Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Carqueiranne et la métropole Toulon Provence Méditerranée ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon de condamner in solidum la société par actions simplifiée Méditerranée Environnement (" SME "), immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Toulon sous le n° 304 601 206 et la société par actions simplifiée Artelia, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le n° 444 523 526, à leur verser une provision de 977 855,81 euros hors taxes, soit 1 173 426,97 euros toutes taxes comprises au titre de la réfection du platelage des secteurs nos 1, 2, 3, 4, 5 et 9 de la promenade du front de mer à Carqueiranne, de condamner in solidum ces mêmes sociétés à verser à la commune de Carqueiranne une provision de 22 469,44 euros au titre des mises en sécurité du platelage de la promenade du front de mer, de les condamner in solidum à verser à la commune de Carqueiranne une provision de 126 563,78 euros hors taxes, soit 151 876,54 euros toutes taxes comprises au titre du remplacement du platelage du secteur 10 de la promenade du front de mer, d'assortir ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de dépôt de la requête de première instance, ainsi que la capitalisation des intérêts, et de mettre à la charge de chacune de ces sociétés la somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 2303768 du 7 août 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a, en premier lieu, rejeté les conclusions dirigées contre les sociétés Axa France IARD, SMABTP et Generali et les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Artelia à l'encontre de la société Les Professionnels du Bois et de la société l'auxiliaire de Matériel comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, en deuxième lieu, condamné les sociétés Méditerranée Environnement et Artelia à verser les provisions demandées, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en troisième lieu, attribué la charge définitive de la condamnation à hauteur de 7 % à la société Artelia et à hauteur de 90 % à la société Méditerranée Environnement.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 20 août 2024 sous le n° 24MA02194, et trois mémoires enregistrés le 26 août 2024, le 7 novembre 2024 et le 15 novembre 2024, la société Méditerranée Environnement, représentée par Me Guillet, demande la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Carqueiranne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête n'est pas tardive ;
- la créance est sérieusement contestable ;
- en effet, les travaux n'ont pas été régulièrement réceptionnés ;
- l'action de la commune est prescrite ;
- le chiffrage des travaux de reprise est discutable ;
- le caractère contradictoire de l'expertise n'a pas été assuré ;
- l'expert était de parti pris et son expertise était sommaire et contestable ;
- les désordres étaient apparents au moment de la réception ;
- l'ordonnance attaquée n'a pas répondu à ce moyen ;
- l'action décennale de la métropole est prescrite.
Par un mémoire, enregistré le 19 septembre 2024, la société d'assurance mutuelle à cotisations variables SMABTP, représentée par la SELARL Item Avocats, demande à la Cour :
1°) de confirmer l'ordonnance en tant qu'elle rejette les demandes présentées à son encontre comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
2°) à défaut, de rejeter toute demande présentée à son encontre comme irrecevable ou, subsidiairement, comme infondée ;
3°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la société Méditerranée Environnement la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les demandes présentées contre elle ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elles sont irrecevables et infondées.
Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2024, la société anonyme Generali IARD, assureur de la société Les Professionnels du Bois, représentée par Me Mandin, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel en tant qu'elle est dirigée contre l'article 1er de l'ordonnance attaquée ;
2°) subsidiairement, de rejeter au fond la demande présentée à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de la société Artelia la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'action dirigée contre elle relève du juge judiciaire ;
- la créance qui lui est réclamée est sérieusement contestable.
Par six mémoires en défense, enregistrés le 23 septembre 2024, le 30 septembre 2024, le 30 septembre 2024, le 9 novembre 2024, le 17 novembre 2024 et le 21 novembre 2024, la commune de Carqueiranne et la métropole Toulon Provence Méditerranée, représentées par Me Linditch, demandent à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel ;
2°) subsidiairement, de faire droit à ses demandes de première instance ;
3°) de mettre à la charge de ces sociétés la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en appel.
Elles soutiennent que :
- la requête d'appel est tardive ;
- les moyens d'appel sont infondés.
Par un mémoire, enregistré le 18 octobre 2024, la société Apave Infrastructures et Construction France, venant aux droits et obligations de la société Apave Sudeurope, et représentée par Me Martineu, demande à la Cour :
1°) à titre principal, de confirmer l'ordonnance et de rejeter la demande présentée à son encontre ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum les sociétés Artelia, Méditerranée Environnement et leurs assureurs SMABTP et Axa France à la relever et garantir de toute condamnation qui pourraient être prononcées à son encontre, de limiter sa responsabilité, et d'exclure toute condamnation in solidum ;
3°) de mettre à la charge de la société Méditerranée Environnement ou de tout succombant la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- aucune conclusion n'est présentée à son encontre ;
- le juge des référés est incompétent pour se prononcer sur une telle demande ;
- sa responsabilité ne peut être engagée ;
- subsidiairement, elle devrait être garantie de toute condamnation.
