Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société AJC Services a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la résiliation, aux torts du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), du marché conclu le 6 décembre 2018 pour le transport non collectif du personnel de l'établissement, de condamner le CEA à lui verser la somme de 558 552,18 euros hors taxes (HT) au titre de ses préjudices et de mettre à la charge du CEA la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2102622 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de résiliation juridictionnelle, et rejeté le surplus des demandes de la société AJC Services.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2023, et un mémoire enregistré le 12 février 2024, la société AJC Services, représentée par Me Gay, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le CEA à lui verser une indemnité de 558 512,18 euros hors taxes ;
3°) de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à la date de saisine du tribunal administratif, le marché produisait encore ses effets ;
- la mauvaise définition, par le CEA, de ses besoins, constitue une faute ;
- le CEA a fait preuve de déloyauté ;
- le contrat doit être regardé comme tacitement résilié ;
- elle n'a jamais refusé d'exécuter la moindre commande ;
- le CEA doit donc indemniser son préjudice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2023, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (" CEA "), représenté par le cabinet Awen Avocats, demande à la Cour de rejeter la requête d'appel et de mettre à la charge de la société AJC Services la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont infondés.
Par une lettre en date du 14 décembre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici le 4 juillet 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 février 2024.
Par ordonnance du 18 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Chabal, pour la société AJC Services, et celles de Me de Blegiers, substituant Me Le Port, pour le CEA.
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat conclu le 6 décembre 2018, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), établissement public national, a confié à la société AJC Services un marché public sous la forme d'un accord-cadre à bons de commande sans minimum ni maximum, ayant pour objet le transport non collectif du personnel de l'établissement. Le 4 juin 2020, la société AJC Services a sollicité une somme de 34 000 euros pour indemniser le préjudice résultant, pour elle, de la faiblesse des commandes par rapport aux prévisions. Le 6 juillet 2020, la société a informé le CEA qu'elle suspendait l'exécution des prestations contractuelles. Le 19 août 2020, le CEA l'a mise en demeure de reprendre cette exécution. La société a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant, d'une part, à ce qu'il prononçât la résiliation juridictionnelle du contrat la liant au CEA et, d'autre part, à ce qu'il condamnât ce dernier à lui verser une indemnité d'un montant de 558 552,18 euros hors taxes en réparation des préjudices qu'elle soutient avoir subis. Par le jugement attaqué, dont la société AJC Services relève appel, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, dit n'avoir plus lieu de statuer sur la demande de résiliation juridictionnelle du contrat, qui était parvenu à son terme, et, d'autre part, rejeté le surplus des demandes de la société AJC Services.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 30 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ".
3. Certes, il a été constaté, en 2019, une baisse de 17 % du nombre de missions par rapport aux prévisions, ainsi qu'une diminution encore plus marquée du nombre de personnes transportées, et des contraintes inattendues en termes d'horaires et de nombre de personnes en situation de handicap transportées. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la baisse, relativement limitée, du nombre des missions confiées à la société AJC Services, baisse qui a d'ailleurs justifié la conclusion d'un avenant destiné à rétablir l'équilibre économique du marché, aurait pu être anticipée par le CEA. Dans ces conditions, cette baisse ne suffit pas à établir l'existence d'une insuffisance dans l'expression, par ce dernier, de ses besoins. Il n'est, ensuite, pas contesté que la baisse des bons de commande du mois de mars 2020 au mois de septembre 2020 est liée à la pandémie du covid-19. Enfin, l'absence d'émission de bons de commande à compter du mois de septembre 2020 trouve son explication dans le litige opposant le CEA et la société AJC Services, qui le 6 juillet 2020 avait informé l'établissement qu'elle suspendait l'exécution des prestations contractuelles, avant que, le 19 août 2020, le CEA la mît en demeure de les poursuivre. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la faiblesse des commandes adressées à la société AJC Services par rapport à l'évaluation prévisionnelle, fournie dans le cahier des charges " à titre indicatif afin de permettre aux candidats de mieux évaluer leurs offres en fonction des besoins exprimés par le CEA ", résulterait d'une mauvaise définition, par le CEA, de ses besoins.
4. En deuxième lieu, l'article 39.3 des conditions générales d'achat du contrat stipule par ailleurs que : " En cas de bouleversement des conditions générales d'exécution du marché quelle qu'en soit la cause (...) le CEA peut à tout moment décider de résilier le marché sans formalités judiciaires, soit partiellement, soit totalement. Dans ce cas, le titulaire peut prétendre à une indemnité dans la limite du préjudice certain et direct qu'il a subi, et dont il doit faire la preuve ".
5. Toutefois, les stipulations citées au point précédent se limitent à laisser à l'acheteur public la faculté de résilier le contrat, sous réserve de l'indemnisation de son cocontractant, en cas de bouleversement des conditions d'exécution. Conformément aux principes généraux applicables aux contrats publics, l'acheteur public n'est tenu de procéder à une telle résiliation que dans le cas où un événement extérieur aux parties, de nature imprévisible et exceptionnelle, ferait irrésistiblement obstacle à l'exécution des prestations contractuelles. Or, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas soutenu, que tel serait le cas. La société AJC Services n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le CEA aurait dû résilier le contrat et que, faute de l'avoir fait, il a méconnu le principe de loyauté des relations contractuelles et commis une faute lui ouvrant droit à indemnisation.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 139 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, alors en vigueur : " Le marché public peut être modifié dans les cas suivants : (...) / 3° Lorsque, sous réserve de la limite fixée au I de l'article 140, la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir (...) ".
7. Cette disposition, qui octroie à l'acheteur public la faculté de modifier le contrat en cas de survenance de circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir, n'institue aucune obligation dont la méconnaissance serait constitutive d'une faute contractuelle. Dans ces conditions, la société AJC Services n'est pas fondée à soutenir que le CEA aurait commis une faute en ne modifiant pas le contrat.
8. En quatrième lieu, en l'absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, celui-ci doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique a mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles.
9. La société AJC Services indique elle-même qu'elle avait licencié les cinq chauffeurs affectés au marché, respectivement, le 20 février 2020 pour le premier et le 4 juin 2020 pour les quatre autres. Par la suite, par un courrier du 6 juillet 2020, cette société a refusé expressément de répondre aux commandes transmises par le CEA en indiquant à ce dernier que " les prestations relatives au contrat (...) sont suspendues à compter [du] 8 juillet jusqu'à nouvel ordre ". Dans ces conditions, elle ne peut soutenir que l'absence d'émission ultérieure de bons de commande par le CEA, qui n'a fait que prendre acte du désengagement de fait de la société, révèlerait l'intention de ce dernier de résilier implicitement le contrat.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société AJC Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation et de condamnation doivent donc être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge à ce dernier titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société AJC Services est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du CEA tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société AJC Services et au Centre pour l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 novembre 2024.
N° 23MA01018 2