Vu, I°) la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 19 août 2004 sous le n° 04NC00795, présentée pour Mme Nathalie X, élisant domicile ..., par Me Michel, avocat ;
Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 29 juin 2004 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation des hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 115 000 € en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie dans cet établissement le 14 août 1998 ;
2°) de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme susvisée en réparation du préjudice subi, avec les intérêts légaux à compter de l'introduction de sa demande le 16 juillet 2003 ;
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal, qui n'a pas tiré toutes les conséquences du rapport d'expertise du professeur Z, n'a pas retenu la faute du service public hospitalier ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, elle avait contesté le rapport d'expertise en tant qu'il avait estimé que l'intervention s'était déroulée dans les règles de l'art ;
- la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg est engagée à raison d'une erreur de diagnostic commise dès le départ par le professeur qui a cru à tort que la requérante ne présentait que des troubles psychosomatiques et lui a proposé un suivi psychiatrique ; les troubles de la requérante n'ont pas été pris au sérieux et n'ont pas donné lieu, dès le lendemain de l'anesthésie péridurale effectuée lors du troisième accouchement de l'intéressée le 23 octobre 1997, à une investigation et un examen complémentaire nécessaires ; la requérante a dû attendre huit mois après sa chute dans les escaliers survenue en janvier 1998 pour qu'une IRM soit réalisée ; cette erreur de diagnostic a entraîné des retards d'intervention qui ont rendu celle-ci plus longue et plus difficile et impossible l'exérèse de la tumeur dans sa totalité sans léser des tissus sains ;
- l'exérèse incomplète de la tumeur aurait dû inciter l'expert à retenir une mauvaise exécution de l'acte chirurgical ;
- la responsabilité sans faute du service public hospitalier doit être admise dès lors que le dommage subi par la requérante, qui est lié à la réalisation d'un risque exceptionnel mais connu, est d'une extrême gravité, Mme X étant invalide et ayant besoin de l'assistance d'une tierce personne ;
- les séquelles de Mme X n'étant pas consolidées à ce jour, la Cour ordonnera sur ce point un complément d'expertise ;
- une indemnité de 70 000 € sera accordée au titre des troubles dans les conditions d'existence, eu égard au taux d'incapacité permanente partielle fixée à 30 % ;
- le préjudice d'agrément de la requérante, qui a notamment des difficultés pour s'habiller et se déshabiller et a perdu beaucoup d'autonomie personnelle, doit être évalué à 20 000 € ;
- une somme de 15 000 € sera accordée au titre du pretium doloris et une somme de 10 000 € au titre du préjudice esthétique ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2006, présenté pour les hôpitaux universitaires de Strasbourg, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat ;
Les hôpitaux universitaires de Strasbourg concluent au rejet de la requête de Mme X ;
Ils soutiennent que :
- la requérante ne saurait critiquer le jugement en tant qu'il n'avait pas contesté à la fois les conditions dans lesquelles le professeur a posé son diagnostic et la réalisation de l'intervention pratiquée par le professeur A, dès lors qu'elle n'avait pas invoqué lesdits moyens en première instance, la requérante s'étant bornée à rechercher la responsabilité du service public hospitalier sur le fondement du défaut d'information ;
- le moyen nouveau en appel, tiré d'une erreur de diagnostic, n'est pas fondé car directement contraire au rapport précis et circonstancié du professeur Z, qui exclut nettement toute erreur de diagnostic et tout retard d'intervention ; en particulier, selon l'expert, les signes neurologiques subjectifs et l'installation finalement tardive de signes objectifs permanents faisaient penser en premier lieu à une pathologie type sclérose en plaque et pas du tout à une pathologie de type tumeur médullaire ; par conséquent, en l'absence de signes clairs et eu égard à la difficulté du diagnostic, la responsabilité du service public hospitalier ne peut être engagée ;
- le moyen nouveau en appel tiré d'une mauvaise exécution de l'acte chirurgical n'est absolument pas fondé, le rapport d'expertise indiquant que l'opération a été faite selon les règles de l'art ;
- le manque d'information invoqué par la requérante n'est pas davantage un fait fautif dès lors qu'il était légitime pour le médecin de limiter en l'espèce l'information compte tenu de la personnalité et de l'état d'anxiété et d'angoisse de la patiente ; qu'en toute hypothèse, l'intervention chirurgicale était la seule alternative thérapeutique envisageable ;
