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17/06/2004 | FRANCE | N°01NC00426

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3eme chambre - formation a 3, 17 juin 2004, 01NC00426


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 avril 2001 sous le n° 01NC00426, complétée par mémoire enregistré le 19 mai 2004, présentée d'une part, pour la société AIR FRANCE, venue aux droits de la société AIR FRANCE EUROPE, anciennement dénommée AIR INTER, dont le siège est 45,avenue de Paris à Roissy CDG Cedex (95747), et, d'autre part, pour la société A.G.F.-M.A.T., venue aux droits de la CAMAT, dont le siège social est ..., par Me Y... COSSA, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

La société AIR FRANCE et la société A.G.F.-M.A.T dema

ndent à la Cour :

1°) - d'annuler le jugement en date du 19 janvier 2001 par ...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 avril 2001 sous le n° 01NC00426, complétée par mémoire enregistré le 19 mai 2004, présentée d'une part, pour la société AIR FRANCE, venue aux droits de la société AIR FRANCE EUROPE, anciennement dénommée AIR INTER, dont le siège est 45,avenue de Paris à Roissy CDG Cedex (95747), et, d'autre part, pour la société A.G.F.-M.A.T., venue aux droits de la CAMAT, dont le siège social est ..., par Me Y... COSSA, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

La société AIR FRANCE et la société A.G.F.-M.A.T demandent à la Cour :

1°) - d'annuler le jugement en date du 19 janvier 2001 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable des préjudices subis par elles du fait de l'accident d'un aéronef A 320 survenu le 20 janvier 1992 près du Mont Saint-Odile et qu'il soit condamné à payer, en principal, à la société AIR FRANCE la somme de 22 800 000 F et, à la société A.G.F.-M.A.T., la somme de 37 088 000 $ américains ou sa contrepartie en francs, ainsi que la somme de 147 220 130 F, l'ensemble de ces sommes majoré des intérêts de droit avec anatocisme de ceux échus depuis plus d'un an ;

2°) - de condamner l'Etat à payer à la société AIR FRANCE et à la société A.G.F.-M.A.T. les sommes susvisées ;

Code : C+

Plan de classement : 18-04-02-04

Elles soutiennent que :

- le jugement a été rendu en méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire ; la décision des premiers juges est entachée d'infra petita en ce qu'elle statue uniquement sur l'exception de prescription quadriennale opposée par l'Etat sans se prononcer sur la responsabilité de celui-ci ; le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas les circonstances de fait prises en compte par le tribunal administratif et en ce qu'il n'a pas répondu à tous les moyens soulevés par les requérants ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a accueilli l'exception de prescription quadriennale ; en effet, la prescription ne court pas à l'encontre d'un créancier qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ; en l'espèce, l'éventualité d'une responsabilité de l'Etat n'a été révélée au plus tôt qu'à compter du dépôt du rapport d'enquête administrative en novembre 1993 et ce n'est qu'en 1995 que le juge d'instruction a été mis en mesure de constater des fautes dans le contrôle aérien et de mettre en examen les agents concernés ; le montant exact de la créance n'étant pas connu, le délai de prescription quadriennale ne saurait courir ; subsidiairement, le délai ne pouvait courir qu'à compter du 1er janvier 1996, soit après les constatations du juge d'instruction ou, le cas échéant, à compter du 1er janvier 1994, après le dépôt du rapport d'enquête administrative ;

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant que la plainte avec constitution de partie civile, déposée par la société Air France Europe dans le cadre de la mise en examen des agents de l'Etat, n'était pas de nature à interrompre le délai de prescription quadriennale ; au demeurant, le délai de prescription quadriennale a été interrompu par la communication le 3 décembre 1993 par le ministre des transports du rapport final de la commission d'enquête administrative à la compagnie Air Inter ;

- la responsabilité de l'Etat pour faute de service du contrôle de la circulation aérienne est avérée et le préjudice est également établi ; les requérantes ne s'opposent cependant pas à ce que la Cour sursoie à statuer jusqu'à la décision de la juridiction pénale ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 29 mars 2002 et 23 janvier 2004, présentés par le ministre de la défense ;

Il soutient que :

- à titre principal, le jugement est régulier dès lors que le tribunal administratif n'a pas l'obligation de statuer au fond lorsqu'il accueille l'exception de prescription quadriennale ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que la créance était prescrite ; en particulier, la plainte avec constitution de partie, présentée par les requérantes devant le Tribunal de grande instance de Colmar, ne pouvait interrompre la prescription ;

- subsidiairement, le tribunal administratif n'est pas en mesure de statuer et doit surseoir jusqu'au prononcé du jugement du tribunal correctionnel, qui établira les faits à l'origine de l'accident ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre 2003 et 21 mai 2004, présentés pour le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, par la SCP Lyon-Caen-Fabiani-Thiriez, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Le ministre conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérantes à verser à l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Le ministre soulève les mêmes moyens que ceux exposés par le ministre de la défense et soutient en outre que :

- le jugement est régulier ; lorsque l'exception de prescription quadriennale est soulevée à bon droit, le juge n'a pas à se prononcer sur l'existence de la créance alléguée ; le jugement est suffisamment motivé dès lors qu'il énonce les circonstances de fait précises de l'accident ;

