Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour les 23 et 26 juillet 2004, complétée par le mémoire enregistré le 28 avril 2006, présentée pour Mme Yvette X, élisant domicile ..., par la SCP Ertlen Bigey Saupe, avocats ;
Mme X demande à la Cour :
- d'annuler le jugement n° 9702311 en date du 4 mai 2004 en tant que le Tribunal administratif de Strasbourg n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mulhouse à réparer les conséquences dommageables de l'opération qu'elle a subie le 8 octobre 1992 et du suivi post-opératoire dont elle a fait l'objet ;
et, à titre principal,
- dire et juger que le centre hospitalier de Mulhouse a commis une faute engageant sa responsabilité ;
à titre subsidiaire,
- dire et juger que la responsabilité du centre hospitalier de Mulhouse est également engagée sur le terrain de la responsabilité sans faute ;
enfin,
- de condamner le centre hospitalier de Mulhouse à lui verser une somme fixée dans le dernier état de ses écritures à 385 121,45 € à titre de dommages intérêts, tous préjudices confondus, ladite somme étant assortie des intérêts à compter de la demande en justice ;
- de condamner le centre hospitalier de Mulhouse à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse une somme de 16 351,99 € et à la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) une somme de 2 627,28 € ;
- de condamner le centre hospitalier de Mulhouse à lui verser une somme de 15 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme X soutient que :
- c'est par une analyse erronée des pièces du dossier que le tribunal a estimé que le risque de brèche de la lame criblée n'existait pas et que le centre hospitalier de Mulhouse n'avait commis aucune faute en ne l'informant pas de ce risque ;
- la complication n'est pas le résultat d'une malformation congénitale ;
- le tribunal a fait une mauvaise appréciation de la cause en estimant que les dommages subis ne présentaient pas un caractère d'extrême gravité et ne pouvaient pas fonder une responsabilité sans faute ;
- le dommage est sous-évalué, le tribunal n'ayant pas pris en compte les troubles physiologiques ressentis pendant la période d'incapacité temporaire, ayant sous-évalué le préjudice résultant des séquelles de l'intervention et de la faute commise ;
- le tribunal n'a pas pris en compte le préjudice économique résultant des modifications de sa situation professionnelle, qui s'établit à 457 347, 05 € ;
- le tribunal a manifestement sous évalué le pretium doloris et le préjudice esthétique, qui doivent être chiffrés respectivement à 22 867,35 € et 6 097,96 € ;
- elle subit un préjudice d'agrément qui n'a pas été pris en compte et peut s'évaluer à 4 573,43 € ;
- le tribunal n'a pas pris en compte le fait qu'en raison de son état de santé, elle est tenue de recourir aux services d'une aide domestique, ni les frais de déplacement qu'elle a été contrainte d'exposer ;
- le retard de diagnostic est patent au vu des pièces du dossier ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 septembre 2004, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse, tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mulhouse à lui verser une somme de 16 351,99 €, ainsi qu'une somme de 760 € au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
La caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse soutient que l'ensemble des débours qu'elle a exposés et dont elle demande le remboursement sont liés à des interventions que la faute du centre hospitalier a générées ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés les 20 octobre et 17 novembre 2004, présentés pour le centre hospitalier de Mulhouse par Me Werey, avocat, tendant à la réformation du jugement et au rejet de la demande de Mme X et à sa condamnation à lui verser une somme de 15 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Le centre hospitalier de Mulhouse soutient que :
- il n'existe aucun lien de cause à effet entre l'intervention et les troubles allégués par la requérante qui sont consécutifs à une malformation congénitale ;
- il ne résulte aucunement du rapport d'expertise qu'il y ait eu un manquement à l'obligation d'information, dès lors que l'intervention s'est déroulée sans geste osseux ;
- le rapport d'expertise écarte tout manquement, toute faute médicale et de soins en ce qui concerne l'intervention ;
- il n'est nullement démontré qu'il y ait eu un retard de diagnostic dès lors que les examens réalisés au milieu des années 1990 sont revenus négatifs ;
- la requérante doit justifier des consultations au centre hospitalier entre 1992 et 1995 ;
- la requérante n'a pas fait suite à la proposition de réintervention formulée par le chirurgien dix-huit mois après l'opération ;
- les affections hépatiques dont se plaint la requérante sont sans lien avec les traitements mis en place depuis 1995 ;
- la jurisprudence Bianchi n'est pas applicable en l'espèce, la brèche ayant un rapport avec l'état initial de la patiente et la gravité du dommage étant insuffisante ;
