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03/06/2024 | FRANCE | N°19MA05387

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 03 juin 2024, 19MA05387


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Seateam aviation a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché Aéro 09003, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 17 158 000 euros à titre d'indemnité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 1503644 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SAS Seateam aviation.<

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Procédure devant la Cour :



Par un arrêt avant dire droit n° 19MA05387 du 25...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Seateam aviation a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché Aéro 09003, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 17 158 000 euros à titre d'indemnité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503644 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SAS Seateam aviation.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit n° 19MA05387 du 25 avril 2022, la Cour, statuant sur l'appel de la SAS Seateam aviation a annulé le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1503644 du 10 octobre 2019 en tant qu'il rejetait sa demande indemnitaire et, avant de statuer sur le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat, a ordonné une expertise ayant pour objet de fournir tous éléments permettant à la Cour d'évaluer le bénéfice net qu'aurait engendré pour la SAS Seateam aviation l'exécution du lot n° 2 du marché au cours de la période allant du 1er septembre au 31 décembre de l'année d'attribution du marché et de la période allant du 1er janvier au 31 décembre de l'année suivant l'attribution du marché, à raison des quantités minimales de vol prévues par les stipulations du projet de cahier des clauses administratives particulières, puis a réservé tous droits, moyens et conclusions des parties.

Le 26 septembre 2023, l'expert a déposé son rapport qui a été communiqué aux parties pour observations.

Un courrier du 28 septembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par une ordonnance du 3 octobre 2023 de la présidente de la Cour, les frais et honoraires de l'expert ont été liquidés et taxés à la somme de 7 071,18 euros.

Par une ordonnance du 4 octobre 2023 de la présidente de la Cour, l'expert s'est vu accorder une provision d'un même montant à charge de l'Etat.

Par un mémoire, enregistré le 29 octobre 2023, la société Seateam aviation, représentée par Me Ferri, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la juridiction pénale sur la communication du dossier d'instruction ;

2°) de demander au procureur de la République de Marseille la communication du dossier d'instruction ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 158 000 euros, dont 16 998 600 euros au titre de son préjudice économique et 159 400 euros au titre des frais de présentation de l'offre ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a déposé plainte pour délit de favoritisme le 22 mars 2013, et, le 19 juin 2015, le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour atteinte au libre ou à l'égal accès des candidats - délit de favoritisme ; et, l'instruction serait toujours en cours devant le pôle financier du tribunal judiciaire de Marseille ;

- il convient d'évaluer son préjudice au regard des quantités commandées qui résultent du dossier d'instruction ;

- elle devra en outre être indemnisée du préjudice de frais de présentation de l'offre ;

- elle a engagé des frais de recherche et développement pour le marché en cause pour un contrat qui finalement n'a plus rien à voir avec le marché initial et, compte tenu de leur spécificité ces frais n'ont pas pu être amortis ; cet investissement a été un facteur d'amoindrissement des fonds en valeur propre et la perte du marché a généré une perte de financement importante pour elle et l'a privée d'un développement à l'international.

Le ministre des armées n'a pas produit de mémoire en défense après le dépôt du rapport d'expertise.

Par ordonnance du 9 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Le 22 avril 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, selon lequel :

- il n'appartient pas à la juridiction administrative d'ordonner, ainsi que la conclusion en est formulée, " qu'il soit demandé au procureur de la République de Marseille la communication du dossier d'instruction [...] n°JICABJIA 15000007 ", compte tenu de l'indépendance des deux ordres de juridiction.

Le 25 avril 2024, la société Seateam aviation a produit des observations en réponse à ce moyen d'ordre public communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;

- le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l'article 4 du code des marchés publics et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence n° 09-255218 publié le 3 décembre 2009 au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le ministre de la défense a lancé la procédure de passation du marché Aéro 09003, ayant pour objet la fourniture d'heures de vol d'aéronef pour assurer des essais de matériel et l'entraînement des forces de la Marine nationale. Ce marché public à bons de commande, passé selon la procédure négociée prévue par le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004, était divisé en cinq lots. La SAS Seateam aviation a déposé une offre pour les lots n° 1 et 2. Ses offres ont été rejetées par décision en date du 19 août 2010 et le marché a été attribué à la société Apache Aviation. La SAS Seateam aviation a relevé appel du jugement du 10 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces contrats et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un arrêt avant dire droit du 25 avril 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la SAS Seateam aviation, annulé le jugement n° 1503644 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il rejette sa demande indemnitaire et, avant de statuer sur le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat, a ordonné qu'il soit procédé à une expertise économique et comptable avec pour mission de fournir tous éléments permettant à la Cour d'évaluer le bénéfice net qu'aurait engendré pour la SAS Seateam aviation l'exécution du lot n° 2 du marché au cours de la période allant du 1er septembre au 31 décembre de l'année d'attribution du marché et de la période allant du 1er janvier au 31 décembre de l'année suivant l'attribution. L'expert a déposé son rapport le 25 septembre 2023, qui a été communiqué aux parties pour observations. Un pourvoi en cassation a été enregistré devant le Conseil d'Etat par la société Seateam aviation sous le n° 465308 mais n'a été admis qu'en tant que l'arrêt s'est prononcé sur les conclusions tendant à contester la validité du contrat et à en demander l'annulation, et a d'ailleurs finalement été rejeté par un arrêt du 19 juillet 2023.