Par une lettre en date du 31 octobre 2024, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici au 31 décembre 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 novembre 2024.
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2024, la société Artelia, représentée par la société Préel, Hecquet, Payet-Godel, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance en tant qu'elle lui fait grief ;
2°) de rejeter les demandes de la commune de Carqueiranne comme irrecevables ou infondées ;
3°) subsidiairement, de limiter le montant de la condamnation, en écartant toute condamnation in solidum ;
4°) à titre plus subsidiaire, de condamner in solidum la société Méditerranée Environnement et la société Apave Sudeurope à la relever et garantir de toutes condamnation prononcée à titre provisionnel ;
5°) de mettre à la charge in solidum de la commune de Carqueiranne et de la métropole Toulon Provence Méditerranée ou de tout succombant les dépens ainsi que la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne présente plus de conclusions à l'encontre des sociétés Les Professionnels du Bois et L'Auxiliaire de Matériel, ainsi qu'à l'égard des sociétés Axa France IARD, SMABTP et Generali ;
- la commune de Carqueiranne n'a pas qualité pour agir ;
- l'action de la métropole est prescrite ;
- il n'a pas été statué sur son exception de prescription de l'action décennale ;
- les demandes de première instance se heurtent à une contestation sérieuse ;
- le désordre n° 1, qui seul lui est imputé, n'a pas de caractère décennal ;
- elle n'est responsable tout au plus que d'une partie limitée des désordres ;
- c'est à tort qu'une condamnation in solidum a été prononcée ;
- la société SME n'a présenté aucun appel en garantie à son encontre ;
- subsidiairement, elle doit être relevée et garantie par les sociétés SME et Apave ;
- l'ordonnance attaquée n'a pas statué sur sa demande dirigée contre la société Apave ;
- la commune a commis une faute exonératoire tenant à un défaut d'entretien.
Par ordonnance du 23 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
II. Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2024 sous le n° 24MA02303, et un mémoire enregistré le 8 novembre 2024, la société Artelia, représentée par la société Préel, Hecquet, Payet-Godel, présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que dans l'affaire précédente.
Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2024, la société d'assurance mutuelle à cotisations variables SMABTP, représentée par la SELARL Item Avocats, présente les mêmes conclusions et moyens que dans la précédente affaire.
Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2024, la société anonyme Generali IARD, représentée par Me Mandin, présente les mêmes conclusions et moyens que dans la précédente affaire.
Par quatre mémoires en défense, enregistrés le 4 octobre 2024, le 7 octobre 2024, le 7 octobre 2024 et le 17 novembre 2024, la commune de Carqueiranne et la métropole Toulon Provence Méditerranée, représentées par Me Linditch, présentent les mêmes conclusions et moyens que dans l'affaire précédente, à l'exception de la demande relative à l'article L. 761-1 du code de justice administrative, limitée à 3 500 euros.
Par un mémoire, enregistré le 18 octobre 2024, la société Apave Infrastructures et Construction France, venant aux droits et obligations de la société Apave Sudeurope, et représentée par Me Martineu, présente les mêmes conclusions et moyens que dans l'affaire précédente.
Par une lettre en date du 31 octobre 2024, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici au 31 décembre 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 novembre 2024.
Par ordonnance du 23 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
- la décision par laquelle le président de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le juge des référés ayant décidé de porter l'affaire en formation collégiale.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Guillet pour la société SME, de Me de Oliveira pour la société Artelia, de Me Pillet-Will pour la société Generali, de Me Samama pour la société Apave, et Me Linditch pour la commune de Carqueiranne et la métropole Toulon Provence Méditerranée.
