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01/07/2024 | FRANCE | N°22MA00372

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 01 juillet 2024, 22MA00372


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Rubans Bleus Pastouret a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 14 août 2019 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a, d'une part, prononcé l'immobilisation de vingt-huit de ses autocars ainsi que le retrait de vingt-huit copies conformes de la licence de transport communautaire pour une durée de trois mois et, d'autre part, décidé la publication de l'arrêté dans la rubrique " annonces légales " de deux journaux r

égionaux et l'affichage de ces publications dans les locaux de l'entreprise pendant tout...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Rubans Bleus Pastouret a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 14 août 2019 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a, d'une part, prononcé l'immobilisation de vingt-huit de ses autocars ainsi que le retrait de vingt-huit copies conformes de la licence de transport communautaire pour une durée de trois mois et, d'autre part, décidé la publication de l'arrêté dans la rubrique " annonces légales " de deux journaux régionaux et l'affichage de ces publications dans les locaux de l'entreprise pendant toute la durée de l'immobilisation.

Par un jugement n° 1907630 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 28 janvier 2022 et le 23 juin 2023, la SAS Rubans Bleus Pastouret, représentée par Me Tiret, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 novembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué.

Elle soutient que :

- il appartient à l'administration de démontrer qu'elle a été convoquée trois semaines au moins avant la date de la séance de la commission territoriale des sanctions administratives (CTSA), en application de l'article R. 3452-21 du code des transports ;

- elle n'a pas été invitée à présenter ses observations sur les cent soixante-seize infractions du 25 mars 2019 ;

- la CTSA a méconnu le principe de neutralité et d'impartialité, eu égard à sa composition, et alors que son rapport a été communiqué à la presse, à ses partenaires et à ses clients avant même qu'il lui soit notifié, ce qui méconnaît le principe de non publicité des séances prévu à l'article R.3452-19 du code des transports ; les droits de la défense et l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;

- le contrôle a été étendu au-delà de la période initiale sans qu'elle en ait été informée ;

- aucune poursuite n'a été engagée par le ministère public à son encontre pour les infractions en cause ;

- les treize délits de transports routiers sans carte insérée dans le tachygraphe numérique du véhicule en méconnaissance de l'article L. 3315-5 alinéa 1 du code des transports ne peuvent lui être imputés dès lors qu'elle a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter la commission de tels faits, ainsi qu'en attestent les contrats de travail, son règlement intérieur et les avertissements adressés aux salariés, dont certains ont fait l'objet de mesures disciplinaires ; en outre, certaines lignes faisaient moins de cinquante kilomètres et n'étaient donc pas soumises à la réglementation sociale européenne ;

- pour cinq infractions l'année de l'infraction n'est pas précisée ;

- la DREAL n'établit pas l'élément intentionnel de l'infraction selon laquelle deux chauffeurs n'auraient pas inséré leur carte de conducteur intentionnellement, ce motif ayant d'ailleurs été neutralisé par le tribunal ;

- s'agissant des dix-neuf contraventions de 5ème classe et des seize contraventions de 4ème classe relatives à la réglementation sociale européenne, elle a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter la commission de tels faits, ainsi qu'en attestent les contrats de travail, son règlement intérieur et les avertissements adressés aux salariés, dont certains ont fait l'objet de mesures disciplinaires ; en outre certaines contraventions sont relevées à la fois à l'encontre des sociétés Pastouret, Suma et Telleschi pour les mêmes chauffeurs ;

- pour l'infraction Natinf 27794, suite à des échanges de courriel avec la DREAL, elle a justifié des billets collectifs en pièce 14 et les infractions relevées pour dépassement de moins d'1 heure 30 de la durée de conduite ininterrompue de 4 heures 30 ne sont donc pas caractérisées ;

- elle n'a pas fait obstacle au contrôle ;

- les cent soixante-seize contraventions pour non conservation des documents de contrôle ne pouvaient être dressées alors qu'elle a communiqué les documents qui, contrairement à ce que soutient l'administration, étaient réguliers ;

- concernant la contravention établie pour transport routier de personnes sans convention avec l'autorité organisatrice compétente, elle admet que les chauffeurs ne disposaient pas de l'attestation de l'autorité organisatrice à bord mais ces attestations ont été communiquées le jour même à la DREAL ;

- la même infraction pour le véhicule contrôlé et conduit par M. A... le 9 avril 2018 a été retenue contre la société Telleschi.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 juin 2023 et le 7 juillet 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 12 mai 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 21 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Le 19 janvier 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, selon lequel :

- le tribunal qui s'est estimé saisi d'un recours pour excès de pouvoir alors qu'il était saisi d'un recours de plein contentieux s'est mépris sur l'étendue de son office (CE, 5 / 4 SSR, 27 avr. 2007, Lipinski, n° 274992, Lebon T 706-1034-1046 ; CE, 25 mai 2023, La Poste, n° 471035, Lebon).

Par un mémoire, enregistré le 26 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public qui avait été communiqué.

