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13/06/1989 | FRANCE | N°89NC00032

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, Pleniere, 13 juin 1989, 89NC00032


Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 12 mars et 24 juin 1987 sous le numéro 85753 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 2 janvier 1989 sous le numéro 89NC00032 présentés pour le Centre Hospitalier de ROUBAIX, avenue Julien Lagache à 59100 ROUBAIX, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 17 décembre 1986 par lequel le tribunal administratif de LILLE l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale subie par Mme X... le 10 décembre 1970 e

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Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 12 mars et 24 juin 1987 sous le numéro 85753 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 2 janvier 1989 sous le numéro 89NC00032 présentés pour le Centre Hospitalier de ROUBAIX, avenue Julien Lagache à 59100 ROUBAIX, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 17 décembre 1986 par lequel le tribunal administratif de LILLE l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale subie par Mme X... le 10 décembre 1970 et l'a condamné à payer à celle-ci la somme de 468 747,02 F et à la caisse primaire d'assurance maladie de ROUBAIX la somme de 536 637,33 F,
- le décharge de toute responsabilité ;
Vu le mémoire en défense et en appel incident enregistré le 6 novembre 1987 présenté pour Mme Orietta Myriam X... tendant à ce que la cour :
- rejette l'appel du centre hospitalier de ROUBAIX et confirme le jugement en tant qu'il a retenu son entière responsabilité,
- lui accorde une indemnité totale de 1 288 091,20 F avec intérêts de droit capitalisés de laquelle seront déduites les prestations et la rente capitalisée de la caisse primaire d'assurance maladie,
- condamne le centre hospitalier aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance du 1er décembre 1988 par laquelle le Président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis le dossier à la Cour administrative d'appel ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, le décret n° 88-707 du 9 mai 1988 et le décret n° 88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 30 mai 1989 :
- le rapport de Monsieur FONTAINE, Conseiller ;
- les observations de Maître LE PRADO, avocat du centre hospitalier de ROUBAIX ;
- et les conclusions de Mme FRAYSSE, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que Mme X... a subi, le 18 décembre 1970, dans les services du centre hospitalier de ROUBAIX, l'ablation du ménisque externe du genou droit par voie transligamentaire ; que la patiente se plaignant de douleurs persistantes, le plâtre immobilisant le genou a été retiré le sixième jour et rétabli le lendemain sous forme d'une gouttière plâtrée postérieure, le diagnostic de "thrombose veineuse jambière profonde" ayant été porté avec prescription d'un traitement anti-coagulant qui a été poursuivi jusqu'au 18 janvier 1971 ; que les praticiens ayant alors constaté l'existence d'un hématome étendu, une intervention chirurgicale a permis, le 30 janvier 1971, d'évacuer cet hématome de deux litres provoqué par une plaie de la partie inférieure de l'artère poplitée correspondant à une brèche capsulaire de quatre centimètres de largeur à la face postérieure de l'articulation du genou et de mettre en place un greffon veineux ; que Mme X..., qui a présenté des troubles paralytiques de la jambe et du pied, a subi par la suite neuf autres opérations pour stabiliser son état ; qu'elle reste atteinte d'une invalidité de la cheville et du pied nécessitant l'usage de chaussures orthopédiques ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du collège d'experts commis par le tribunal administratif de LILLE, que le chirurgien, devant pratiquer l'exérèse du ménisque avec un instrument tranchant, a entamé la partie postérieure du feuillet capsulaire méniscal et atteint l'artère poplitée ; que cette lésion artérielle partielle n'a pas été immédiatement décelée en raison du caractère latéral de la blessure ; que, dans ces conditions, l'erreur de manipulation commise ne peut être regardée comme constituant une faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ;
Considérant, toutefois, que le diagnostic erroné de phlébite a été porté sans examen particulier et que les praticiens, malgré la persistance de vives douleurs et la constatation du gonflement du mollet droit de la patiente, se sont abstenus pendant plus d'un mois de procéder aux examens appropriés qui eussent pu permettre d'infirmer ce diagnostic ; que ces faits ont constitué, dans les circonstances de l'espèce, une faute lourde d'ordre médical qui a compromis les chances qu'avait Mme X... de recouvrer un usage normal de sa jambe ; qu'il suit de là que le centre hospitalier de ROUBAIX n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de LILLE l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'opération subie par Mme X... dans ses services ;
Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme X..., qui était âgée de 18 ans lorsqu'elle a subi lesdites opérations, souffre de troubles persistants qui rendent impossible la station debout prolongée et nécessitent, pour la marche, l'usage de chaussures orthopédiques et d'une canne anglaise ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de ROUBAIX, la consolidation de son état n'est pas intervenue le 4 décembre 1973, date d'attribution d'une rente d'invalidité, mais le 30 décembre 1980, à la suite de neuf interventions chirurgicales ; que les séquelles dont elle reste atteinte lui occasionnent une incapacité permanente partielle de 26 % directement imputable aux conséquences dommageables de la faute de service susmentionnée ; qu'elle a dû abandonner son activité d'employée de l'industrie textile ; que, toutefois, son état est de nature à lui permettre d'occuper un emploi ne nécessitant pas la station debout prolongée ; que, compte tenu du salaire mensuel de 600 F environ que Mme X... percevait en 1970, somme qui ne saurait être actualisée comme il est demandé à la date du 1er juillet 1985, la perte de revenus qu'elle a subie pendant la durée de l'incapacité temporaire justifie l'allocation, de ce chef, d'une indemnité de 80 000 F ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'atteinte portée à son intégrité physique et des troubles de toute nature apportés dans ses conditions d'existence, y compris du préjudice résultant d'une plus grande difficulté à trouver un emploi, en fixant à 250 000 F cette partie du préjudice dont 50 000 F représentent l'indemnité de caractère personnel visée à l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;
Considérant que le préjudice subi comprend, en outre, les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de ROUBAIX et qui, à concurrence de la somme de 147 183,51 F, sont la conséquence directe de la faute de service commise, ainsi que les frais d'appareillage pour un montant de 117 435,18 F ; qu'en ajoutant les sommes de 70 000 F et 60 000 F accordées par le tribunal administratif au titre de la douleur physique et du préjudice esthétique, et qui ne sont pas contestées, le montant global du préjudice que le centre hospitalier de ROUBAIX doit être condamné à réparer s'elève à la somme de 724 618,69 F ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de ROUBAIX justifie du règlement de 147 183,51 F de frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation et du versement à l'intéressée de 10 765,66 F d'indemnités journalières ; qu'elle a droit au remboursement des frais d'appareillage dans la limite d'un capital de 117 435,18 F, de la somme de 38 826,98 F représentant les arrérages échus au 30 mai 1985 de la rente servie à Mme X... et des arrérages échus et à échoir de cette rente dans la limite d'un capital représentatif de 222 426 F ; qu'ainsi la créance de la caisse primaire s'élève à 536 637,33 F ; que cette somme est inférieure de 7 981,36 F à la fraction de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier sur laquelle elle peut s'imputer en application de l'article L 376-1 précité ; que, dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de ROUBAIX à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de ROUBAIX ladite somme de 536 637,33 F avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 1981 ;
Sur les droits de Mme X... :
Considérant qu'après prélèvement des sommes revenant à la caisse primaire, l'indemnité restant due à Mme X... au titre du préjudice corporel s'élève à 7 981,36 F ; que, compte tenu des préjudices à caractère personnel d'un montant global de 180 000 F, le centre hospitalier de ROUBAIX doit être condamné à verser à Mme X... la somme totale de 187 981,36 F ; qu'il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué et de rejeter le recours incident de Mme X... ;
Considérant que cette somme portera intérêts au taux légal, comme il a été demandé, à compter du 3 juin 1981, date d'enregistrement de la requête introductive d'instance de Mme Y... ; que celle-ci a demandé, le 6 novembre 1987, que les intérêts échus soient capitalisés ; qu'à cette date, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette dernière demande par application de l'article 1154 du code civil ;
Article 1 : L'indemnité que le centre hospitalier de ROUBAIX a été condamné à verser à Mme Orietta Myriam X..., par le jugement du tribunal administratif de LILLE en date du 17 décembre 1986, est ramenée de 468 747,02 F à 187 981,36 F. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1981. Les intérêts échus le 6 novembre 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de ROUBAIX et le recours incident de Mme X... sont rejetés.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de LILLE en date du 17 décembre 1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de ROUBAIX, à Mme X... et à la caisse primaire d'assurance maladie de ROUBAIX.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : Pleniere
Numéro d'arrêt : 89NC00032
Date de la décision : 13/06/1989
Sens de l'arrêt : Reformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ACTES MEDICAUX - EXISTENCE D'UNE FAUTE LOURDE - ACTES MEDICAUX D'INVESTIGATION - Défaut de prescription d'un examen particulier malgré des douleurs persistantes et le caractère anormal de l'évolution de l'état de la malade.