Connaissance prise des notes en délibéré présentées par la commune de Carqueiranne et la métropole le 4 février 2025 et par la société Artelia le 5 février 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat conclu le 29 octobre 2009, la commune de Carqueiranne a confié à la société Méditerranée Environnement un marché public de travaux ayant pour objet la réalisation de " plateformes bois ", de " maçonneries " et de " voirie et réseaux divers " dans le cadre d'un projet d'aménagement de la promenade du front de mer de l'anse des Salettes, sous maîtrise d'œuvre de la société Sogreah Consultants. La réception de l'ouvrage a été prononcée par une décision du 2 août 2010. Le 21 décembre 2019, le maître d'ouvrage a sollicité, et obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Toulon la désignation d'un expert en vue d'identifier les désordres, leurs causes et les responsabilités. A l'issue de cette expertise, la commune de Carqueiranne et la métropole Toulon Provence Méditerranée ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de condamner in solidum la société Méditerranée Environnement et la société Artelia, venant aux droits et obligations de la société Sogreah Consultants, à leur verser trois provisions de 1 173 426,97 euros toutes taxes comprises, de 22 469,44 euros et de 151 876,54 euros toutes taxes comprises au titre, respectivement, du coût des travaux de reprise du platelage des secteurs nos 1, 2, 3, 4, 5 et 9 de la promenade du front de mer à Carqueiranne, au titre des mises en sécurité du platelage de la promenade du front de mer, et au titre du remplacement du platelage du secteur 10 de la promenade du front de mer. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a fait intégralement droit à ces demandes. Par deux requêtes distinctes, qui sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l'objet d'une instruction commune, et qu'il y a donc lieu de joindre, les sociétés Méditerranée Environnement et Artelia relèvent appel de cette ordonnance.
Sur l'appel de la société SME :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune et la métropole :
2. La requête d'appel, enregistrée le 20 août 2024, a, compte tenu de la date de mise à disposition de l'ordonnance, rendue le 7 août 2024, nécessairement été présentée dans un délai inférieur au délai d'appel de quinze jours prévu par l'article R. 541-3 du code de justice administrative.
En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance :
3. Dans son mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2023, la société Méditerranée Environnement a opposé à la demande de la commune de Carqueiranne une contestation tirée du caractère apparent des désordres au moment de la réception des travaux. S'il a analysé ce moyen dans les visas de l'ordonnance, le juge des référés n'a pas répondu à cette contestation, qui n'était pas inopérante dès lors que la créance réclamée l'avait été sur la responsabilité décennale des constructeurs, qui ne concerne que les désordres non apparents au moment de la réception.
4. Il y donc lieu, pour la Cour, d'annuler l'ordonnance pour irrégularité en tant qu'elle fait droit à certaines conclusions dirigées contre la société Méditerranée Environnement et d'évoquer immédiatement le litige.
En ce qui concerne le bien-fondé de la demande de première instance :
S'agissant du cadre juridique :
5. Aux termes des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. Par ailleurs, lorsque les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont il est fait état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
S'agissant de la régularité de l'expertise :
6. En soumettant le devis sur lequel il s'est fondé à la discussion et en examinant les devis présentés en réponse par les sociétés, l'expert, dont il n'apparaît pas qu'il a fait preuve de partialité et qui a rempli sa mission, a respecté le caractère contradictoire de l'expertise.
S'agissant du caractère non sérieusement contestable de la créance :
- Quant à l'existence et l'opposabilité de la réception :
7. Aux termes de l'article 41.5 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41.2 (...) ".
8. Il résulte des principes régissant la garantie décennale des constructeurs que cette responsabilité peut être engagée dans un délai de dix ans à compter de la réception de l'ouvrage, que celle-ci soit prononcée sans réserve, avec réserve ou sous réserve. Ni la méconnaissance du délai de trois mois prévu par les stipulations précitées de l'article 41.5 du cahier des clauses administratives générales, ni l'absence ou l'irrégularité du procès-verbal dressé préalablement à la levée des réserves n'ont pour effet d'entraîner l'irrégularité ou l'inopposabilité de la décision en date du 2 août 2010 par laquelle le maître de l'ouvrage a décidé de réceptionner les travaux, cette décision n'énonçant que des réserves sans rapport avec les désordres en cause.
- Quant au caractère décennal des désordres :
9. Il ressort du rapport d'expertise, sans qu'aucune contestation sérieuse soit élevée à cet égard, que les désordres en cause compromettent la solidité de l'ouvrage et rendent ce dernier impropre à sa destination.
