Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 novembre 2005, complétée par un mémoire enregistré le 23 août 2006, présentée pour l'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN dont le siège est situé 8 rue Adèle Riton à Strasbourg (67000), par la SCP d'avocats Ertlen-Bigey-Saupe-Perret ;
L'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN demande à la Cour :
1°) - d'annuler le jugement n° 0500233 en date du 30 août 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet des Vosges a refusé d'interdire la course de ski de fond «Tour du Grand Ventron» à l'intérieur des zones nécessaires à la préservation du grand tétras, à ce qu'il soit enjoint au préfet d'interdire cette course dans tout périmètre avéré du grand tétras et de la délocaliser, enfin de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles ;
2°) - d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;
3°) - d'enjoindre au préfet des Vosges de prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire la course dans le périmètre de présence avérée du grand tétras et de délocaliser la course «Tour du Grand Ventron» ;
4°) - de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la requête enregistrée au greffe de la cour le 18 novembre 2005 est recevable ;
- les travaux du groupe tétras Vosges comme ceux de la mission d'inspection de la réserve naturelle des Vosges, dans ses rapports de 1996 et 2000, ont souligné l'urgence d'un déplacement de l'itinéraire de la course pour la protection du grand tétras, ainsi que de façon générale, d'une réduction au strict minimum des activités humaines dans la zone ; si le rapport de 1996 met en avant la faible fréquentation de la course, la situation a manifestement évolué depuis et le rapport de l'année 2000 concluait que la journée de compétition devait « impérativement recevoir un nouvel itinéraire » ; le conseil scientifique du parc régional des ballons des Vosges a émis un avis identique ;
- les effets de la course litigieuse sur le maintien du grand tétras sont considérables et se sont accrus avec l'utilisation d'engins de damage larges et le passage de l'itinéraire en zone d'hivernage et de pré-chant des tétraonidés ; la course est suivie par environ 200 compétiteurs et un public peu soucieux de respecter les prescriptions de respect du biotope ; elle se déroule à la fin de l'hiver alors que l'animal est fragilisé par la pénurie de nourriture et pendant la période de chant ou de pré-chant qui conditionne le succès de la reproduction et durant laquelle tout stress doit lui être évité ; l'itinéraire ainsi tracé est utilisé par les fondeurs et randonneurs durant toute l'année ;
- la stabilité de la population de tétras sur la zone Rouge Rupt depuis 1992 retenue par le tribunal n'est pas significative, intervenant après une période de forte baisse, le nombre de coqs y est passé de 8 à 10 en 1986 à 3 ou 4 actuellement ; on ne peut en tirer aucune conclusion quant à la stabilité biologique de l'espèce ;
- le préfet a l'obligation de prendre toute mesure utile à la préservation de la quiétude et du milieu du grand tétras, ainsi qu'à la conservation de son espèce, par application de l'arrêté préfectoral n° 2116-88 du 7 juin 1988 portant création d'une zone de protection du biotope du grand tétras et disposant que la « quiétude est indispensable au maintien du grand tétras et que toute fréquentation humaine est susceptible d'entraîner directement ou non, la dégradation d'un milieu particulier à cette espèce », du décret 89-331 du 22 mai 1989 portant création de la réserve naturelle du massif du Ventron et de l'article 3 de l'arrêté en date du 17 avril 1981 pris en application de l'article L.411-2 du code de l'environnement, classant le grand tétras au titre des espèces protégées sur les territoires des régions Alsace, Franche-Comté, Lorraine et Rhône-Alpes ;
- le grand tétras figure à l'annexe 1 de la directive n° 79/409/CEE du 2 avril 1979 et son habitat a été reconnu d'intérêt communautaire, justifiant le classement du massif vosgien en zone spéciale de conservation et en zone de protection spéciale par arrêté ministériel du 30 juillet 2004, au titre de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 dite «Natura 2000» ; la course litigieuse et sa préparation relèvent des notions de «plan et projet» résultant de la directive «habitats» et transposés à l'article L.414-4 du code de l'environnement ; l'autorisation annuelle délivrée par le préfet devrait être précédée de l' évaluation de ses effets sur la préservation du site et consécutivement de son interdiction sur le site ;
- la convention de Berne signée par la France le 19 septembre 1979 considère le grand tétras comme «espèce de l'avifaune protégée» et l'inclut dans l'annexe III de la convention obligeant les parties contractantes à prendre les mesures nécessaires à la protection de l'espèce ; cette convention produit indubitablement des effets dans l'ordre juridique interne ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2006 , présenté par le ministre de l'écologie et du développement durable qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- à titre principal, la requête est tardive et par suite irrecevable ; le jugement a été notifié le 19 septembre 2005 et l'appel enregistré le 8 décembre 2005 ;
- les observations en défense présentées par le préfet des Vosges devront être agréées ;
- le préfet des Vosges maintient sa volonté de rechercher une solution alternative pour le tracé de la course ; celle ci reste peu fréquentée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel ;
