La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/1991 | FRANCE | N°89NC00631

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2e chambre, 07 novembre 1991, 89NC00631


VU 1° la décision en date du 2 janvier 1989 par laquelle le président de la 5ème sous-section de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour la communauté urbaine de Lille ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 décembre 1987 et le 21 avril 1988 sous le n° 93415 puis au greffe de la cour sous le n° 89NC00631, présentés pour la communauté urbaine de Lille représentée par son p

résident en exercice habilité à cette fin par délibération en date du 27 ...

VU 1° la décision en date du 2 janvier 1989 par laquelle le président de la 5ème sous-section de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour la communauté urbaine de Lille ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 décembre 1987 et le 21 avril 1988 sous le n° 93415 puis au greffe de la cour sous le n° 89NC00631, présentés pour la communauté urbaine de Lille représentée par son président en exercice habilité à cette fin par délibération en date du 27 septembre 1985 ;
La communauté urbaine de Lille demande à la Cour :
1° - d'annuler le jugement en date du 29 octobre 1987 en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Lille l'a déclarée conjointement et solidairement responsable avec le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) d'un tiers des préjudices commerciaux subis par la société ROCQ et la société "Traiteur du Mélantois" à la suite de l'incendie survenu le 11 juin 1981 dans leurs locaux ;
2° - de prononcer sa mise hors de cause et de rejeter les conclusions dirigées contre elle tant en réparation qu'en garantie par la société d'assurances "Abeille et Paix", les sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois", le S.I.D.E.N, la commune de PERONNE EN MELANTOIS et autres ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense et appel provoqué enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 novembre 1988, présenté pour le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
Le syndicat de demande à la Cour :
1° - d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 29 octobre 1987 en tant que, par ses articles 3 et 4, il a mis à sa charge ou solidairement avec la communauté urbaine de Lille, un tiers des conséquences dommageables du sinistre ;
2° - de rejeter les requêtes des sociétés Abeille-Paix, ROCQ et "Traiteur du Mélantois" ;
Vu le mémoire en défense et appel incident enregistré le 3 novembre 1989, présenté pour la société anonyme ROCQ et la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" ;
Lesdites sociétés demandent à la Cour :
1° - de rejeter la requête de la communauté urbaine de Lille ; 2° - de faire droit à son appel incident tendant à ce que la communauté urbaine de Lille, et en tant que de besoin le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), soient déclarés entièrement responsables, ou au moins à hauteur des deux tiers, des conséquences dommageables de l'incendie ;
3° - de rejeter en tant que de besoin le recours du syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
4° - d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

VU 2° la décision en date du 26 janvier 1989 par laquelle le président de la 5ème sous-section de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 décembre 1987 et le 28 avril 1988 sous le n° 93860 puis au greffe de la cour sous le n° 89NC00884, présentés pour le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) représenté par son directeur en exercice ;
Le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) demande à la Cour :
1° - d'annuler en toutes ses dispositions le jugement en date du 29 octobre 1987 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a déclaré conjointement et solidairement responsable avec la communauté urbaine de Lille d'un tiers des préjudices commerciaux subis par la société ROCQ et la société "Traiteur du Mélantois", et seul responsable d'un tiers des préjudices subis par ces deux sociétés et dédommagés par la compagnie d'assurances, à la suite de l'incendie survenu le 11 juin 1981 dans leurs locaux ;
2° - subsidiairement, statuant par voie d'évocation sur le recours en garantie exercé par le syndicat contre la communauté urbaine de Lille, de condamner celle-ci, en tant que de besoin, à le garantir intégralement ;
3° - subsidiairement encore, de condamner le service départemental de lutte contre l'incendie à le garantir de sa condamnation éventuelle ;
4° - d'ordonner une expertise le cas échéant ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense et appel incident enregistré au greffe de la cour administrative d'appel le 19 avril 1989, présenté pour la compagnie Abeille Paix ;
La compagnie Abeille Paix demande à la Cour :
1° - de rejeter le recours du syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
2° - de faire droit à son appel incident tendant à ce que ledit syndicat soit déclaré entièrement responsable, ou au moins à hauteur des deux tiers, des conséquences dommageables de l'incendie, et de réformer en conséquence l'article 3 du jugement attaqué ;
3° - d'ordonner la capitalisation des intérêts au jour du dépôt du présent mémoire ;
Vu le mémoire en défense et appel incident enregistré le 22 novembre 1990, présenté pour la société anonyme ROCQ et la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" ;