- Quant au caractère apparent des désordres :
10. Il ressort du rapport d'expertise que, selon l'expert, les désordres résultent, en premier lieu, d'un écartement excessif entre les lambourdes sur lesquelles sont fixées les lames de platelages, et qui est généralement supérieur aux valeurs autorisées par la norme NF B 52-001-01, en deuxième lieu, d'une pente insuffisante des supports en béton sur lesquels sont fixées les lambourdes, ne permettant pas un bon écoulement des eaux, en troisième lieu, d'une absence de ventilation sous le platelage en bois, entièrement fermé par des traverses massives en bois, alors que " les règles professionnelles en vigueur en 2008 recommandaient d'aménager des origines d'entrée d'air dans le sens perpendiculaire aux lames ", en quatrième lieu, du fait que les lambourdes ne sont pas en pin traité classe 4, comme cela était exigé par le cahier des clauses techniques particulières, et, en cinquième lieu, de la corrosion des vis de fixation des lames, qui ne sont pas en inox, alors que la proximité de la mer rendait nécessaire l'utilisation de vis en inox de qualité A4.
11. Toutefois, alors même que ces non-conformités ont pu être constatées visuellement par l'expert, il ressort du rapport d'expertise que l'étendue des conséquences combinées de ces différentes non-conformités n'a pu être constatée qu'après la réception des travaux. En l'état de l'instruction, la contestation du caractère non-apparent des vices n'apparaît donc pas suffisamment sérieuse.
- Quant à l'imputabilité :
12. La société Méditerranée Environnement, tout comme la société Artelia, ont participé à la réalisation des travaux affectés des désordres, et ne peuvent sérieusement en contester l'imputabilité.
- Quant au montant des travaux de reprise :
13. La société Méditerranée Environnement, qui conteste le chiffrage des travaux de reprise retenu par l'expert sur la base du devis d'une entreprise, produits trois devis d'autres entreprises, dont le moins-disant comporte un engagement ferme de réaliser les travaux pour un montant de 444 264 euros toutes taxes comprises. Si la commune relève l'éloignement de cette société, dont le siège est situé à 310 kilomètres, et l'imprécision du devis, qui ne chiffre pas les travaux préparatoires d'installation de chantier, de démontage et de remontage des mobiliers urbains, il reste que cette contestation apparaît, en l'état de l'instruction, sérieuse. La commune ne peut invoquer le fait que " la société Méditerranée Environnement n'établit pas que les devis (...) qu'elle a produits (...) ne constitueraient pas des devis de complaisance ", ce type de procédé ne se présumant pas.
14. Les autres préjudices chiffrés par la commune ne font l'objet d'aucune contestation sérieuse. Il y a donc lieu de retenir, comme non sérieusement contestable en l'état de l'instruction, une provision d'un montant total de 660 117,98 euros, incluant les travaux de reprise des secteurs 1, 2, 3, 4, 5 et 9 pour un montant limité à 444 264 euros toutes taxes comprises, les honoraires de maîtrise d'œuvre d'un montant de 41 568 euros, le coût de la mise en sécurité du platelage pour un montant de 22 469,44 euros, et le coût du remplacement du platelage du secteur 10 pour un montant de 151 876,54 euros.
- Quant à l'exception de prescription quinquennale :
15. L'action de la commune tendant à l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs, la société Méditerranée Environnement ne peut utilement soulever une exception de prescription fondée sur l'article 2224 du code civil régissant la prescription quinquennale.
- Quant à l'exception de prescription décennale :
16. Aux termes de l'article 2240 du code civil : " La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. ". Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. (...) ". L'interruption du délai de prescription ne peut résulter, en vertu de ces dispositions, d'une citation en justice, même en référé, qu'à la double condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.
17. Compte tenu de la présentation le 21 décembre 2019, par la commune de Carqueiranne, d'une requête en référé expertise dans le délai de dix ans courant à compter de la réception des travaux intervenue le 2 août 2010 avec effet au 12 juillet 2010, ce délai a été valablement interrompu. La créance n'était donc pas prescrite à la date de l'introduction de la demande de référé-provision.
18. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la métropole Toulon Provence Méditerranée aurait, au cours du délai décennal, interrompu ou suspendu le délai de l'action décennale, qui se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux. Dès lors, la contestation du bien-fondé de la créance réclamée par la métropole apparaît sérieuse.
- Quant aux intérêts et à la capitalisation :
19. La commune de Carqueiranne a droit aux intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de sa demande de première instance, et à la capitalisation de ces intérêts, en application des articles 1343-1 et 1343-2 du code civil.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais de l'expertise soient mis à la charge de la commune de Carqueiranne, qui n'est pas la partie perdante. Il y a lieu de mettre ces dépens, à hauteur de 90 %, à la charge de la société SME.