- le tribunal administratif a fait une exacte application des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, dès lors que notamment le fait générateur de la créance est constitué par l'accident lui-même ; la société Air France ne peut se prévaloir de ce qu'elle ignorait l'existence de sa créance car elle n'était pas ici dans l'impossibilité absolue d'identifier son débiteur eu égard au nombre restreint des causes de l'accident ; enfin, la constitution de partie civile déposée dans le cadre de la mise en examen des agents publics n'est pas une cause interruptive de la créance litigieuse ; le moyen tiré du fait interruptif lié à la communication du rapport d'enquête est irrecevable, car nouveau en appel et, en tout état de cause, non fondé ;

- à titre subsidiaire, il serait opportun pour la Cour de surseoir à statuer sur le fond dans l'attente de la décision du juge pénal ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mai 2004 :

- le rapport de M. MARTINEZ, Premier Conseiller ;

- les observations de Me X... de la SCP LYON-CAEN-FABIANI-THIRIEZ, avocat du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ;

- et les conclusions de M. TREAND, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant que la société AIR FRANCE, venue aux droits de la société AIR FRANCE EUROPE, anciennement dénommée AIR INTER, et son assureur, la société A.G.F.-M.A.T, venue aux droits de la CAMAT, demandent l'annulation du jugement en date du 19 janvier 2001 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable des préjudices subis par elles, du fait de l'accident d'un aéronef A 320 survenu le 20 janvier 1992 près du mont Saint-Odile (Bas-Rhin) ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant, d'une part, que le moyen, soulevé par les requérantes, tiré de la méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure contentieuse n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ; que, d'autre part, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le jugement attaqué, dont les considérants comportent une énonciation des éléments de droit et de fait précise et circonstanciée, est suffisamment motivé au sens de l'article L. 9 du code de justice administrative et a examiné l'ensemble des moyens soulevé par les intéressées en première instance ; qu'enfin, il n'y avait pas lieu pour le tribunal administratif de statuer sur les responsabilités éventuelles de l'Etat dès lors qu'il accueillait l'exception de prescription quadriennale opposée par l'administration ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient statué infra petita doit être écarté ;

Sur l'exception tirée de la prescription quadriennale :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : Sont prescrites au profit de l'Etat, des départements et des communes, sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; tout recours formé devant la juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; ...toute communication écrite d'une administration intéressée, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance... ; qu'aux termes de l'article 3 : La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 que la connaissance par la victime de l'existence d'un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale ; que le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que si le préjudice, tel qu'il a été invoqué par les requérantes devant les premiers juges et dont elles imputent la responsabilité à l'Etat, trouve son origine dans l'accident susmentionné, survenu au cours de l'année 1992, l'éventualité d'une mise en cause des services de l'Etat en matière de contrôle de la navigation aérienne n'a pu en l'espèce être évoquée de manière suffisamment nette, au plus tôt, qu'à compter de l'établissement et du dépôt, le 26 novembre 1993, du rapport final de la commission d'enquête administrative ; que, dans ces conditions, nonobstant le nombre relativement limité des causes susceptibles de provoquer un accident d'aéronef et alors qu'il n'est pas allégué que la compagnie aérienne disposait avant l'année 1993 d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration, la société AIR FRANCE pouvait être regardée comme ignorant légitimement sa créance éventuelle sur l'Etat jusqu'à l'établissement et au dépôt dudit rapport d'enquête administrative ; que, dès lors, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Strasbourg, le délai de la prescription n'a pas commencé à courir à l'encontre de ladite société à compter du premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel s'est produit l'accident du 20 janvier 1992, soit le 1er janvier 1993, mais seulement à compter du début de l'exercice suivant celui au cours duquel elle disposait d'éléments d'information suffisants sur l'origine du dommage, soit en l'occurrence le 1er janvier 1994 ; que, par suite, la créance éventuelle de la société AIR FRANCE n'était pas atteinte par la prescription quadriennale à la date du 15 janvier 1997 à laquelle les services de l'Etat ont réceptionné la demande préalable d'indemnité présentée par ladite société et son assureur ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société AIR FRANCE et la société A.G.F.-M.A.T sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande en accueillant l'exception de prescription quadriennale opposée par l'Etat à l'encontre de leurs conclusions indemnitaires ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les requérantes tant devant le tribunal administratif qu'en appel ;

Sur la responsabilité :

Considérant que pour rechercher la responsabilité de l'Etat, les requérantes font valoir que l'accident litigieux serait imputable à une faute du service du contrôle de la navigation aérienne ; que l'état du dossier ne permet pas à la Cour de statuer en toute connaissance de cause sur la demande des intéressées ; que compte-tenu de l'éventuelle incidence sur le présent litige des informations contenues dans les différents rapports d'expertise établis dans le cadre de la procédure pénale en cours, il y a lieu, conformément à l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ainsi d'ailleurs que le sollicitent les parties, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction judiciaire se soit prononcée sur les circonstances de fait à l'origine de l'accident dont s'agit ;

D É C I D E :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête susvisée de la Société AIR FRANCE et de la société A.G.F.-M.A.F. jusqu'à ce que la juridiction judiciaire se soit prononcée sur les circonstances de fait à l'origine de l'accident dont s'agit.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés pour qu'il y soit statué en fin d'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société AIR FRANCE, à la société A.G.F.-M.A.T, au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et au ministre de la défense.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 01NC00426
Date de la décision : 17/06/2004
Sens de l'arrêt : Avant dire-droit
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. KINTZ
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : COSSA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2004-06-17;01nc00426 ?
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