- le décompte de la caisse primaire doit être réduit d'un poste frais futurs 1998 qui n'est pas justifié et de tout montant ne présentant pas un lien avec l'intervention incriminée ;
- les prétentions de la mutuelle doivent être rejetées faute de lien avec l'intervention incriminée ;
- s'agissant de l'ITT, toutes les personnes consultées entre 1992 et les épisodes méningés sont également responsables du retard de diagnostic et seule une intervention de comblement aurait pu éviter le pire mais la requérante s'y est soustraite dans un premier temps ;
- s'agissant de l'IPP, elle a été handicapée à un niveau bien moindre qu'il n'est soutenu ;
- il y lieu de réduire le pretium doloris dès lors que la requérante s'est soustraite à l'intervention réparatrice ;
- s'agissant du préjudice d'agrément, il n'est nullement établi que la requérante pratiquait une activité sportive de façon régulière ;
- la requérante ne justifie pas de ses préjudices professionnels ;
- rien ne contraignait la requérante à passer le concours d'infirmière scolaire ;
- si la Cour devait ne retenir que le défaut d'information, le préjudice ne se réduirait qu'à l'indemnisation de la perte de chance ;
Vu les mémoires, enregistrés les 25 octobre 2004 et 6 janvier 2005, présentés pour la mutuelle générale de l'éducation nationale, tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mulhouse à lui verser une somme de 2 627,28 €, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2003 ainsi qu'une somme de 1 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La mutuelle générale de l'éducation nationale soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier est pleine et entière à raison du retard de diagnostic et du manque d'information ;
- les prestations dont il est demandé le remboursement ont été versées consécutivement aux conséquences dommageables de l'intervention ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 2006 :
; le rapport de Mme Monchambert, président,
- les observations de Me Saupe de la SCP Ertlen, Bigey, Saupe, Perret, avocat de Mme X, et de Me Werey de la SCP Schlecht, Werey, Morel-Rager, Firobin, Roehrig, avocat du centre hospitalier de Mulhouse,
; et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X, qui souffrait de sinusites chroniques en raison d'une déviation de la cloison nasale, a été admise le 8 octobre 1992 au centre hospitalier de Mulhouse pour y subir une septorhinoplastie ; qu'à la suite de cette intervention, Mme X a continué à souffrir de rhinorrhées et a été victime de deux épisodes de méningite aiguë survenus en 1995 et 1999 ; que, par le jugement attaqué en date du 4 mai 2004, le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier de Mulhouse à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse les sommes de 3 254,33 € et de 760 € et à Mme X la somme de 36 000 € correspondant à la réparation des préjudices imputables au retard de diagnostic commis par l'établissement dans le cadre du suivi post- opératoire de la patiente ; que Mme X demande l'annulation du jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes ; que le centre hospitalier de Mulhouse demande l'annulation du jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité et est entré en voie de condamnation ; que, par ailleurs, la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse demande à ce que la somme que l'établissement a été condamné à lui verser soit portée à 16 351,99 euros, tandis que la mutuelle générale de l'éducation nationale demande la condamnation du centre hospitalier de Mulhouse à lui verser la somme de 2 627,29 € ;
Sur la responsabilité sans faute :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ; que si Mme X soutient que les dommages qu'elle subit présentent un caractère d'extrême gravité, elle n'articule devant le juge d'appel aucun moyen autre que ceux développés devant les premiers juges ; qu'il ressort des pièces du dossier que, pour les mêmes motifs que ceux contenus dans le jugement attaqué, ce moyen ne saurait être accueilli ;
Sur la responsabilité pour faute :
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de cette obligation ; qu'il résulte de l'instruction que si Mme X n'a pas été, antérieurement à l'intervention du 8 octobre 1998, informée du risque de méningite dont elle a été victime, il ressort des dires mêmes de l'expert que ce risque n'est pas au nombre des risques prévisibles d'une septorhinoplastie qui n'implique pas de geste osseux ; que, par suite, Mme X n'est pas fondée à soutenir qu'en ne l'informant pas du risque, le centre hospitalier de Mulhouse aurait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des experts désignés par le Tribunal administratif, que si l'intervention du 8 octobre 1992 s'est correctement déroulée, cette opération n'a pas cependant pas eu les résultats escomptés, dès lors que, dans les deux mois qui ont suivi, Mme X a, à nouveau, souffert de rhinorrhées ; que le centre hospitalier de Mulhouse ne conteste pas sérieusement les dires de l'expert selon lequel, en cas d'écoulement nasal unilatéral survenant dans les suites, même à distance, d'une septorhinoplastie, il aurait