21. Cette même société, tenue au dépens, versera à la commune de Carqueiranne une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par elle en première instance. Il n'y a pas lieu de faire droit aux autres demandes présentées à ce titre en première instance. S'agissant des frais liés au litige d'appel, l'article L. 761-1 du code s'oppose à ce qu'une somme soit versée aux sociétés SMABTP et Generali, qui n'ont pas la qualité de partie dans la présente instance dès lors que l'ordonnance attaquée ne les condamne pas et qu'aucune conclusion n'est dirigée contre elles en appel. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux autres demandes présentées sur ce fondement.
Sur l'appel de la société Artelia :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune et la métropole :
22. Le dossier ne comporte pas la preuve de la notification, à la société Artelia, de l'ordonnance rendue le 7 août 2024 par le tribunal administratif de Toulon. La fin de non-recevoir tirée de ce que la requête de la société Artelia, enregistrée le 3 septembre 2024, aurait été présentée après l'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article R. 541-3 du code de justice administrative, ne peut donc être accueillie.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la société Artelia à la demande de première instance :
23. A la date de l'apparition du désordre, qui constitue le fait générateur de la créance, c'est la commune de Carqueiranne qui avait qualité pour engager la responsabilité décennale des constructeurs. En l'absence de disposition s'y opposant, la commune a donc seule qualité pour engager la responsabilité décennale des constructeurs, alors même qu'à la date d'introduction du référé-expertise, sa compétence avait été transférée à la métropole. La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la commune de Carqueiranne peut donc être accueillie.
En ce qui concerne la prescription :
24. Pour les raisons indiquées au point 18, la société Artelia est fondée à soutenir que l'action de la métropole Toulon Provence Méditerranée est prescrite.
En ce qui concerne le caractère in solidum de la condamnation :
25. La société Artelia, en sa qualité de maître d'œuvre, était chargée d'une mission de direction de l'exécution des travaux. Alors même que les désordres résulteraient principalement de défauts d'exécution imputables à l'entreprise chargée des travaux, ces défauts sont intervenus sous sa surveillance. Elle doit donc être tenue in solidum avec la société Méditerranée Environnement à leur réparation. La contestation du caractère in solidum de la créance sollicitée n'est donc pas sérieusement contestable en l'état de l'instruction.
En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :
26. Ainsi qu'il vient d'être dit, la société Artelia doit être tenue responsable de la totalité des désordres, dont la conjonction a compromis la solidité de l'ouvrage et l'a rendu impropre à sa destination. La circonstance, avancée par elle, qu'elle aurait respecté les règles de construction alors en vigueur est sans influence sur cette responsabilité, dès lors qu'ayant participé à la réalisation des travaux, les désordres doivent être regardés, sans contestation sérieuse sur ce point, comme lui étant imputables.
En ce qui concerne la faute exonératoire du maître d'ouvrage :
27. Si, en premier lieu, la société Artelia soutient que le maître de l'ouvrage a contribué à son propre préjudice en raison d'un défaut d'entretien, l'expert n'a pas considéré que le défaut d'entretien, d'ailleurs non établi, avait contribué au préjudice subi par la commune. La contestation sur ce point n'apparaît donc pas sérieuse en l'état de l'instruction.
28. Si, en second lieu, la société Artelia invoque une faute de la commune, qui s'était réservée la mission de conduction de l'opération en application de l'article 2.1 du cahier des clauses administratives particulières de son marché, ce moyen n'est pas assorti des précisions qui permettraient de caractériser une faute de la commune à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice :
29. Si la société Artelia soutient que les frais de mise en sécurité n'ont pas été justifiés précisément par la commune, l'expert les a considérés comme établis et fondés dans leur montant. En l'absence d'éléments techniques de nature à critiquer l'avis de l'expert, cette contestation ne peut donc être regardée comme sérieuse en l'état de l'instruction.
30. Par ailleurs, il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs. De même, dans l'hypothèse où les constructeurs sont tenus in solidum à la réparation de désordres décennaux, il lui incombe d'évaluer le montant du préjudice au regard de l'argumentation que lui soumettent l'ensemble de ces parties, et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.
31. Ainsi qu'il a été dit au point 13, la société SME a présenté une contestation sérieuse du coût des travaux de reprise. Alors même que la société Artelia ne reprend pas à son compte cet argumentaire, il y a lieu d'en tirer les conséquences pour la société Artelia.