- subsidiairement, les préjudices invoqués par la requérante sont en réalité directement et exclusivement liés à sa pathologie initiale d'une particulière gravité et dont l'évolution invalidante était malheureusement inéluctable ;
Vu, II°) la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 27 août 2004, sous le n° 04NC00848, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT, dont le siège est 2 A. Schweisguth à Sélestat cedex (67605), par Me Nunge, avocat ;
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 29 juin 2004 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation des hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui rembourser les débours qu'elle a exposés au profit de Mme X à la suite de l'intervention chirurgicale que celle-ci a subie dans cet établissement le 14 août 1998 ;
2°) de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 40 198,95 € avec les intérêts légaux à compter du 3 novembre 2003, date de sa demande devant le Tribunal administratif de Strasbourg, et à réserver ses droits quant aux prestations non encore connues ;
3°) de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 760 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
4°) de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 4 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que, pour les mêmes motifs que ceux exposés par Mme X à l'appui de sa requête, la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg doit être engagée à raison d'une erreur de diagnostic, d'un retard d'intervention et d'une mauvaise exécution de l'acte chirurgical ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2006, présenté pour les hôpitaux universitaires de Strasbourg, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat ;
Les hôpitaux universitaires de Strasbourg concluent au rejet de la requête de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT ;
Ils soutiennent que :
- à titre principal, la requête de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT est irrecevable car elle ne développe aucun moyen de fait et de droit mais se borne à se joindre à la requête introduite par la victime ; dépourvue en outre de moyens d'appel et ne comportant pas de critique du jugement attaqué, la caisse ne met pas le juge d'appel en mesure de se prononcer sur les erreurs que le tribunal aurait pu commettre en rejetant ses conclusions ;
- à titre subsidiaire, la requête de la caisse n'est pas fondée, comme il est indiqué dans les observations formulées à l'encontre de la requête de Mme X ;
- en toute hypothèse, la caisse n'apporte pas la preuve que les prestations dont elle demande le remboursement présentent une relation de causalité directe avec le dommage imputé au tiers responsable ; or, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT n'apporte aucun élément permettant de distinguer les frais nécessités par l'état initial de la patiente et les frais supplémentaires engendrés par la faute du service public hospitalier ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2006 :
; le rapport de M. Martinez, premier conseiller,
; et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X, qui a subi le 14 août 1998 dans les services des hôpitaux universitaires de Strasbourg une intervention chirurgicale aux fins d'exérèse d'une tumeur de la moelle cervicale, demeure atteinte d'un syndrome neurologique dit de Brown-Séquard qu'elle impute à sa prise en charge médicale par le service public hospitalier ; que Mme X et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT relèvent respectivement appel du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 29 juin 2004 ayant rejeté leur demande tendant à la condamnation des hôpitaux universitaires de Strasbourg à leur verser diverses indemnités au titre des préjudices et frais consécutifs à ladite intervention ;
Sur la jonction :
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il ressort de ses écritures de première instance que Mme X s'est bornée à rechercher la responsabilité du service public hospitalier sur le fondement du défaut d'information sans soulever aucun moyen relatif à la réalisation de l'intervention pratiquée par le docteur A ; que, dans ces conditions, alors même qu'elle aurait critiqué sur ce point le rapport de l'expert commis par le Tribunal administratif de Strasbourg, Mme X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il n'était « d'ailleurs pas contesté » par l'intéressée que l'intervention s'est déroulée selon les règles de l'art ;
Sur la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg :
Considérant que les requérantes, qui ne contestent pas le jugement en tant qu'il a écarté la responsabilité du service public hospitalier sur le fondement du défaut d'information de la patiente par les motifs que l'intervention était une nécessité vitale et qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée, soutiennent pour la première fois en appel que la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg est engagée soit à raison de fautes médicales soit sur le fondement de la responsabilité sans faute ;
