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14/10/2024 | FRANCE | N°24MA00197

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 14 octobre 2024, 24MA00197


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, de condamner la commune de Roquebrune-Cap-Martin à lui verser la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction dans le cadre de l'attribution d'un contrat de concession pour l'exploitation de la piscine municipale, somme assortie des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020 et, à titre subsidiaire, de condamner la commune d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, de condamner la commune de Roquebrune-Cap-Martin à lui verser la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction dans le cadre de l'attribution d'un contrat de concession pour l'exploitation de la piscine municipale, somme assortie des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020 et, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Roquebrune-Cap-Martin à lui verser une somme de 10 000 euros engagée pour la présentation de son offre, en réparation du préjudice que lui a causé son éviction, assortie des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020.

Par un jugement n° 2100147 du 28 novembre 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024, la société Vert Marine, représentée par la Selarl Audicit, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 novembre 2023 ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Roquebrune-Cap-Martin à lui verser la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction, assortie des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Roquebrune-Cap-Martin à lui verser une somme de 10 000 euros engagée pour la présentation de son offre, en réparation du préjudice que lui a causé son éviction, assortie des intérêts de droit à compter du 17 septembre 2020 ;

4°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- alors que l'autorité concédante était tenue de veiller à ce que les offres de chaque candidat garantissent le respect des règles du droit du travail, elle a commis une faute en s'abstenant de le faire ;

- il lui appartenait en particulier de s'assurer de la conformité de l'offre aux règles du droit du travail et notamment à celles-ci issues d'une convention collective étendue ;

- en l'espèce, seule la convention collective nationale du sport était susceptible d'être mise en œuvre au personnel de l'équipement affermé ;

- l'application de la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturel dite ELAC par l'attributaire, outre qu'elle constitue une illégalité, a eu des conséquences importantes sur l'offre présentée par les candidats et leur appréciation ;

- elle justifie d'une chance sérieuse d'être désignée comme attributaire dès lors qu'elle a été classée en deuxième position derrière l'offre irrégulière de l'attributaire ;

- établissant la consistance de son manque à gagner par la production du compte d'exploitation prévisionnel remis à l'appui de son offre, elle doit être indemnisée de ce préjudice à hauteur de 350 000 euros ;

- à défaut, elle doit être remboursée de ses frais de présentation d'offre à hauteur de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2024, la commune de Roquebrune-Cap-Martin, représentée par Me Seno, demande à la Cour :

- à titre principal, de rejeter la requête ;

- à titre subsidiaire, de ramener la demande d'indemnisation de la société Vert Marine à de plus justes proportions ;

- en tout état de cause, de mettre à la charge de la société vert marine la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 31 mai 2024, la société par actions simplifiée Adl Espace Recrea, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Vert Marine une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à intervenir à la procédure dans la mesure où la régularité de son offre est directement mise en cause et où les nombreuses actions engagées par la société Vert Marine visent à voir reconnaître l'applicabilité exclusive de la convention collective nationale des sports dans des contrats dont elle est délégataire, ce qui est susceptible de préjudicier à ses droits ;

- la requête est irrecevable dans la mesure où la requérante n'apporte pas un début de démonstration de la lésion qu'elle prétend avoir subie ; le surcoût de masse salariale qu'elle invoque est en lien avec le nombre d'équivalents temps pleins plus important prévu dans son offre ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 24 juin 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été envoyée le 29 août 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure ;

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public ,

- et les observations de Me Berrebi pour la commune de Roquebrune-Cap-Martin et de Me Cochelard pour la société Adl Espace Récréa.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Roquebrune-Cap-Martin a engagé une procédure de mise en concurrence, en vue de la passation d'un contrat de concession pour l'exploitation de sa piscine municipale. La société Vert Marine, spécialisée dans la gestion déléguée d'équipements sportifs et de loisirs, s'est portée candidate. A la suite du rejet de son offre, elle a saisi la collectivité, par un courrier du 15 septembre 2020, d'une demande d'indemnisation du préjudice résultant de son éviction. Par une décision du 10 novembre 2020, la commune de Roquebrune-Cap-Martin a rejeté sa demande. La société Vert Marine a alors saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Roquebrune-Cap-Martin à titre principal, à lui verser la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction, et à titre subsidiaire, à lui verser une somme de 10 000 euros engagée pour la présentation de son offre. Par le jugement du 28 novembre 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société Vert Marine relève appel de ce jugement.

