Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 2100651, la société anonyme Engie a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la délibération du 19 novembre 2020, par laquelle le conseil municipal de la commune de La Crau a refusé le protocole transactionnel à hauteur de 36 034,73 euros proposé par la société Engie concernant des pénalités que la commune entendait lui infliger à hauteur de 403 648,13 euros ainsi que le certificat administratif établi le 10 décembre 2020 par le maire de la commune de La Crau.
II°) Par une requête, enregistrée sous le n° 2100652, la société anonyme Engie a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 18 décembre 2020 par la commune de La Crau, pour un montant de 403 648,13 euros et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme et, à titre subsidiaire, de modérer le montant des pénalités.
Par un jugement nos 2100651, 2100652 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a partiellement fait droit à ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, la commune de La Crau, représentée par Me Marchesini, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 novembre 2023 en tant qu'il a annulé le titre exécutoire pour le montant excédant la somme de 18 800 euros et a déchargé la société Engie de l'obligation de payer la somme de 384 848,13 euros ;
2°) de rejeter les demandes de la société Engie ;
3°) de mettre à la charge de la société Engie la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de statuer sur les pénalités qu'elle avait infligées à la société Engie sur le fondement des stipulations de l'article 4.6.5. du cahier des clauses particulières (CCP) en raison de l'indisponibilité de l'espace " client en ligne " ;
- il découle d'une lecture combinée des articles 4.3.5., 4.6.1. et 4.3.8. de ce même cahier que la pénalité de 200 euros hors taxes par jour de retard s'applique en cas de non-respect du délai de remise des factures répondant aux exigences de l'article 4.3.8 du CCP, à savoir une facture pour chaque point de livraison ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle a versé aux débats le formulaire EXE14 portant mise en demeure de produire dans un délai de quinze jours toutes observations quant à la décision de l'acheteur public d'appliquer les pénalités de retard s'élevant à la somme de 397 200 euros hors taxes ; aussi, des intérêts moratoires sont dus à compter de cette mise en demeure conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la société Engie, représentée par Me Pezin, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la commune de La Crau la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 24 juin 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 28 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Gonzalez-Lopez, pour la commune de La Crau, et de Me Pezin, pour la société Engie.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat mixte de l'énergie des communes du Var a, dans le cadre d'un groupement de commandes pour l'achat d'électricité dont est membre la commune de La Crau, conclu le 20 octobre 2015 avec la société GDF Suez, devenue Engie, un marché de fourniture et de distribution d'électricité pour les sites souscrivant une puissance supérieure à 36kVA, en application du lot n° 2 de l'accord-cadre conclu entre ces parties. La durée de ce marché était de trois ans à compter du 1er janvier 2016. Le 26 juillet 2016, la commune de La Crau a notifié à la société Engie un décompte de pénalités fixant leur montant total à 397 200 euros. Par une délibération du 19 novembre 2020, le conseil municipal de La Crau a refusé d'autoriser la signature du protocole transactionnel par lequel la société Engie proposait une indemnisation amiable d'un montant de 36 034,73 euros. Le 10 décembre 2020, le maire de la commune de La Crau a établi un certificat administratif fixant le montant de la dette à 403 648,13 euros, après liquidation des intérêts au taux légal. Par un avis des sommes à payer du 18 décembre 2020, la commune de La Crau a mis à la charge de la société Engie la somme de 403 648,13 euros. La société Engie a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une première demande enregistrée sous le n° 2100651 tendant à l'annulation de cette délibération et de ce certificat administratif. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2100652, la société Engie a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler ce titre exécutoire et de la décharger de la somme contenue dans ce titre. Par le jugement nos 2100651, 2100652 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande n° 2100651, a annulé le titre exécutoire émis par la commune en tant qu'il excédait la somme de 18 800 euros et a déchargé la société Engie de l'obligation de payer la somme de 384 848,13 euros. La commune de La Crau relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé le titre exécutoire pour le montant excédant la somme de 18 800 euros et a déchargé la société Engie de l'obligation de payer la somme de 384 848,13 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Si la commune soutient que le tribunal administratif de Toulon a omis de statuer sur l'une des pénalités qui fondait la créance en litige, les conclusions aux fins d'annulation et de décharge étaient présentées par la société Engie et, en tout état de cause, la commune fait état de pénalités pour indisponibilité de l'outil " espace client en ligne ", qui n'étaient pas en litige. Ces pénalités n'étaient pas mentionnées dans le titre de perception et n'étaient donc pas contestées par la société Engie. Le moyen tiré d'une omission à statuer doit donc être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'application des pénalités pour retard :
3. Aux termes de l'article 4.3.1. du cahier des clauses particulières applicable à l'accord cadre en cause et portant sur les dispositions communes : " sauf cas particulier, toutes les factures pour un membre du groupement déterminé sont adressées à la même date, selon la fréquence détaillée ci-après. / Les modalités de facturation sont conformes aux dispositions prévues au présent article ainsi que le cas échéant, aux engagements complémentaires du titulaire figurant dans son mémoire technique. / Les factures ne respectant pas les modalités précisées ci-après donneront lieu à une suspension de paiement jusqu'à présentation d'une facture conforme. / Le titulaire du marché subséquent transmet une facture pour chaque regroupement défini par le membre (article 4.3.7) et pour chaque point de livraison n'appartenant à aucun regroupement (article 4.3.7). Le nombre d'exemplaire de la facture est conforme aux conditions de l'article 4.3.4. / Le choix de regrouper ou non ses factures appartient à chaque membre du groupement. Il est effectué la faveur des opérations préalables à l'exécution des prestations (article 5.3 du CCP). / La facture papier est adressée par courrier. Elle est complétée d'un envoi par mail d'un fichier " facture XLS " reprenant les données de facturation au format EXCEL(r). ".