Il fait valoir que le contentieux des sanctions professionnelles est un litige d'excès de pouvoir et le tribunal n'a donc pas méconnu son office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 561/2006 du parlement européen et du conseil du 15 mars 2006 ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Tiret, pour la SAS Rubans Bleus Pastouret.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 septembre 2018, la société Rubans Bleus Pastouret, qui exerce une activité de transports scolaire, urbain, interurbain et suburbain, au sein de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a été informée par courrier qu'elle ferait l'objet d'un contrôle. A l'occasion de ce contrôle portant sur la période allant du mois de mai au mois de juillet 2018, l'agent a relevé à l'encontre de la société Rubans Bleus Pastouret plusieurs délits, contraventions de 5ème classe et contraventions de 4ème classe relatifs à la réglementation sociale européenne ainsi qu'au code des transports. De plus, à l'occasion de contrôles routiers effectués en 2018, des infractions de même nature ont été relevées. Par une lettre du 22 décembre 2018, la DREAL a alors sollicité de la société qu'elle présente des observations écrites sur ces infractions puis a engagé une procédure en vue du prononcé d'une sanction administrative conformément aux dispositions des articles R. 3116-12 à R. 3116-24 du code des transports. Après avoir consulté la commission territoriale des sanctions administratives (CTSA) le 2 mai 2019, le préfet de région a décidé, par l'arrêté du 14 août 2019 dont la société requérante demande l'annulation, l'immobilisation de vingt-huit autocars pour une durée de trois mois à raison des quinze délits retenus, ainsi que le retrait de vingt-huit copies conformes de la licence de transport communautaire à raison des cent quatre-vingt-quinze contraventions de 5ème classe et quatorze contraventions de 4ème classe retenues pendant cette même période. Il a également décidé la publication de ces mesures dans la rubrique des annonces légales de deux journaux régionaux et leur affichage dans les locaux de l'entreprise. La société requérante relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 3452-3 du code des transports alors en vigueur : " Les sanctions, notamment les mesures de retrait et d'immobilisation prévues par les articles L. 3452-1 et L. 3452-2, ne peuvent être prononcées qu'après avis d'une commission des sanctions administratives placée auprès de l'autorité administrative et présidée par un magistrat de l'ordre administratif. Elle comprend des représentants des entreprises qui participent aux opérations de transport, de leurs salariés et des différentes catégories d'usagers ainsi que des représentants de l'Etat. " Et l'article R. 3452-12 du même code précise que : " Les commissions des sanctions administratives sont consultées pour avis par le préfet de région, préalablement au prononcé des sanctions encourues, en application des articles R. 1422-8-2, R. 1452-1, R. 3113-30, R. 3116-14, R. 3116-15, R. 3116-17, R. 3116-18, R. 3116-19, R. 3116-21, R. 3211-31, R. 3242-2, R. 3242-4, R. 3242-5, R. 3242-6, R. 3242-8 et R. 3242-11, par une entreprise, son représentant légal ou la personne qui exerce des fonctions de direction ou de gestionnaire de transport en son sein ou en exécution d'un contrat, auteur d'un manquement aux réglementations des transports, du travail, de la santé ou de la sécurité relatives aux transports routiers de personnes et de marchandises. ". Selon l'article R. 3452-21 du même code : " Le représentant de l'entreprise ou la personne mise en cause sont convoqués trois semaines au moins avant la date de la séance. [...] Ils peuvent consulter leur dossier, se faire assister ou représenter par toute personne à laquelle ils ont régulièrement donné mandat, présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur leur demande, des observations orales. Le rapport de présentation leur est communiqué au plus tard cinq jours avant la séance de la commission. ".

3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte. Le délai de trois semaines entre la convocation du représentant de l'entreprise et la réunion de la CTSA, mentionné par l'article R. 3452-21 du code des transports, constitue une garantie pour le représentant de la société visant à lui permettre de préparer utilement sa défense. Par suite, la méconnaissance de ce délai a pour effet de vicier la consultation de la CTSA, sauf s'il est établi que le représentant de la société a été informé de la date du conseil de discipline au moins trois semaines à l'avance par d'autres voies.

4. Il résulte de l'instruction que la société requérante n'a reçu que le 12 avril 2019 la convocation datée du 5 avril 2019 pour la séance de la CTSA du 2 mai 2019, au cours de laquelle celle-ci a rendu un avis sur les faits relevés à son encontre, soit moins de vingt-et-un jours avant la date fixée, en méconnaissance de l'article R. 3452-21 du code des transports. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la méconnaissance de ce délai minimum de convocation a privé la société requérante d'une garantie alors notamment que, comme le précise l'article R. 3452-21 du code des transports rappelé au point 2, ce délai de convocation a pour objet de lui permettre " de consulter son dossier, de se faire assister ou représenter par toute personne à laquelle elle a régulièrement donné mandat, de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. " Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que le représentant de la société aurait été informé de la date du conseil de discipline par d'autres voies.

5. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et l'ensemble des moyens de la requête, que la société Rubans Bleus Pastouret est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à la SAS Rubans Bleus Pastouret en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1907630 du 29 novembre 2021 et l'arrêté du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur du 14 août 2019 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la SAS Rubans Bleus Pastouret la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rubans Bleus Pastouret et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juillet 2024.

2

N° 22MA00372


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00372
Date de la décision : 01/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Principes généraux du droit - Principes intéressant l'action administrative - Respect des droits de la défense.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Transports.

Transports - Transports routiers.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : TIRET BRUNO

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-01;22ma00372 ?
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