Sur la responsabilité pour faute :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport établi par l'expert commis par ordonnance du président du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 15 octobre 2002, que la symptomatologie neurologique présentée par Mme X apparue en 1991 revêtait un caractère exceptionnel, dès lors qu'elle s'est traduite par la disparition des troubles pendant un intervalle d'environ sept ans ; que cette symptomatologie, marquée selon l'expert par des signes neurologiques subjectifs fugaces et l'installation finalement tardive de signes objectifs permanents, rendait particulièrement difficile l'établissement d'un diagnostic définitif et était de nature à évoquer dans une premier temps un processus démyélinisant lié à une pathologie de type sclérose en plaque ou encore des manifestations d'ordre psychosomatique ; que, dans ces conditions, eu égard à l'ambiguïté et à la complexité des symptômes et en l'absence de signes évidents en faveur d'une pathologie de type tumeur médullaire, ni le fait pour les services des hôpitaux universitaires de Strasbourg de n'avoir pas diagnostiqué cette pathologie avant l'examen cérébral et cervical pratiqué le 24 juillet 1998 ni les modalités selon lesquelles a été examinée l'intéressée en janvier, mars et juin 1998 ne sauraient, dans les circonstances de l'espèce, caractériser soit une erreur de diagnostic soit un retard d'intervention constitutifs de fautes médicales de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'intervention du 14 août 1998 s'est déroulée conformément aux règles de l'art ; que si Mme X fait valoir que l'exérèse de la tumeur intra-médullaire n'a pas été complète et a laissé subsister un petit kyste, cette seule circonstance n'est pas par-elle même de nature à établir une faute médicale dès lors que le geste opératoire a été effectué, lors d'une intervention particulièrement longue et difficile, aux fins d'éviter au maximum la lésion des tissus sains ;
Sur la responsabilité sans faute :
Lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme X présentait avant l'intervention du 14 août 1998 une tétraparésie sensitivomotrice directement liée à la tumeur médullaire dont elle était atteinte et qui l'exposait à très court terme à un risque d'aggravation massive de ses troubles neurologiques avec apparition d'une tétraplégie haute et de très graves troubles respiratoires susceptibles d'ailleurs de l'exposer à un risque mortel ; qu'à supposer même que la complication neurologique post-opératoire consécutive à l'intervention subie par Mme X puisse être regardée comme constituant un risque connu mais exceptionnel de l'acte chirurgical considéré, les troubles neurologiques dont est atteinte la requérante ne peuvent être considérés comme étant sans rapport avec son état de santé initial ni avec son évolution prévisible ; qu'au surplus, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'invalidité permanente partielle résultant directement de la complication post-opératoire dont s'agit, à l'exclusion de celle liée à l'état antérieur de la patiente, est limitée à un taux de 30% et ne saurait par suite être regardée comme un dommage d'une extrême gravité au sens des conditions précitées ; qu'il suit de là que Mme X n'est pas fondée à invoquer la responsabilité sans faute des hôpitaux universitaires de Strasbourg ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni Mme X ni la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT ne sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande ; qu'il y lieu par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, de rejeter les conclusions à fin d'indemnité présentées par Mme X ; qu'il y a lieu également, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposé par les hôpitaux universitaires de Strasbourg à la requête présentée par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT, de rejeter les conclusions à fin de remboursement présentées par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions de la caisse tendant au versement d'une somme de 760 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que les hôpitaux universitaires de Strasbourg , qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, soient condamnés à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes susvisées présentées respectivement par Mme X et par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Nathalie X, à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SELESTAT et aux hôpitaux universitaires de Strasbourg.
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N° 04NC00795 …