La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/2025 | FRANCE | N°25MA01491

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 18 juillet 2025, 25MA01491


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 18 avril 2025 par lequel le ministre de l'intérieur a, en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance d'une durée de trois mois, lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Vallauris, lui faisant obligation de se présenter une fois par jour

au commissariat de police de Vallauris et de déclarer son lieu d'habitation et ses cha...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 18 avril 2025 par lequel le ministre de l'intérieur a, en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance d'une durée de trois mois, lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Vallauris, lui faisant obligation de se présenter une fois par jour au commissariat de police de Vallauris et de déclarer son lieu d'habitation et ses changements éventuels de lieu d'habitation et lui faisant interdiction de se trouver en relation avec MM. Samy Ould Mohand et Redouane Boufaid.

Par un jugement n° 2502158 du 13 mai 2025, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

I. Par un recours, enregistré le 3 juin 2025 sous le n° 25MA01491, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que les conditions fixées par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure sont remplies et que les moyens soulevés par M. B... sont infondés.

Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2025, M. B..., représenté par Me Py, demande à la Cour :

1°) de rejeter le recours du ministre ;

2°) subsidiairement, d'annuler l'arrêté en tout ou partie ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens présentés par le ministre sont infondés ;

- le Parquet n'a pas été informé de la mesure prise à son encontre ;

- cette mesure est disproportionnée ;

- elle aurait dû être limitée aux lieux et à la durée du Festival de Cannes.

Par une lettre du 16 juin 2025, la Cour a informé les parties de ce qu'il était envisagé d'inscrire ce dossier qui pourrait avoir lieu d'ici au 10 juillet 2025, et que la clôture de l'instruction pourrait intervenir à compter du 20 juin 2025.

Par une ordonnance en date du 23 juin 2025, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

II. Par un recours, enregistré le 5 juin 2025 sous le n° 25MA01504, le ministre de l'intérieur demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 13 mai 2025 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens qu'il présente sont sérieux et de nature à justifier le rejet de la demande d'annulation présentée par M. B....

Par un mémoire, enregistré le 19 juin 2025, M. B..., représenté par Me Py, demande à la Cour :

1°) de rejeter la demande de sursis à exécution ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il présente les mêmes moyens que dans l'affaire précédente.

Il soutient que :

- les moyens présentés par le ministre sont infondés ;

- le Parquet n'a pas été informé de la mesure prise à son encontre ;

- cette mesure est disproportionnée ;

- elle aurait dû être limitée aux lieux et à la durée du Festival de Cannes.

Par une lettre du 16 juin 2025, la Cour a informé les parties de ce qu'il était envisagé d'inscrire ce dossier qui pourrait avoir lieu d'ici au 10 juillet 2025, et que la clôture de l'instruction pourrait intervenir à compter du 20 juin 2025.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de X, rapporteur,

- les conclusions de X, rapporteur public,

- et les observations de Me Py, assistant M. B..., celles de M. B... et de sa mère, Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 18 avril 2025, le ministre de l'intérieur a, en application des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, prononcé à l'encontre de M. B... une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance d'une durée de trois mois, lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Vallauris, lui faisant obligation de se présenter une fois par jour au commissariat de police de Vallauris et de déclarer son lieu d'habitation et ses changements éventuels de lieu d'habitation et lui faisant interdiction de se trouver en relation avec MM. Samy Ould Mohand et Redouane Boufaid. Par le jugement attaqué, dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté.

Sur la jonction :

2. Les deux recours du ministre sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut (...) faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune (...) / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour (...) / 3° Déclarer et justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu d'habitation (...) / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies (...) ". Aux termes de l'article L. 228-5 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut (...) faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1, y compris lorsqu'il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique. Cette obligation tient compte de la vie familiale de la personne concernée. / L'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre (...) ".