Lesdites sociétés demandent à la Cour :
1° - de rejeter la requête de la communauté urbaine de Lille ;
2° - de faire droit à son appel incident tendant à ce que la communauté urbaine de Lille, et en tant que de besoin le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), soient déclarés entièrement responsables, ou au moins à hauteur des deux tiers, des conséquences dommageables de l'incendie ;
3° - de rejeter en tant que besoin le recours du syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
4° - d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
VU 3° la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel le 11 mai 1990 et le 10 juillet 1990, sous le n° 90NC00249, présentés pour le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ;
Le syndicat demande à la Cour :
1° - d'annuler le jugement en date du 13 mars 1990 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamné :
- à payer à la société Abeille Paix une somme de 3 467 285,33 F avec les intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts ;
- conjointement et solidairement avec la communauté urbaine de Lille à payer à la S.A. ROCQ une somme de 712 510,23 F et à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" une somme de 80 147,50 F, avec les intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts ;
2° - de rejeter les demandes présentées par la compagnie d'assurances Abeille Paix, la société ROCQ et la société "Traiteur du Mélantois" devant le tribunal administratif de Lille ;
Vu le jugement attaqué ;
VU 4° la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel le 14 mai 1990 sous le numéro 90NC00251, présentée pour la communauté urbaine de Lille représentée par son président en exercice habilité à cette fin par délibération en date du 27 septembre 1985 ;
La communauté urbaine de Lille demande à la Cour :
1° - d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 mars 1990 en ce qu'il l'a condamnée conjointement et solidairement avec le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) à verser les sommes de 712 510,23 F et de 80 147,50 F aux sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois", et l'a condamnée à garantir le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) desdites condamnations ainsi que de celle de 3 467 285,33 F prononcée à l'encontre dudit syndicat au profit de la compagnie Abeille Assurances ;
2° - de rejeter les demandes de réparation présentées à son encontre devant le tribunal administratif par les sociétés sinistrées ainsi que l'appel en garantie formé contre elle par le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), et de condamner celui-ci à la garantir des condamnations qui viendraient à être mises à sa charge ;

Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense enregistré le 25 septembre 1990, présenté pour la compagnie Abeille Assurances venant aux droits de la compagnie Abeille Paix ;
La compagnie Abeille Assurances demande à la Cour :
- de rejeter le recours de la communauté urbaine de Lille en ce qu'il porte sur l'évaluation des indemnités accordées par le jugement du 13 mars 1990 ;
- de "statuer ce que de droit" sur le surplus des conclusions de la requête de la communauté urbaine de Lille ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 octobre 1991 :
- le rapport de M. LAPORTE, conseiller,
- les observations de Maître X... substituant la SCP COUTARD-MAYER avocat de la Compagnie Abeille-Paix et de la commune de PERONNE EN MELANTOIS et les observations de Maître ZIMMERMANN avocat des sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois",
- et les conclusions de Mme FRAYSSE, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées de la communauté urbaine de Lille et du syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) sont relatives aux conséquences d'un même incendie et présentent à juger des questions étroitement connexes ; qu'il y a lieu de les joindre afin d'y statuer par une même décision ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 11 juin 1981, un incendie a entièrement détruit les immeubles et les installations à usage de boucherie et de charcuterie industrielles appartenant à la S.A ROCQ et à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois", sur le territoire de la commune de PERONNE EN MELANTOIS ; que les bâtiments, le matériel et les marchandises étant assurés collectivement par les compagnies Abeille Paix, Lloyd Z... et Union Générale du Nord, la compagnie Abeille Paix, en sa qualité d'apéritrice, a indemnisé les deux sociétés dont s'agit à concurrence du total de la créance née du contrat d'assurance, soit 10 558 136 F, puis a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à ce que les communes de PERONNE EN MELANTOIS, VILLENEUVE D'ASCQ et FRETIN, la communauté urbaine de Lille, le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), la société des eaux du Nord et le service départemental de lutte contre l'incendie soient condamnés conjointement et solidairement à lui verser ladite somme de 10 558 136 F ; que, par ailleurs, les deux sociétés sinistrées ont saisi ce même tribunal d'une seconde demande tendant à ce que les défendeurs précités soient condamnés conjointement et solidairement à leur verser une somme de 5 000 000 F ; que par un jugement du 29 octobre 1987, le tribunal administratif de Lille, au vu des conclusions de l'expert désigné en référé a, d'une part, mis hors de cause les communes de PERONNE EN MELANTOIS, FRETIN et VILLENEUVE D'ASCQ, le service départemental de lutte contre l'incendie et la société des eaux du Nord ; que, d'autre part, il a déclaré le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), à concurrence d'un tiers, seul responsable envers la société Abeille Paix, et responsable conjointement et solidairement avec la communauté urbaine de Lille des préjudices commerciaux subis par les deux sociétés, et a ordonné une expertise aux fins de lui permettre d'évaluer les divers éléments du préjudice commercial subi par les sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois" ; qu'à la suite du dépôt de ce second rapport d'expertise, les demandeurs de première instance ont arrêté leurs prétentions à 10 558 136 F en ce qui concerne la compagnie Abeille Paix, 2 465 418,81 F en ce qui concerne la S.A ROCQ et 260 442,51 F en ce qui concerne la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" ; que, par un second jugement en date du 13 mars 1990, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, ramené respectivement à 10 401 856 F, 2 137 530,70 F et 240 442,51 F les évaluations faites par ces trois demandeurs et a, d'autre part, compte tenu de la limitation de responsabilité à un tiers admise par son précédent jugement, condamné le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) à verser à la société Abeille Paix une somme de 3 467 285,33 F, le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) et la communauté urbaine de Lille, pris conjointement et solidairement, à verser à la S.A ROCQ une somme de 712 510,23 F et à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" une somme de 80 147,50 F ; que, par les quatre requêtes susvisées, la communauté urbaine de Lille et le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ont fait chacun appel de ces deux jugements ; que si, dans son mémoire en réplique enregistré le 5 août 1988 dans l'affaire n° 89NC00631, la communauté urbaine de Lille a exposé qu'elle renonçait à mettre en cause la responsabilité des communes du lieu du