Sur l'intervention de la société Adl Espace Récréa :

2. Dès lors que le fondement de l'action indemnitaire de la société Vert Marine repose sur le caractère irrégulier de l'offre de la société Adl Espace Récréa, société attributaire dans le cadre du contrat de concession pour l'exploitation de sa piscine municipale conclu par la commune de Roquebrune-Cap-Martin, il s'en déduit que l'issue du contentieux indemnitaire lèse de façon suffisamment directe les intérêts de la société Adl Espace Récréa. Par suite, son intervention doit être admise.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le cadre du recours de la société Vert Marine :

3. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, par une décision n° 291545 du 16 juillet 2007, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation.

4. Il appartient au juge saisi de telles conclusions, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits du cocontractant, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.

5. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

En ce qui concerne la régularité de l'offre retenue par la commune de Roquebrune-Cap-Martin :

6. Aux termes de l'article L. 3 du code de la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. ".

7. Aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail (...) ".

8. Il résulte des dispositions du code du travail citées au point précédent que les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s'imposent aux candidats à l'octroi d'une délégation de service public lorsqu'ils entrent dans le champ d'application de cette convention. Par suite, une offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l'autorité concédante et doit être écartée comme irrégulière par celle-ci.

9. Aux termes de l'article L. 2261-2 du code du travail : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. / En cas de pluralité d'activités rendant incertaine l'application de ce critère pour le rattachement d'une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l'entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables ".

10. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006, la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini par son article 1.1 dans sa version alors en vigueur : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants : / - organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; / - gestion d'installations et d'équipements sportifs. / (...) ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini par son article 1er, dans sa rédaction applicable au litige : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : / (...) - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature (...). / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes (...) parc aquatique (...) / Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives ", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives " (...) / gestion d'installations sportives à caractère récréatif et de loisir. / Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : / les piscines (...) ".

11. La société Vert Marine soutient que l'offre de la société Adl Espace Récréa était irrégulière dès lors qu'elle se référerait à la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels aux salariés placés sous sa responsabilité et que la commune n'aurait pas dû, pour ce motif, la retenir dès lors que les modalités d'exécution du marché méconnaitraient les dispositions de la convention collective applicable. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier pas de l'offre retenue de la société attributaire et versée par la commune sur demande de la Cour, que cette offre fasse mention de cette convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels alors, au surplus, qu'il n'est nullement soutenu que le règlement de la consultation aurait exigé que l'offre des candidats indiquât la convention collective auxquels devaient être assujettis les personnels prévus. La société appelante n'est dès lors pas fondée à soutenir ni que l'offre retenue était irrégulière ni que cette illégalité aurait eu des conséquences importantes sur l'offre présentée par les candidats et leur appréciation.

En ce qui concerne la demande indemnitaire de la société Vert Marine :

12. Il ne résulte pas de l'instruction que la procédure de passation du marché de prestations de services en cause était entachée de l'irrégularité alléguée. Dès lors, la société appelante n'est pas fondée à se prévaloir d'une illégalité fautive commise par la commune lors de la conclusion du contrat dont elle a été évincée.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Vert Marine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de son manque à gagner.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Vert Marine dirigées contre la commune de Roquebrune-Cap-Martin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vert Marine une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Roquebrune-Cap-Martin en application de ces dispositions. En revanche, ces dispositions s'opposent à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée sur ce même fondement par la société Adl Espace Récréa, qui n'est pas partie à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la société Adl Espace Récréa est admise.

Article 2 : La requête de la société Vert Marine est rejetée.

Article 3 : La société Vert Marine versera à la commune de Roquebrune-Cap-Martin une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Adl Espace Récréa au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Vert Marine, à la commune de Roquebrune-Cap-Martin et à la société par actions simplifiée Adl Espace Récréa.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2024.

N° 24MA00197 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00197
Date de la décision : 14/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats - Délégations de service public.

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés - Formalités de publicité et de mise en concurrence.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : CABINET VEIL JOURDE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-14;24ma00197 ?
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