En ce qui concerne les appels en garantie :
32. Il ressort du rapport d'expertise que, compte tenu de leurs fautes respectives, pour la société SME, dans la réalisation des plans d'exécution et notes de calcul, pour la société Les Professionnels du Bois, dans la commande et la mise en œuvre de matériaux inadaptés, pour la société Artelia, à un défaut de conception et de surveillance de l'exécution des travaux et, pour la société Apave, à un défaut de contrôle, il y a lieu de retenir, pour ces quatre intervenants, des parts de responsabilité respectives de 29,9 %, 62,1 %, 6,6 % et 1,4 %. Il y a donc lieu de condamner la société SME et la société Apave à garantir la société Artelia à hauteur, respectivement, de 29,9 % et 1,4 %. Compte tenu du fondement quasi-délictuel des appels en garantie, auxquels il ne peut être fait droit qu'à raison des fautes respectives des différents intervenants, il n'y a en revanche pas lieu de prononcer la condamnation in solidum comme le demande la société Artelia, ni de condamner la société SME pour les fautes commises par son sous-traitant la société Les Professionnels du Bois.
33. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de l'ordonnance sur ce point, que la société Artelia est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés n'a pas fait droit à sa demande tendant à la condamnation de la société Apave Infrastructures et Construction France à la relever et garantir de la condamnation prononcée à titre provisionnel, et à demander que le montant de la condamnation soit ramené à 660 117,98 euros.
34. Par ailleurs, comme le fait valoir la société Artelia, la société SME n'a présenté aucun appel en garantie à son encontre. C'est donc irrégulièrement que, par l'article 4 de l'ordonnance attaquée, le juge des référés a, statuant ultra petita, condamné la société Artelia à garantir la société SME à hauteur de 7 % des sommes mises in solidum à leur charge.
En ce qui concerne les frais liés au procès :
35. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Artelia, qui demeure la partie perdante en première instance, 10 % de la charge des dépens.
36. L'article L. 761-1 du code s'oppose par ailleurs à ce qu'une somme soit versée aux sociétés SMABTP et Generali, qui n'ont pas la qualité de partie dans la présente instance dès lors que l'ordonnance attaquée ne les condamne pas et qu'aucune conclusion n'est dirigée contre elles en appel. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux autres demandes présentées en appel et tendant à l'application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2303768 du 7 août 2024 est annulée en tant qu'elle statue sur les demandes présentées à l'encontre de la société Méditerranée Environnement.
Article 2 : La société Méditerranée Environnement est condamnée à verser à la commune de Carqueiranne, in solidum avec la société Artelia, une provision d'un montant total de 660 117,98 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2023, ces intérêts étant capitalisés à la date du 20 novembre 2024 et à chaque échéance annuelle ultérieure éventuelle.
Article 3 : Le montant de la provision due par la société Artelia, in solidum avec la société Méditerranée Environnement, est ramené à ce même montant de 660 117,98 euros, au bénéfice de la seule commune de Carqueiranne.
Article 4 : L'article 2 de l'ordonnance attaquée est réformé en conséquence.
Article 5 : L'article 4 de l'ordonnance est annulé en tant que, statuant ultra petita, il condamne la société Artelia à garantir la société Méditerranée Environnement à hauteur de 7 % du montant de la condamnation in solidum.
Article 6 : Les sociétés Méditerranée Environnement et Apave sont condamnées à garantir la société Artelia à hauteur respectivement de 29,9 % et 1,4 % du montant de la provision et des intérêts afférents.
Article 7 : Les articles 5 et 6 de l'ordonnance attaquée sont réformés en ce qu'ils ont de contraire avec l'article 6 du présent arrêt.
Article 8 : L'article 6 de l'ordonnance est par ailleurs annulé en tant qu'il rejette l'appel en garantie de la société Artelia contre la société Apave.
Article 9 : Les sociétés Méditerranée Environnement et Artelia supporteront la charge des dépens à hauteur respectivement de 90 % et 10 %.
Article 10 : La société Méditerranée Environnement versera à la commune de Carqueiranne une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance.
Article 11 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 12 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Méditerranée Environnement et Artelia, à la commune de Carqueiranne, à la métropole Toulon Provence Méditerranée, à la société Apave Infrastructures et Construction France, à la société Generali IARD, à la société Axa France IARD et à la société SMABTP.
Copie en sera adressée à M. B... A..., expert.
Délibéré après l'audience du 3 février 2025, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère,
- M. Laurent Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2025.
N os 24MA02194, 24MA02303 2