étant établi de façon certaine ; que, par suite, M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'accueillir sur ce point ses prétentions indemnitaires ;
Considérant, en troisième lieu, que M. X sollicite une indemnisation au titre des réparations ponctuelles engagées en cours de chantier et qui n'auraient pas été prises en compte par l'expertise susmentionnée et produit à cet effet plusieurs factures d'où il ressort un montant total de 45 699,50 F (6 966,84 €) ; que, cependant, le lien de causalité entre les chutes de pierres et l'exécution des travaux litigieux n'étant pas établi, ainsi qu'il vient d'être dit, le requérant ne saurait se prévaloir des factures relatives à la « recherche et suppression de fuites en toiture et remplacement de tuiles » et « au suivi général de la toiture » ; qu'il ne peut pas davantage invoquer les frais, tenant notamment à la réparation de certains appartements ou à la réparation du mur du magasin, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'ils ont été pris en compte par l'expert dans son chiffrage du montant des frais de réfection ; qu'enfin, les personnes morales de droit public ne pouvant jamais être condamnée, payer une somme qu'elles ne doivent pas, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que la Ville de Besançon aurait accepté dans un projet de compromis transactionnel de prendre à sa charge les frais en cause ; que dans ces conditions M. X n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a également écarté sur ce point ses conclusions indemnitaires ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. X sollicite l'indemnisation des pertes de loyers que lui aurait occasionnées le chantier en cause pour les immeubles qu'il possède sis 4 bis, 4 ter et 6 rue du ... à Besançon ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les travaux de percement du tunnel, qui se sont poursuivis pendant une période allant de mars 1993 à avril 1996, ont entraîné pour l'ensemble immobilier appartenant au requérant, y compris les immeubles ..., des troubles de voisinage significatifs liés en particulier aux bruits et poussières résultant du chantier et notamment aux tirs de mine susmentionnés, excédant les sujétions normales imposées aux riverains dans l'intérêt de la voirie et que ceux-ci doivent supporter sans indemnité ; que le requérant a produit en ce sens de nombreux courriers de locataires, rédigés au cours de la période litigieuse, attestant la réalité des plaintes occasionnées par ces nuisances, lesquelles ont ainsi favorisé le départ des locataires ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'a prétendu en première instance la Ville de Besançon que les difficultés de location rencontrées au cours de cette période par le propriétaire seraient liées à l'état de vétusté des appartements, alors qu'il n'est pas contesté que les immeubles en cause ont été rénovés en 1990 ; que ces attestations sont corroborées par les énonciations du rapport de l'expert qui a expressément reconnu l'existence de pertes de loyers en raison des conditions environnementales liées au déroulement du chantier tandis, que l'expert assureur de la Ville de Besançon avait également admis la perte de loyer afférent à l'exploitation du local commercial sous l'enseigne « Mégaform » ; que, dès lors, M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il ne prouvait pas la réalité du préjudice subi à ce titre ; que compte tenu des éléments chiffrés apportés par le requérant et concernant notamment l'année 1995, il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice subi du fait de la perte de loyers en l'évaluant à 6 000 € ; qu'il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué ;
Considérant, en dernier lieu, que les modifications apportées à la circulation générale et résultant des changements effectués dans l'assiette, la direction et les conditions d'utilisation des voies publiques ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité dès lors que l'accès aux riverains reste, comme en l'espèce, assuré ; que, dès lors, si le requérant fait valoir que depuis la mise en place du tunnel, le local commercial initialement à usage de magasin se trouve dans un cul de sac et a été loué en tant que local à usage de bureaux, il ne saurait prétendre à une indemnité au titre de la perte de la valeur locative du local commercial sur laquelle au demeurant il ne fournit aucune précision ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X est seulement fondé à soutenir que la somme de 18 293,88 € que la Ville de Besançon a été condamnée à lui verser soit portée à 24 293,88€ ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
En ce qui concerne les frais exposés en première instance :
Considérant que si, dans ses motifs, le jugement admet qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. X sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il omet, dans son dispositif, l'article portant condamnation de l'intimé à ce titre et indique au contraire dans son article 4 rejeter le surplus des conclusions de la requête ; que ledit jugement est ainsi entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif ; que le requérant est dès lors fondé à soutenir que le jugement attaqué est, sur ce point, entaché d'irrégularité et doit être annulé dans cette mesure ;
Considérant il y a lieu pour la Cour de statuer sur ces conclusions par voie d'évocation ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la Ville de Besançon à payer à M. X une somme de 1 000 € au titre des dispositions précitées de l'article L 761-1 ;
En ce qui concerne les frais exposés en appel :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que M. X, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à la Ville de Besançon la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la Ville de Besançon à payer à M. X une somme de 1 500 € au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
article 1er : L'article 4 du jugement du Tribunal administratif de Besançon en date du 20 juillet 2006 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions présentées par M. X sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La somme de 18 293,88 euros toutes taxes comprises que la Ville de Besançon a été condamnée à verser à M. X par le jugement du 20 juillet 2006 du Tribunal administratif de Besançon est portée à 24 293,88 € .
Article 3 : Le jugement susmentionné est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La Ville de Besançon versera à M. X, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 € au titre des frais exposés devant le tribunal administratif et une somme de 1 500 € au titre des frais exposés dans la présente instance.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande de M. X et les conclusions de la Ville de Besançon tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-René X et à la Ville de Besançon.
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N° 06NC01309