sinistre, elle n'a présenté en appel aucune conclusion à l'encontre desdites communes mises hors de cause en première instance et a entendu seulement s'abstenir d'invoquer la responsabilité de ces communes pour se dégager de la sienne ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, que si, dans sa requête introductive d'instance enregistrée sous le numéro 89NC00884, le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) a soutenu que le jugement du 29 octobre 1987 était intervenu sur une procédure irrégulière, un tel moyen, qui n'a d'ailleurs pas été repris dans le mémoire ampliatif, n'est assorti d'aucune précision de nature à permettre d'en apprécier la portée et le bien-fondé, et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que dans son mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal administratif de Lille le 24 août 1987 dans le cadre de l'instance n° 6053, le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) a soutenu que les demandes de la compagnie Abeille Paix et des deux sociétés sinistrées étaient irrecevables pour n'avoir pas été précédées d'un recours administratif préalable ; que, d'une part, le tribunal administratif a constaté que le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) n'avait pas pris de décision explicite de rejet de la réclamation de la société Abeille Paix et qu'ainsi aucune forclusion ne pouvait être opposée à celle-ci ; que, d'autre part, ce même tribunal a rejeté les fins de non-recevoir opposées aux deux sociétés sinistrées après avoir estimé également que l'absence de réponse à leur recours préalable avait fait naître au bout de quatre mois une décision implicite de rejet qui, en matière de plein contentieux, pouvait permettre de saisir le juge administratif sans condition de délai ; qu'ainsi, le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges n'ont pas statué sur les fins de non-recevoir qu'il avait opposées ;
Considérant, en troisième lieu, que la communauté urbaine de Lille reproche aux jugements attaqués d'avoir condamné conjointement et solidairement la communauté urbaine de Lille et le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) à réparer les préjudices commerciaux subis par les deux sociétés sinistrées, et de n'avoir condamné que le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) à indemniser l'assureur qui a pris en charge les préjudices immobiliers et mobiliers, alors que ces deux catégories de dommages procèderaient de la même cause ; qu'il est toutefois constant que, s'agissant de cette dernière réparation, l'absence de condamnation à l'encontre de la communauté urbaine de Lille a pour seule cause l'admission d'une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté, opposée aux conclusions dirigées contre cette personne publique ; que, dès lors, la communauté urbaine de Lille n'est pas fondée à soutenir que les jugements attaqués seraient entachés d'une contradiction de motifs ;
Sur la recevabilité des conclusions de première instance dirigées par la société Abeille Paix contre la communauté urbaine de Lille :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par une lettre en date du 13 mai 1983 reçue le 18 mai 1983, la société Abeille Paix a saisi la communauté urbaine de Lille d'une demande préalable de versement d'une indemnité de 10 558 136 F à laquelle s'ajoutait une somme de 17 692 F au titre des frais de la procédure de référé ; que cette demande a été rejetée par une décision expresse en date du 7 juin 1983 reçue le 8 juin 1983 ; qu'ainsi, les conclusions dirigées par la société Abeille Paix contre la communauté urbaine de Lille, enregistrées au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 1983, soit après l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article 1er du décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 alors applicable, étaient tardives, donc irrecevables ;
Considérant que si ces dispositions réglementaires écartent l'exigence du délai de deux mois en matière de travaux publics, la responsabilité encourue par les personnes publiques à raison d'une insuffisance de pression ou de débit aux bornes d'incendie, alors même que cette dernière aurait pour cause une mauvaise conception de l'ouvrage, ne peut être fondée que sur des fautes commises dans l'organisation ou le fonctionnement des services de secours et de lutte contre les incendies et ne se rattache pas directement à un travail ou à un ouvrage public ;
Sur la recevabilité des conclusions de première instance dirigées par les sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois" contre la communauté urbaine de Lille :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les deux sociétés dont s'agit ont, le 5 juin 1985, adressé à la communauté urbaine de Lille et au syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), ainsi que d'ailleurs aux autres parties dont la responsabilité était recherchée en première instance, une demande préalable d'indemnisation parvenue le 6 juin 1985 ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, faute d'avoir été précédées d'un recours administratif préalable, les demandes présentées devant les premiers juges par les deux sociétés sinistrées n'étaient pas recevables ;
Sur le principe de la responsabilité :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 131-2-6° du code des communes, le soin de prévenir et de combattre les incendies incombe dans chaque commune aux autorités municipales ; qu'en principe, lorsque les compétences que celles-ci détiennent en la matière n'ont pas été transférées à un établissement public de coopération intercommunale, seule leur responsabilité est susceptible d'être engagée directement à l'égard des victimes d'incendies en cas de faute lourde des services de lutte contre l'incendie, sans préjudice de la faculté qui leur est ouverte de former un appel en garantie ou d'exercer une action récursoire contre les services extérieurs auxquels elles auraient fait appel ou contre les gestionnaires des équipements et réseaux destinés à la lutte contre l'incendie ;

Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1966 dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 165-7-4° du code des communes : "Sont transférées à la communauté urbaine les compétences des communes dans les domaines suivants : ... 5° services de secours et de lutte contre l'incendie" ; que l'article 11 de la même loi, repris à l'article L. 165-16 du code des communes, dispose que "La communauté urbaine est substituée de plein droit, pour l'exercice de ses compétences, aux communes, syndicats ou districts préexistants" ; qu'enfin, aux termes de l'article 12 de ladite loi, repris à l'article L. 165-19 du code des communes "Le transfert de compétences emporte transfert au président et au conseil de communauté de toutes les attributions conférées ou imposées respectivement au maire et au conseil municipal" ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions législatives avec les principes susrappelés que les dommages imputables à des défauts d'organisation ou de fonctionnement des services de secours et de lutte contre l'incendie, et dont font partie les bornes d'incendie, ne peuvent engager directement envers les tiers que la responsabilité de la seule communauté urbaine ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les conséquences dommageables de l'incendie survenu le 11 juin 1981 ont été aggravées par l'insuffisance de la pression aux bouches d'incendie et par l'obligation corrélative, pour les services de lutte contre l'incendie qui sont arrivés sur les lieux rapidement avec un matériel suffisant, de brancher leurs moto-pompes dans le cours d'eau La Marque à 1 250 m et 1 700 m du lieu du sinistre ; qu'il en est ainsi résulté un retard appréciable compromettant l'efficacité de la lutte contre le feu ; que cette insuffisance de la pression, alors même qu'elle serait imputable à la conception ou à l'entretien des canalisations, est constitutive d'une faute lourde dans l'organisation des services de lutte contre l'incendie ;
Considérant qu'en l'espèce, la communauté urbaine de Lille, à laquelle ont été transférées notamment les compétences des communes de PERONNE EN MELANTOIS, VILLENEUVE D'ASCQ et FRETIN en matière de lutte contre l'incendie, n'est pas fondée à soutenir que, le service des eaux étant assuré par le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), sa responsabilité ne pouvait être engagée ; qu'en revanche, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions dirigées en première instance contre le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), il résulte de ce qui précède que, si le tribunal administratif a pu, à bon droit, rejeter les conclusions dirigées contre les communes de PERONNE EN MELANTOIS, VILLENEUVE D'ASCQ et FRETIN et contre le service départemental d'incendie et de secours du Nord et la société des eaux du Nord, c'est à tort qu'il a condamné ledit syndicat à réparer les dommages subis par les deux sociétés sinistrées et qu'il a condamné la communauté urbaine de Lille à garantir le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) des condamnations prononcées à son encontre ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, dans les conditions où il a pris naissance, l'incendie devait inévitablement entraîner certains dommages ; que, d'autre part, les dispositions prises par les sociétés intéressées pour prévenir les sinistres et éteindre les débuts d'incendie étaient insuffisantes tant en ce qui concerne l'existence et la nature des moyens de lutte, que la configuration des locaux et la présence de matériaux combustibles ; qu'en outre, elles ont commis une faute grave en laissant fonctionner sans surveillance, à une cinquantaine de mètres des établissements, un incinérateur de déchets plein à rasbord et dépourvu de grille de protection ; que de telles fautes ne constituent cependant pas la cause unique du dommage et ne sont donc pas de nature à exonérer totalement la communauté urbaine de Lille de sa responsabilité ; que le tribunal administratif a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause en laissant à la charge du service de lutte contre l'incendie le tiers des conséquences dommageables de l'incendie ;
Considérant que, devant le tribunal administratif, la communauté urbaine de Lille a demandé à être garantie par le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) des condamnations prononcées contre elle ; que cet appel en garantie a été rejeté et n'a pas été réitéré en appel ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'indemnité versée par la société Abeille Paix aux deux sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois" couvre la destruction des bâtiments, du matériel et des marchandises, ainsi que les pertes indirectes sur bâtiment et sur matériel sauf sur matériel aux tiers évaluées à 1 579 971 F ; que, dès lors, les indemnités demandées par ces deux sociétés sinistrées au titre de la réparation de leur préjudice commercial n'ont pas, même partiellement, pour effet de réparer une seconde fois un préjudice déjà réparé ; que pour arrêter les sommes dues à ce titre auxdites sociétés, le tribunal administratif ne s'est pas borné à reprendre des prétentions chiffrées non assorties de justifications et s'est appuyé sur les conclusions du rapport d'expertise de M. A... en constatant que les sommes demandées n'étaient pas contestées dans leur montant ;
Considérant que si la S.A ROCQ a réclamé une somme de 2 465 418,81 F, c'est à bon droit que le tribunal administratif a estimé qu'il n'y avait lieu de retenir dans ladite somme, ni les frais d'études pour la reconstruction des bâtiments qui appartiennent à la S.C.I ROCQ, ni les pertes indirectes de marchandises évaluées à 44 586 F dont il n'est pas établi qu'elles constituent un préjudice différent des pertes de marchandises dont le remboursement est également demandé par la S.A ROCQ, ni enfin les frais de constitution du dossier d'instance qui ne peuvent être remboursés que sur le fondement des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel non invoqué en l'espèce ; que, compte tenu de ces déductions, les premiers juges ont ramené son préjudice indemnisable à 2 137 530,70 F et, compte tenu du partage de responsabilité retenu, fixé à 712 510,23 F l'indemnité revenant à cette société ;

