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14/10/2024 | FRANCE | N°22MA02462

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 14 octobre 2024, 22MA02462


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Corsica Ferries, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bastia sous le n° 496 320 151, a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté n° R93-2020-03-12-002 du 12 mars 2020 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a modifié le règlement local de la station de pilotage de Toulon-La Seyne-sur-Mer.



Par un jugement n° 2001871 du 12 juillet 2022, le tribunal admini

stratif a rejeté cette demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête enregi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Corsica Ferries, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bastia sous le n° 496 320 151, a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté n° R93-2020-03-12-002 du 12 mars 2020 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a modifié le règlement local de la station de pilotage de Toulon-La Seyne-sur-Mer.

Par un jugement n° 2001871 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 septembre 2022 et un mémoire récapitulatif enregistré le 27 janvier 2023, la société Corsica Ferries, représentée par Me Levain, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 12 mars 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le vote des membres de l'assemblée commerciale n'a pas été nominatif ;

- les tarifs fixés ne sont pas proportionnés aux coûts réels du service rendu ;

- l'information fournie aux membres de l'assemblée commerciale était insuffisante ;

- le tribunal administratif a entaché son jugement d'irrégularité en n'exigeant pas la production du détail des charges de personnel ;

- les premiers juges ont commis des erreurs de droit, des erreurs d'appréciation, des erreurs manifestes d'appréciation, des erreurs de qualification juridique et dénaturé les faits qui leur étaient soumis.

Par une lettre en date du 21 novembre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici le 30 juin 2023, et que l'instruction pourrait être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 3 janvier 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens présentés par la société Corsica Ferries sont infondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 janvier 2023, la Fédération française des pilotes maritimes et le Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne, représentés par Mes Brajeux et Dejean, demandent à la Cour d'admettre leur intervention volontaire et déclarent s'associer aux conclusions en défense de l'Etat, en sollicitant en outre que soit mise à la charge de la société Corsica Ferries la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens présentés par la société Corsica Ferries sont infondés.

Par ordonnance du 17 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) 2017/352 du 15 février 2017 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code des transports ;

- l'arrêté n° EQUK0001005A du 5 juin 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Levain, pour la société Corsica Ferries, et de Me Dejean, pour la Fédération française des pilotes maritimes et pour le Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 12 mars 2020, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a modifié l'arrêté préfectoral du 30 mars 1988, en ce qui concerne les tarifs du pilotage et indemnités diverses de la station de Toulon-La Seyne-sur-Mer. Par le jugement attaqué, dont la société Corsica Ferries relève appel, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande, présentée par cette société et tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté.

Sur l'intervention :

2. La Fédération française des pilotes maritimes et le Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne ont intérêt au maintien de l'arrêté du 12 mars 2020, qui bénéficie à leurs adhérents. Il y a donc lieu d'admettre leur intervention en défense.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, si la société Corsica Ferries soutient qu'il est " particulièrement incompréhensible (...) que le tribunal retienne l'existence d'un document (...) établi par la requérante elle-même sur la base de ses propres évaluations (...) ", cette erreur, à la supposer établie, a trait au bien-fondé du jugement et reste sans influence sur sa régularité.

4. En second lieu, la société Corsica Ferries reproche au tribunal administratif de ne pas avoir fait usage de ses pouvoirs d'instruction pour solliciter la production du détail des charges de personnel. Toutefois, la connaissance de ce détail n'était pas nécessaire pour apprécier la disproportion entre les tarifs et la valeur de la prestation, dès lors, d'une part, que cette valeur ne s'identifie pas au prix de revient, et, d'autre part, qu'en tout état de cause, les charges de personnel constituent dans leur ensemble des éléments du coût du service. Le tribunal administratif n'a donc pas méconnu sa mission juridictionnelle en ne sollicitant pas ce détail.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 5 juin 2000 relatif à l'organisation et au fonctionnement des assemblées commerciales : " Les avis de l'assemblée commerciale doivent être motivés et font l'objet de votes nominatifs ".

6. Le caractère nominatif du vote, exigé par les dispositions précitées de l'article 2 de l'arrêté du 5 juin 2000, implique que l'avis adressé au préfet mentionne, pour chaque membre de l'assemblée commerciale participant au vote, le sens de ce vote.

7. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

8. Or, la société Corsica Ferries, qui représentait les armateurs au sein de l'assemblée commerciale, n'a pas contesté le fait que chacun des membres de l'assemblée s'est bien exprimé en personne sur les propositions d'augmentation tarifaire. Si elle soutient que " l'absence d'indication de votes nominatifs dans les procès-verbaux des assemblées commerciales de pilotage est de nature à dissimuler les positions prises par les représentants de chacune des entreprises membres de ladite assemblée ", elle n'indique en quoi cette " dissimulation " aurait été de nature susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise par le préfet, ou l'aurait privée en l'espèce d'une garantie.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 5 juin 2000, relatif à l'organisation et au fonctionnement des assemblées commerciales : " (...) L'ordre du jour et les documents correspondants sont annexés à la convocation. Lorsqu'il s'agit de la détermination des tarifs, l'ordre du jour est accompagné des comptes et budgets agrégés de la station, ainsi que d'une simulation de ces comptes et budgets pour les trois années suivantes. (...) ". Aux termes de l'article L. 5341-7 du code des transports : " (...) Dans les stations où le service se fait au tour de liste, les rémunérations des pilotes sont mises en commun ". Aux termes de son article L. 5341-10 : " Pour l'application de la présente section, l'autorité administrative compétente de l'Etat détermine les stations de pilotage. / Elle prend un règlement particulier à chaque station. / Ce règlement détermine notamment : / 1° Lorsque les rémunérations des pilotes sont mises en commun, les conditions de leur partage (...) ".

10. Les dispositions précitées de l'article 2 de l'arrêté du 5 juin 2000, qui imposent seulement de joindre à l'ordre du jour annexé à la convocation les comptes et budgets agrégés de la station, ainsi qu'une simulation de ces comptes et budgets pour les trois années suivantes, n'exigent pas la communication aux membres de l'assemblée commerciale des informations relatives à la répartition de la masse partageable. Le moyen tiré de l'insuffisante information donnée aux membres de l'assemblée commerciale ne peut donc être accueilli.

11. En troisième lieu, une redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service et, par conséquent, correspondre à la valeur de la prestation ou du service. Par ailleurs, aux termes de l'article 12 du règlement du 15 février 2017 du Parlement européen et du Conseil, applicable à compter du 24 mars 2019 : " 1. (...) les redevances afférentes aux services de pilotage qui ne sont pas exposés à une concurrence effective (...) sont fixées de manière transparente, objective et non discriminatoire et sont proportionnées au coût du service fourni (...) 3. Le prestataire de services portuaires met à la disposition de l'autorité compétente de l'État membre (...), en cas de plainte formelle et à sa demande, toute information pertinente relative aux éléments pris en compte pour déterminer la structure et le montant des redevances de services portuaires (...) ".

12. La circonstance que la rémunération des pilotes de la station, qui représente un élément du prix de revient du service public du pilotage, et donc de son coût au sens de l'article 12 du règlement du 15 février 2017, est élevée par rapport à celle d'un commandant de navire ne suffit pas à établir l'existence d'une disproportion entre le montant des redevances et la valeur de la prestation, en l'absence notamment d'éléments, de nature économique, permettant d'établir le caractère anormalement élevé des redevances pratiquées à Toulon par rapport à la valeur du service rendu, compte tenu en particulier des redevances en vigueur dans d'autres ports comparables, ou du poids de ces redevances par rapport au chiffre d'affaires réalisé par les armateurs. Elle n'est pas plus de nature à caractériser une disproportion des tarifs du pilotage par rapport au coût du service, dont la rémunération des pilotes constitue un élément.

13. En quatrième lieu, compte tenu de l'office du juge d'appel, la société Corsica Ferries ne peut utilement, pour solliciter l'annulation du jugement attaqué, invoquer les erreurs de droit, d'appréciation, de qualification juridique ou les dénaturations qu'auraient commises les premiers juges.

14. Il résulte de ce qui précède que la société Corsica Ferries n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante. La Fédération française des pilotes maritimes et le Syndicat professionnel des pilotes, qui n'ont pas la qualité de partie dans la présente instance, ne peuvent solliciter le bénéfice de cette disposition.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention en défense de la Fédération française des pilotes maritimes et du Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne est admise.

Article 2 : La requête de la société Corsica Ferries est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la Fédération française des pilotes maritimes et du Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Corsica Ferries, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à la Fédération française des pilotes maritimes et au Syndicat professionnel des pilotes pratiques agréés du port de Toulon-La Seyne.

Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2024.

N° 22MA02462 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02462
Date de la décision : 14/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

19-08-02 Contributions et taxes. - Parafiscalité, redevances et taxes diverses. - Redevances.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : HOLMAN FENWICK WILLAN France LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-14;22ma02462 ?
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