Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 mars 2005, présentée pour :
- Mme Fatma X, élisant domicile ...,
- M. ou Mme Adil X, élisant domicile...,
- Mme Ayse Y, élisant domicile...,
- M. Ibrahim X, élisant domicile ... ;
- M. Süleyman X, élisant domicile ...,
par la société d'avocats Orounla - Isitmez - Doyduk ;
Les consorts X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0400576 en date du 28 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à condamner l'Etat français à réparer le préjudice moral et matériel qu'ils ont subi à la suite du suicide de M. Baysal au cours de sa détention à la maison d'arrêt d'Epinal ;
2°) de condamner l'Etat français à leur verser, en réparation du préjudice moral, une somme globale de 285 000 € ;
3°) de condamner l'Etat français à leur verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- le tribunal a fait une inexacte appréciation des faits en écartant la responsabilité de l'Etat alors que l'administration pénitentiaire a commis une succession de fautes ;
-M. X, qui n'a jamais vu de médecin à la maison d'arrêt, n'a pas fait l'objet d'une surveillance particulière alors que l'intéressé était soumis à une obligation de soins et que son état psychologique était connu de l'administration pénitentiaire ; sa prise en charge médicale, notamment psychiatrique, était insuffisante et particulièrement le jour de l'accident ;
- l'intéressé n'aurait pas dû être mis à l'isolement alors que le doublement de cellule est une mesure de prévention du suicide ;
- les courriers adressés à sa famille laissaient présager que M. X allait passer à l'acte ; l'administration a été fautive pour s'être désintéressée du cas de M. X ;
- le défaut de surveillance le jour du drame est avéré ; le surveillant au poste a manqué de vigilance et, au regard du comportement agité du prisonnier, aurait dû en avertir immédiatement le chef surveillant ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2005, présenté par le Garde des sceaux, ministre de la justice ;
Le ministre conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le détenu avait fait l'objet d'une surveillance particulière, y compris le jour du suicide ;
- la prise en charge médicale du détenu a été effective dès l'arrivée de celui-ci en juillet et jusqu'en septembre 2005 ;
- rien n'indiquait un probable passage à l'acte ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juillet 2006 :
- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,
- les observations de Me Isitmez, de la société Orounla - Isitmez - Doyduk, avocat des concorts X ,
- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. Baysal a été incarcéré à la maison d'arrêt d'Epinal le 27 juin 2002 pour y exécuter une peine de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois assortis de sursis avec mise à l'épreuve ; que, le 16 septembre 2002, il a été découvert pendu à l'aide de morceaux de draps accrochés à une barre transversale située au-dessus de la fenêtre de sa cellule ; qu'il est décédé le lendemain à l'hôpital ; que les requérants demandent l'annulation du jugement en date du 28 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à condamner l'Etat français à réparer le préjudice moral et matériel qu'ils ont subi à la suite du suicide de M. Baysal ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et alors même que la fiche pénale annexée au mandat de dépôt ne comportait pas de prescriptions médicales spécifiques, que M. Bayal a fait l'objet, dès son arrivée et tout au long de son incarcération, de plusieurs consultations auprès du médecin psychiatre et de l'équipe psychiatrique, notamment en juillet 2002, et avait été examiné en dernier lieu par l'infirmier psychiatrique le 9 septembre suivant ; que l'intéressé faisait l'objet d'un traitement médical auquel il refusait d'ailleurs de s'astreindre ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérants, M. Baysal faisait effectivement l'objet d'une surveillance particulière y compris sur le plan médical et psychiatrique ; qu'à supposer même que l'intéressé aurait dû, par précaution, être placé en cellule double, il est constant que l'administration pénitentiaire ne s'est résolue à placer M. Baysal en cellule individuelle qu'après avoir tenté, sans succès, à six reprises de faire cohabiter l'intéressé avec d'autres détenus ; que le 16 septembre 2002, l'équipe de surveillance, qui a pris en compte les doléances du détenu tendant à se faire examiner par un médecin, en avait immédiatement informé le service médical et avait avisé le détenu de la visite de l'infirmier psychiatrique en début d'après-midi ; que si les troubles comportementaux du détenu étaient connus de l'administration et si celui-ci était, le matin du 16 septembre, dans un état d'agitation qui a nécessité de la part des surveillants une attention particulière, rien cependant ne pouvait laisser prévoir un passage à l'acte imminent ni justifier un transfert en urgence dans un hôpital psychiatrique ; que si M. avait fait état de pensées suicidaires dans un courrier adressé à son épouse, ce courrier daté du 15 septembre n'a pu être découvert par l'administration que le lendemain du suicide ; qu'enfin, la seule circonstance que le surveillant affecté à la cellule de M. ait, pendant un très court laps de temps, relâché sa surveillance afin d'effectuer la distribution des repas ne saurait caractériser une négligence fautive de sa part ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'administration n'avait pas, en l'espèce, commis de fautes de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande d'indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat français, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser aux requérants la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Fatma X, à M. et Mme Adil X, à Mme Ayse Y, à M. Ibrahim X, à M. Süleyman X et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 05NC00307