Considérant que la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois", qui avait réclamé une somme de 260 442,51 F, n'établit pas que la perte de 20 000 F qu'elle invoque en raison de la destruction d'un véhicule de type "Estafette" constitue une conséquence directe du sinistre ; que, dès lors, c'est également à bon droit que le tribunal administratif a fixé son préjudice indemnisable à 240 442,51 F et lui a accordé une indemnité de 80 147,50 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que, par son jugement du 13 mars 1990, le tribunal administratif de Lille a décidé que les sommes de 712 510,23 F et 80 147,50 F porteraient intérêts au taux légal à compter respectivement du 6 juin 1985 et du 16 janvier 1985 ; que ce point n'est pas contesté en appel ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que, par le même jugement, le tribunal administratif a décidé que les intérêts des sommes sus-mentionnées seraient capitalisés à compter du 16 janvier 1990 ;
Considérant que, dans un mémoire en défense et appel incident enregistré au greffe de la Cour le 3 novembre 1989, les sociétés ROCQ et "Traiteur du Mélantois" ont demandé la capitalisation des intérêts à compter de cette date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les dépens :
Considérant que les frais et honoraires d'expertise de M. Y..., chargé de l'expertise technique relative aux causes et à l'imputabilité du sinistre, qui se sont élevés à 17 692 F, et ceux de M. A..., chargé de l'expertise financière et comptable relative à l'évaluation des préjudices subis, fixés à 45 117,80 F ont été mis par le tribunal administratif à la charge des parties au prorata des sommes laissées à leur charge et au prorata des préjudices admis ou refusés et de leur part de responsabilité ;
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, aucune condamnation n'était susceptible d'être prononcée à l'encontre du syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) ; que, dès lors, celui-ci ne peut être tenu de supporter une part desdits frais ; que, par suite il y a lieu de répartir les frais et honoraires de l'expertise de M. Y... à raison de 9 599,68 F pour la société Abeille Assurances, 5 897,33 F pour la communauté urbaine de Lille, 1 973,25 F pour la S.A ROCQ et 221,74 F pour la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois", et les frais et honoraires de l'expertise de M. A... à raison de 24 480,91 F pour la société Abeille Assurances, 15 039,27 F pour la communauté urbaine de Lille, 5 032,14 F pour la S.A ROCQ et 565,48 F pour la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" ;
Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Lille en date du 29 octobre 1987 et du 13 mars 1990 sont annulés en tant :
- qu'ils ont déclaré le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N) responsable, seul ou conjointement et solidairement avec la communauté urbaine de Lille, du tiers des conséquences dommageables de l'incendie du 11 juin 1981 ;
- qu'ils ont condamné le même syndicat à payer seul la somme de 3 467 285,33 F à la société Abeille Assurances, et conjointement et solidairement avec la communauté urbaine de Lille les sommes de 712 510,23 F à la S.A ROCQ et de 80 147,50 F à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" ;
- qu'ils ont mis à la charge dudit syndicat une part des frais et honoraires des expertises de M. Y... et de M. A... ;
- qu'ils ont condamné la communauté urbaine de Lille à garantir le syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N).
Article 2 : Les appels incidents de la S.A ROCQ, de la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" et de la S.A Abeille Paix sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la communauté urbaine de Lille sont rejetées.
Article 4 : Les intérêts des sommes de 712 510,23 F et 80 147,50 F dues par la communauté urbaine de Lille à la S.A ROCQ et à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois" seront capitalisés à compter du 3 novembre 1989 pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Les frais et honoraires de l'expertise de M. Y... sont mis à la charge des parties à raison de 9 599,68 F pour la société Abeille Assurances, 5 897,33 F pour la communauté urbaine de Lille, 1 973,25 F pour la S.A ROCQ et 221,74 F pour la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois". Les frais et honoraires de l'expertise de M. A... sont mis à la charge des parties à raison de 24 480,91 F pour la société Abeille Assurances, 15 039,27 F pour la communauté urbaine de Lille, 5 032,14 F pour la S.A ROCQ et 565,48 F pour la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois".
Article 6 : Les jugements du tribunal administratif de Lille en date du 29 octobre 1987 et du 13 mars 1990 sont, dans leurs dispositions non annulées, réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté urbaine de Lille, au syndicat intercommunal de distribution d'eau du Nord (S.I.D.E.N), à la société des eaux du Nord, à la S.A Abeille Assurances venant aux droits de la S.A Abeille-Paix, à la S.A ROCQ, à la S.A.R.L "Traiteur du Mélantois", aux communes de PERONNE EN MELANTOIS, VILLENEUVE D'ASCQ et FRETIN, au service départemental de lutte contre l'incendie du Nord et au département du Nord.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 89NC00631
Date de la décision : 07/11/1991
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 COMMUNE - INTERETS COMMUNS A PLUSIEURS COMMUNES - COMMUNAUTES URBAINES - COMPETENCES - Lutte contre l'incendie (art - L - 165-7-4e du code des communes) - Conséquences lorsque les destructions par le feu ont été aggravées par l'insuffisance du débit aux bornes d'incendie - Communauté urbaine seule responsable - nonobstant les compétences d'un syndicat intercommunal en matière de distribution d'eau (1).