4. Aux termes de l'article 4.3.5 sur la fréquence de facturation de ce même CCP applicable : " La fréquence de facturation est mensuelle pour les tarifs C2, C3 et C4. (...) Les factures individuel[le]s ou regroupant plusieurs sites sont adressés en un seul envoi à une date comprise entre le 5 et le 15 du mois (...) ". Et aux termes de l'article 4.6.1 de ce même CCP : " (...) Pénalité de 200 € HT par jour de retard, en cas de : - non remise des factures dans les délais prévus à l'article 4.3.5, imputable au titulaire (...) ".
5. En premier lieu, la commune de La Crau soutient que des pénalités devaient s'appliquer pour un montant de 390 400 euros en raison du retard de soixante et un jours dans la remise de trente-deux factures. Si la société Engie fait valoir qu'il doit être tenu compte seulement du nombre d'envoi des factures et non du nombre de factures remises, il résulte des stipulations précitées que les pénalités en jeu ont vocation à sanctionner le retard dans la remise de chacune des factures, indépendamment de leurs modalités d'envoi, que ces envois soient groupés ou non. Dans ces conditions, l'appelante est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont seulement tenu compte d'un unique envoi des factures et non du nombre de factures remises et ont réduit le montant de la pénalité à 12 000 euros hors taxes en ne retenant qu'un seul retard de soixante jours alors que trente-deux factures étaient concernées.
6. En second lieu, si la commune de La Crau fait valoir que le retard s'est élevé à soixante et un jours, il résulte de l'instruction que les factures ont été remises le 16 avril 2016 au lieu du 15 février 2016, soit un retard de soixante jours, ainsi que l'ont retenu les premiers juges.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de La Crau pouvait infliger à son cocontractant la société Engie sur le fondement des stipulations de l'article 4.6.1 du CCP une pénalité de retard pour chacune des trente-deux factures à raison de 200 euros hors taxes par jour de retard.
En ce qui concerne la demande de la société Engie de modulation des pénalités :
8. Les pénalités prévues par les clauses d'un contrat de la commande publique ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer à l'acheteur le non-respect, par son cocontractant, de ses obligations contractuelles. Elles sont applicables au seul motif qu'une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
9. Lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un contrat de la commande publique, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat. Il peut, à titre exceptionnel, être saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée.
10. Lorsque le titulaire du contrat saisit ainsi le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige, de nature à établir dans quelle mesure l'ensemble des pénalités infligées présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du contrat dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.
11. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de l'inexécution seulement partielle et ponctuelle de ses obligations contractuelles par la société Engie, il résulte de l'instruction que les pénalités ainsi infligées par la commune de la Crau à cette dernière, à hauteur de 397 200 euros, qui représentent près de 66 % du montant total du marché sur trois ans, doivent être regardées comme atteignant un montant manifestement excessif. Par suite, il y a lieu de réduire le montant des pénalités à hauteur de 36 000 euros, soit 6 % du montant total du marché.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commune de la Crau est fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Toulon a annulé le titre n° 835/2020 qu'elle a émis le 18 décembre 2020 en tant qu'il excédait la somme de 18 800 euros et déchargé la société Engie de l'obligation de payer la somme de 384 848,13 euros.
En ce qui concerne les intérêts moratoires :
13. Aux termes de l'article L. 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. (...) ".
14. Si la commune de La Crau soutient qu'elle a adressé à la société Engie une mise en demeure en date du 30 juin 2016 dont il doit être tenu compte pour le décompte des intérêts moratoires, ainsi que le relève la société Engie, il résulte des termes mêmes de ce document intitulé " mise en demeure " qu'il ne s'agit que d'une invitation adressée par la commune à son contractant à lui adresser des observations avant application de pénalités et qu'il ne saurait tenir lieu de mise en demeure au sens des dispositions citées au point précédent.
15. Il résulte de ce qui précède que la commune de La Crau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'application d'intérêts moratoires.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Engie dirigées contre la commune de La Crau qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Engie une somme de 2 000 euros à verser à la commune de La Crau en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'avis des sommes à payer du 18 décembre 2020 est annulé en tant qu'il excède la somme de 36 000 euros.
Article 2 : La société Engie est déchargée de l'obligation de payer la somme de 367 648,13 (403 648,13 - 36 000) euros.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 novembre 2023 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 4 : La société Engie versera à la commune de La Crau une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Crau et à la société anonyme à conseil d'administration Engie.
Délibéré après l'audience du 28 octobre 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 novembre 2024.
N° 24MA00115 2