60-02-01-01-02-01-02, 60-02-01-01-02-02-04 Le chirurgien devant pratiquer l'exérèse du ménisque avec un instrument tranchant a entamé la partie postérieure du feuillet capsulaire méniscal et atteint l'artère poplitée. Cette lésion artérielle partielle n'a pas été immédiatement décelée en raison du caractère latéral de la blessure. Dans ces conditions, l'erreur de manipulation commise ne peut être regardée comme constituant une faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité de l'hôpital. Toutefois le diagnostic erroné de phlébite a été porté sans examen particulier et les praticiens, malgré la persistance de vives douleurs et la constatation du gonflement du mollet droit de la patiente, se sont abstenus pendant plus d'un mois de procéder aux examens appropriés qui eussent pu permettre d'infirmer ce diagnostic ; ces faits ont constitué, dans les circonstances de l'espèce, une faute lourde d'ordre médical qui a compromis les chances qu'avait l'intéressée de recouvrer un usage normal de sa jambe.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ACTES MEDICAUX - ABSENCE DE FAUTE LOURDE - EXECUTION DU TRAITEMENT OU DE L'OPERATION - Lésion de l'artère poplitée lors d'une exérèse du ménisque.


Références :

Code civil 1154
Code de la sécurité sociale L376-1


Composition du Tribunal
Président : M. Jacquin-Pentillon
Rapporteur ?: M. Fontaine
Rapporteur public ?: Mme Fraysse

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1989-06-13;89nc00032 ?
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