16-07-03-02, 60-02-06-01 En cas d'incendie dont les conséquences ont été aggravées par une pression ou un débit insuffisant aux bornes d'incendie, la communauté urbaine, à qui la loi du 31 décembre 1966 (art. L. 165-7-4° du code des communes) a transféré de plein droit les compétences des communes en matière de services de secours et de lutte contre l'incendie, est seule responsable envers les victimes du sinistre. Il s'ensuit qu'elle ne peut se dégager de sa responsabilité en soutenant que le service des eaux est assuré par un syndicat intercommunal, et que ce syndicat ne peut être condamné conjointement et solidairement avec la communauté urbaine. La responsabilité de celle-ci ne peut alors être engagée que pour faute lourde, et non sur le terrain du dommage de travaux publics, alors même que l'insuffisance de pression aurait pour cause une mauvaise conception ou un mauvais entretien des ouvrages.

- RJ1 - RJ2 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES PUBLICS COMMUNAUX - SERVICE PUBLIC DE LUTTE CONTRE L'INCENDIE - Personne publique responsable - Communauté urbaine - Sinistre dont les conséquences ont été aggravées par l'nsuffisance du débit des bornes d'incendie - Le syndicat intercommunal compétent en matière de distribution d'eau ne peut être condamné conjointement et solidairement avec la communauté urbaine - Responsabilité pour faute lourde et non pour dommages de travaux publics (2).


Références :

Code civil 1154
Code des communes L131-2, L165-7, L165-16, L165-19
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R222
Décret 65-29 du 11 janvier 1965 art. 1
Loi 66-1069 du 31 décembre 1966 art. 4, art. 11, art. 12

1. Comp. CE, 1973-02-02, S.A.R.L. Harel frères et Cie les Assurances nationales, n° 82209-82210, T. p. 1107. 2.

Cf. CE, 1983-04-15, Fédération nationale des coopératives de consommation, n° 24256-24257, T. p. 859


Composition du Tribunal
Président : M. Charlier
Rapporteur ?: M. Laporte
Rapporteur public ?: Mme Fraysse

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1991-11-07;89nc00631 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award