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24/05/2007 | FRANCE | N°05NC00837

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 24 mai 2007, 05NC00837


Vu le recours, enregistré le 1er juillet 2005, complété par mémoire enregistré le 27 avril 2007, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 mars 2005 en tant qu'il a déchargé la Compagnie Rhénane de Raffinage des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés résultant des redressements afférents aux prestations effectuées au profit de ses associés ;

2°) de rejeter la demande présentée par la Compagnie Rhéna

ne de Raffinage ;

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'...

Vu le recours, enregistré le 1er juillet 2005, complété par mémoire enregistré le 27 avril 2007, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 mars 2005 en tant qu'il a déchargé la Compagnie Rhénane de Raffinage des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés résultant des redressements afférents aux prestations effectuées au profit de ses associés ;

2°) de rejeter la demande présentée par la Compagnie Rhénane de Raffinage ;

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'administration n'apportait pas la preuve que la renonciation de la société à facturer une marge sur les prestations effectuées au profit de ses associés constituait un acte anormal de gestion alors qu'en l'absence de groupe, la sous-facturation d'une prestation ne peut présenter un caractère normal que lorsque le client rencontre des difficultés économiques et que l'entreprise à un intérêt commercial à lui venir en aide eu égard aux relations entretenues avec lui ou en raison de contreparties sur d'autres plans ;

- l'absence de marge de facturation n'est pas justifiée par une contrepartie réelle pour la société Compagnie Rhénane de Raffinage, qui est contrainte de réaliser chaque année un bénéfice comptable proche de zéro ; l'intérêt des clients n'est d'ailleurs pas le même que celui des actionnaires qui doivent veiller à la viabilité de leur filiale commune ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé, par une analyse exclusivement civiliste, que l'article 1832 du code civil pouvait justifier une facturation sans marge et que l'application de cet article ne saurait méconnaître les dispositions du code général des impôts ; il a ainsi fait abstraction du caractère lucratif de l'activité qu'une société de capitaux est réputée exercer dans un contexte d'économie de marché ; la circonstance que la création de la Compagnie Rhénane de Raffinage réponde à un objectif économique de réduction du coût de raffinage profitant in fine à ses associés-clients conformément à l'article 1832 n'autorise pas cependant cette structure à renoncer à une rémunération de la valeur ajoutée qu'elle apporte au produit traité par ses soins et à fournir des prestations gratuitement ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2007, présenté pour la société anonyme Compagnie Rhénane de Raffinage, par Me Zoubritzky, avocat ;

La société conclut au rejet du recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 7 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le ministre commet une erreur en affirmant que le tribunal aurait fait abstraction de l'activité à but lucratif telle qu'elle est visée par l'article 1832 du code civil ; en effet, cet article indique bien que la recherche d'économies fait partie de l'activité à but lucratif d'une société ;

- le tribunal a bien cerné l'intérêt propre de la société alors que l'administration n'apporte pas la preuve du caractère anormal de l'absence de facturation d'une marge bénéficiaire ;

- l'absence de facturation de la marge est justifiée par le pacte social constitutif de la société ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mai 2007 :

; le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- les observations de Me Masquart, pour la SCP Delaporte-Briard-Trichet, avocat de la Compagnie Rhénane de Raffinage,

; et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 1995 et 1996, l'administration fiscale a constaté que la société anonyme Compagnie Rhénane de Raffinage, sise à Reichstett (Bas-Rhin), exerçant une activité de raffinage d'huiles minérales, facturait à prix coûtant les prestations de raffinage effectuées au profit de ses associés et de tiers et considéré que ces opérations relevaient d'une gestion anormale ; qu'après réintégration dans les résultats de l'entreprise des sommes résultant de l'application d'un taux de marge de 2 % sur les prestations réalisées pour les tiers et de 1,5 % sur les prestations concernant les associés, le service a procédé à des redressements se traduisant par l'annulation des déficits et amortissements réputés différés au titre des exercices 1992 à 1996 et par l'imposition d'un bénéfice de 214 490 F au titre de l'exercice 1996 ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE relève appel du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 mars 2005 en tant qu'il a déchargé la Compagnie Rhénane de Raffinage des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés résultant des redressements afférents aux prestations effectuées au profit de ses associés ;

Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que la facturation à prix coûtant d'une prestation fournie par une entreprise à des tiers ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1832 du code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter » ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des stipulations du protocole d'accord et du contrat de raffinage conclu en juin 1986, que la société Compagnie Rhénane de Raffinage, constituée en 1959 par différentes compagnies pétrolières, relevant de groupes concurrents, a pour objet social la réalisation à leur profit d'opérations de façon de raffinage ; qu'il ressort de ces stipulations que les compagnies pétrolières, qui sont les actionnaires exclusifs de la société et qui sont tenues de participer aux investissements nécessaires à l'exploitation de la raffinerie, bénéficient de droits d'utilisation de la capacité de raffinage dans la proportion de leur participation au capital social ; qu'à cet effet, chacun des actionnaires, qualifiés par les stipulations conventionnelles de « participant et d'usager », apporte son pétrole brut à la société CRR qui procède à son traitement moyennant le versement d'une rémunération couvrant l'ensemble des dépenses supportées par la société, y compris les frais fixes indépendants du processus de traitement ; qu'en particulier, la part dite « de l'usager » se décompose principalement en frais fixes répartis proportionnellement au pourcentage de traitement sus-mentionné et en frais proportionnels calculés en fonction des quantités traitées ; qu'il ressort des stipulations contractuelles que l'absence de facturation d'une marge bénéficiaire résulte de la commune intention des associés, qui tout en étant concurrents, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ont créé la société précisément en vue de profiter de l'économie ainsi réalisée, conformément aux dispositions précitées de l'article 1832 du code civil ; que si l'absence de marge bénéficiaire sur les prestations assurées par la Compagnie Rhénane de Raffinage au profit de tiers ne saurait relever d'une gestion normale, en revanche, le système de tarification des prestations effectuées au profit de ses actionnaires, par ailleurs clients principaux, ne saurait être regardé comme procurant des avantages injustifiés ou accordant des libéralités sans contrepartie mais est inhérent aux conditions d'exploitation telles que fixées par les associés en vertu du pacte social sus-mentionné ; qu'ainsi, comme l'a jugé le tribunal, il résulte du pacte social constitutif de la société qu'il était de l'intérêt de cette dernière de réaliser, sans profit, les prestations de raffinage destinées à ses associés ; qu'en outre, le ministre, qui ne saurait alléguer que les prestations litigieuses auraient été effectuées « gratuitement », n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait fait abstraction de l'activité à but lucratif qu'est réputée exercer une société de capitaux, dès lors que les premiers juges se sont expressément fondés sur les dispositions précitées de l'article 1832, d'où il résulte que la réalisation d'économies ressortit également au but lucratif qui préside à la constitution d'une société ; que, dans ces conditions, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en considérant que l'administration fiscale n'apporte pas la preuve, qui lui incombe en raison de la procédure d'imposition suivie, que la renonciation de la Compagnie Rhénane de Raffinage à facturer une marge sur les prestations effectuées au profit de ses associés constituerait un acte anormal de gestion ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a déchargé la Compagnie Rhénane de Raffinage des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés résultant des redressements afférents aux prestations effectuées au profit de ses associés ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'allouer à la Compagnie Rhénane de Raffinage la somme qu'elle réclame à ce titre ;

DECIDE

Article 1er : Le recours susvisé du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Compagnie Rhénane de Raffinage.

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N°05NC00837


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 05NC00837
Date de la décision : 24/05/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : SCP DELAPORTE-BRIARD-TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-05-24;05nc00837 ?
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