Vu la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
Vu la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
Vu le décret 89-331 du 22 mai 1989 portant création de la réserve naturelle du massif du Ventron ;
Vu l'arrêté en date du 17 avril 1981 fixant les listes des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire ;
Vu l'arrêté du préfet des Vosges n°2116-88 du 7 juin 1988 portant création dans le secteur de Rouge-Rupt, d'une zone de protection du biotope du grand tétras ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 novembre 2006 :
- le rapport de M. Devillers, premier conseiller,
- les observations de Me Turner, de la SCP Ertlen-Bigey-Saupe, avocat de l'association,
- et les conclusions de M. Wallerich, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à l'association requérante le 19 septembre 2005 ; que sa requête a été enregistré le 18 novembre 2005 dans le délai d'appel de deux mois ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'écologie et du développement durable et tirée de la tardiveté de l'appel de l'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN doit être écartée ;
Au fond :
Sur les conclusions à fins d'annulation et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant que la demande dont l'association requérante a saisi le préfet des Vosges le
26 novembre 2004, afin que cette autorité interdise pour l'avenir la compétition de ski de fond organisée annuellement depuis 1975 dans le périmètre de protection du grand tétras, doit être regardée comme tendant à obtenir l'abrogation de l'arrêté du préfectoral du 7 juin 1988 portant création dans le secteur de Rouge-Rupt d'une zone de protection du biotope du grand tétras en tant qu'il dispose, en son article 4, que : «Entre le 15 décembre et le 15 juin, l'entrée de la zone délimitée est admise uniquement dans les cas suivants (…) pour les compétitions de ski de fond, habituellement organisées dans le périmètre délimité à l'article 1 avant la date du présent arrêté» ;
Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des travaux de la mission d'inspection de la réserve naturelle des Vosges, dont le rapport de l'année 2000, marque sur cette question une évolution par rapport à celui adopté en 1996, que la protection du grand tétras, dont la population est limitée à seulement quelques individus, rend désormais impératif un déplacement de l'itinéraire de la course litigieuse ainsi que de façon générale une réduction au strict minimum des activités humaines dans la zone ; que le conseil scientifique du parc régional des ballons des Vosges a émis un avis identique ; que dès lors, la préservation de cette espèce d'oiseau, classée au titre des espèces protégées sur les territoires des régions Alsace, Franche-Comté, Lorraine et Rhône-alpes par l'article 3 de l'arrêté en date du 17 avril 1981 et au sujet duquel l'arrêté précité du préfet des Vosges du 7 juin 1988 énonce que « la quiétude est indispensable au maintien du grand tétras et que toute fréquentation humaine est susceptible d'entraîner, directement ou non, la dégradation d'un milieu particulier à cette espèce», impose l'abrogation dudit arrêté du 7 juin 1988 en tant qu'il autorise par exception la compétition de ski de fond dite du «Grand Ventron» ; que la décision implicite de rejet par le préfet des Vosges de cette demande d'abrogation doit par suite être annulée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que L'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fins d'injonction :
Considérant que l'annulation par le présent arrêt du refus implicite du préfet des Vosges d'abroger l'article 4 de son arrêté du 7 juin 1988 en tant qu'il autorise l'entrée de la zone de protection du biotope du grand tétras dans le secteur de Rouge-Rupt pour les compétitions de ski de fond qui y sont habituellement organisées implique nécessairement que le préfet des Vosges, dès lors qu'il ne fait pas valoir de circonstances postérieures à la décision annulée s'opposant à l'abrogation partielle de l'arrêté du 7 juin 1988, procède à cette abrogation ; qu'il y'a lieu pour la Cour d'enjoindre au préfet des Vosges de procéder à cette abrogation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation» ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser une somme de 1 000 € à L'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN ;
D É C I D E :
Article 1er : La décision implicite de rejet par le préfet des Vosges de la demande d'abrogation de son arrêté du 7 juin 1988 portant création dans le secteur de Rouge-Rupt d'une zone de protection du biotope du grand tétras en tant qu'il dispose, en son article 4, que : «Entre le
15 décembre et le 15 juin, l'entrée de la zone délimitée est admise uniquement dans les cas suivants (…) pour les compétitions de ski de fond, habituellement organisées dans le périmètre délimité à l'article 1 avant la date du présent arrêté» est annulée.
Article 2 : Le préfet des Vosges procèdera, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, à l'abrogation de son arrêté du 7 juin 1988 en tant qu'il autorise entre le 15 décembre et le 15 juin, l'entrée de la zone délimitée pour les compétitions de ski de fond, habituellement organisées dans le périmètre délimité à l'article 1 avant la date dudit arrêté.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 € (mille euros) à L'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à L'ASSOCIATION FEDERATIVE REGIONALE POUR LA PROTECTION DE LA NATURE HAUT-RHIN, au ministre de l'écologie et du développement durable et à l'association Avenir de Cornimont.
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N° 05NC01448