4. Il résulte de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures individuelles prévues par les articles L. 228-2 et L. 228-5 du même code doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

5. M. B... ne conteste pas s'être, par un message publié le 16 octobre 2022 sur le réseau social TikTok, réjoui de l'assassinat de Samuel Paty en ces termes : " 16 octobre, décapitation de Samuel Paty : bien fait il l'a voulu ". Il ne conteste pas davantage qu'une perquisition effectuée le 2 mars 2023 à son domicile a permis d'y découvrir des équipements de camouflage de type militaire et des armes blanches, au nombre desquelles une machette sur laquelle M. B... avait fait graver la " chahada ", profession de foi musulmane figurant sur le drapeau de l'Etat islamique, ainsi que des documents relatifs à l'entraînement militaire et un manuel portant sur la confection d'un détonateur.

6. L'ensemble de ces éléments, qui sont récents et qui attestent d'une volonté de passage à l'acte de l'intéressé, suffisent à établir que le comportement de M. B... représente une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public, et révèlent son adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme et faisant l'apologie de tels actes. Si M. B..., invoquant le suivi psychologique dont il a bénéficié, le soutien de ses parents et sa démarche d'insertion professionnelle, soutient qu'il aurait pris ses distances vis-à-vis de l'idéologie et de la mouvance djihadiste, ces seules allégations ne peuvent suffire à mettre en doute cette analyse compte tenu, d'une part, du caractère récent des faits rappelés au point précédent et, d'autre part, du caractère intelligent et adaptable de M. B..., dont atteste notamment le rapport éducatif établi le 13 novembre 2023.

7. La première des deux conditions alternatives fixées par l'article L. 223-1 du code de la sécurité intérieure étant ainsi remplie, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il ne pouvait être regardé comme entrant en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont, pour faire droit à la demande de M. B..., estimé que le ministre de l'intérieur avait fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

9. Il appartient à la Cour, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. B... en première instance et en appel.

10. En premier lieu, si l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le ministre de l'intérieur prononce une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance " après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent ", cette information, destinée à assurer la bonne coordination des services administratifs et judiciaires, ne constitue pas une étape de la procédure administrative préalable à l'adoption de la mesure. M. B... ne peut donc utilement soutenir qu'il a été privé d'une garantie procédurale. Au demeurant, le ministre établit avoir informé le procureur à la tête du parquet national antiterroriste et le procureur de la République de Grasse de la mesure prise par courrier du 17 avril 2025.

11. En deuxième lieu, compte tenu de la menace que représente le comportement de M. B... pour l'ordre public, et qui est, contrairement à ce qu'il soutient, attestée par des faits récents, les mesures prononcées à son encontre, et notamment l'obligation de pointage quotidien, ne portent pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et à sa liberté d'aller et venir, étant remarqué qu'il est loisible à M. B... de solliciter des sauf-conduits pour les déplacements rendus nécessaires par la poursuite de son cursus académique et les autres activités de la vie quotidienne.

12. En troisième lieu, si la mesure contestée était notamment motivée par le risque d'un attentat lors du festival de Cannes du 13 au 24 mai 2025, il ne s'agissait pas là de sa justification exclusive, de multiples cibles pouvant faire l'objet d'attentats terroristes. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la mesure était dépourvue de nécessité une fois passée la date du 24 mai 2025, ou pour les parties de la commune de Cannes qui n'étaient pas concernées par le festival.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a fait droit à la demande de M. B.... M. B... étant la partie perdante dans la présente instance, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur le recours n° 25MA01504 en sursis à exécution :

14. Le présent arrêt statuant au fond sur le recours du ministre, la demande tendant à ce que soit prononcé le sursis à exécution du jugement contesté est devenue sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2502158 du 13 mai 2025 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de M. B... est rejetée, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 25MA01504.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, où siégeaient :

- X, président,

- X, premier conseiller,

- X, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2025.

Nos 25MA01491, 25MA01504 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 25MA01491
Date de la décision : 18/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

49-05 Police. - Polices spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : PY;PY;PY

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-18;25ma01491 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award