fallu évoquer le diagnostic de liquorrhée cérébro-spinale, cause très facile à mettre en évidence par simple analyse de l'écoulement séreux ; que si le centre hospitalier de Mulhouse soutient que les analyses réalisées avant 1995 se seraient révélées négatives, il n'en établit pas l'existence de façon suffisamment probante ; qu'en revanche, il ressort des dires mêmes de l'expert qu'à la réapparition des rhinorrées, Mme X n'a pas immédiatement consulté un des praticiens du centre hospitalier ; qu'elle ne s'est adressée au service ORL du centre hospitalier de Mulhouse qu'en avril 1993, après l'échec des prescriptions de son médecin généraliste et n'a de nouveau rencontré le praticien qui avait réalisé l'opération qu'en avril 1994 ; qu'il n'est pas non plus établi par les pièces du dossier que lors de ces consultations et lors de son hospitalisation en mai 1995, il ait été procédé auxdites analyses ; que celles-ci n'ont été effectuées qu'en avril 1996 à l'initiative d'un praticien appartenant à un autre établissement hospitalier ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier de Mulhouse est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont jugé que le retard de diagnostic lui était imputable dès le mois d'octobre 1992 ;
Considérant enfin qu'il résulte de ce qui a été dit que Mme X a été victime d'un retard fautif de diagnostic pendant une période allant d'avril 1993 à avril 1996 ;
Sur la réparation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de la seconde expertise que, du fait du retard apporté dans le diagnostic de l'origine des troubles consécutifs à l'intervention du 8 octobre 1992, Mme X n'a pu lors de leur apparition bénéficier de l'intervention réparatrice que nécessitait son état et a été exposée à un risque de méningite aiguë qui s'est réalisé ; que Mme X souffre d'une incapacité permanente de 30% ; que les douleurs physiques endurées ont été évaluées par l'expert à 5/7 et le préjudice esthétique à 1/7 ; que la part de ces préjudices imputables au retard de diagnostic doit être estimée à 80 % ; que Mme X n'établit pas que son changement d'orientation professionnelle ni que les préjudices financiers qu'elles invoquent sans d'ailleurs les établir, aient un lien avec la faute découlant du retard de diagnostic ; que, dans les circonstances de l'espèce, le centre hospitalier de Mulhouse est fondé à soutenir qu'en évaluant les troubles de toute nature subis par Mme X dans les conditions d'existence à une somme de 30 000 euros, les premiers juges en ont fait une appréciation excessive ; qu'eu égard notamment à la durée de la période de retard imputable à la faute commise, il y a lieu de réduire le montant alloué à ce titre à une somme de 20 000 € ; que si le retard de diagnostic a été à l'origine pour Mme X de douleurs physiques supplémentaires, en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la faute commise ait un lien avec le préjudice esthétique invoqué ; que par suite, il sera fait une juste appréciation desdits préjudices en réduisant leur montant à 5 000 € ; qu'il y lieu de réformer le jugement attaqué en ce sens ;
Considérant que si la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse demande à ce que la somme que l'établissement a été condamné à lui verser soit portée à 16 351,99 euros, elle n'établit pas plus qu'en première instance que les frais dont elle demande le remboursement seraient liés à la faute commise ; qu'il y a lieu d'écarter le moyen soulevé par la caisse par adoption des motifs qui ont été, à bon droit, retenus par le tribunal administratif ;
Considérant qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la mutuelle générale de l'éducation nationale n'établit pas que les prestations servies à son assurée dont elle demande le remboursement, qui sont relatives à des soins liés à l'intervention réparatrice que nécessitait l'état de Mme X, aient un lien avec la faute commise ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que Mme X et la mutuelle générale de l'éducation nationale, parties perdantes, puissent se voir allouer les sommes qu'elles demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner Mme X à payer au centre hospitalier de Mulhouse la somme qu'il réclame sur ce fondement ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 36 000 € que le centre hospitalier de Mulhouse a été condamné à verser à Mme X par le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg du 4 mai 2004 est ramenée à 25 000 €.
Article 2 : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg du 4 mai 2004 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La requête de Mme X, le surplus de l'appel incident du centre hospitalier de Mulhouse et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse et de la mutuelle générale de l'éducation nationale sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Yvette X, au centre hospitalier de Mulhouse, à la caisse primaire d'assurance maladie de Mulhouse et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.
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N° 04NC00687