Sur les conclusions tendant à ordonner la communication du dossier d'instruction en cours devant le juge pénal :

2. Il n'appartient pas à la juridiction administrative d'ordonner, ainsi que la conclusion en est formulée, " qu'il soit demandé au Procureur de la République de Marseille la communication du dossier d'instruction [...] n° JICABJIA 15000007 ", compte tenu de l'indépendance des deux ordres de juridiction.

Sur les conclusions tendant au sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'instruction devant le juge pénal :

3. Il appartient en principe au juge administratif de statuer sur les conclusions indemnitaires dont il est saisi sans attendre l'issue d'une procédure pénale en cours concernant les mêmes faits. Cependant, il peut surseoir à statuer si une telle mesure est utile à la qualité de l'instruction ou à la bonne administration de la justice.

4. Si la société requérante soutient qu'elle a déposé plainte pour délit de favoritisme le 22 mars 2013, que, le 19 juin 2015, le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour atteinte au libre ou à l'égal accès des candidats - délit de favoritisme et que l'instruction serait toujours en cours devant le pôle financier du tribunal judiciaire de Marseille, il ne résulte pas de l'instruction que, pour déterminer le quantum du préjudice subi par la société Seateam aviation, qui a été irrégulièrement évincée du lot n° 2 du marché Aéro 09003, le prononcé d'un sursis à statuer, dans l'attente de la décision du juge pénal, serait utile à l'instruction ou à la bonne administration de la justice.

Sur le préjudice tiré de la perte de gain :

5. Le manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. Ce manque à gagner ne peut ainsi qu'être reconstitué à partir du chiffre d'affaires non réalisé duquel sont soustraites les seules charges variables économisées sans tenir compte des coûts fixes à moins qu'il ne résulte de l'instruction qu'il s'agit de coûts fixes supplémentaires générés par l'obtention du marché.

6. En premier lieu, ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt de la Cour du 25 avril 2022, s'agissant du lot n°2, la SAS Seateam Aviation avait des chances sérieuses de remporter le marché. Si l'entreprise irrégulièrement évincée peut prétendre à être indemnisée de la perte du bénéfice net dont elle a été privée, il lui appartient d'établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d'un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en ce qu'il porte sur ce minimum garanti. Par suite, la société Seateam aviation n'est pas fondée à soutenir que son préjudice aurait dû être évalué en tenant compte des quantités effectivement commandées lors de l'exécution du marché par le titulaire du contrat. Ainsi qu'il a été dit au point 24 de l'arrêt avant dire droit, il résulte de l'instruction que le contrat en litige était un marché à bons de commande dont les documents contractuels pour le lot n° 2 prévoyaient, aux termes de l'article 2.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), des quantités comprises entre un minimum annuel de soixante heures de vol et un maximum annuel de deux cents heures de vol. Le manque à gagner dont a été privée la SAS Seateam aviation, a un caractère certain pour la quantité minimale prévue par les stipulations du CCAP versé à l'appui du règlement de consultation. C'est donc à bon droit que l'expert, sur la base de vingt heures de vol pour la période du 1er septembre 2010 au 21 décembre 2010, puis de soixante heures de vol pour l'année 2011, a estimé que le chiffres d'affaires manqué pouvait être reconstitué respectivement à 50 000 euros hors taxes et 178 849,40 euros hors taxes.

7. En deuxième lieu, si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. La société requérante dont le manque à gagner est indemnisé n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle devrait être indemnisée des frais de présentation de son offre qui sont inclus dans ce manque à gagner et n'ont donc pas à faire l'objet d'une indemnisation spécifique, sauf stipulation contraire du contrat ainsi qu'il a été dit au point 18 de l'arrêt avant dire droit.

8. En troisième lieu, comme il a été dit aux points 18 et 19 de l'arrêt avant dire droit, d'une part, la SAS Seateam aviation ne justifie pas de la réalité des frais qu'elle allègue concernant le préjudice résultant de coûts directs et indirects et de coûts de recherche et développement, pour un montant global de 201 400 euros et, d'autre part, si elle soutient qu'elle a été privée d'une trésorerie et d'un développement à l'international, elle n'apporte aucune précision sur ces points et n'établit pas la réalité de ces préjudices. Par suite, ses demandes sur ces deux points doivent être rejetées.

9. En quatrième et dernier lieu, il résulte du rapport d'expertise, qui n'est pas sérieusement contesté par la société Seateam aviation, que le manque à gagner pour la période du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2010 peut être évalué à la somme de 20 969 euros et pour l'année 2011 à 77 782 euros, soit un montant global de 98 751 euros.

10. Il résulte de ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à la société Seateam aviation la somme totale de 98 751 euros au titre du gain manqué correspondant au lot n° 2 dont elle a été irrégulièrement évincée.

Sur les dépens :

11. Comme le prévoit l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 7 071,18 euros, par ordonnance de la présidente de la Cour du 3 octobre 2023.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Seateam aviation et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions de l'Etat formées sur le même fondement à l'encontre de la société Seateam aviation qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Seateam aviation la somme totale de 98 751 euros.

Article 2 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 071,18 euros, sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Seateam aviation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Seateam aviation est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de l'Etat formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Seateam aviation et au ministre des armées.

Copie en sera transmise à la société Apache Aviation et à Mme A... B..., expert.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2024.

N° 19MA0538702


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05387
Date de la décision : 03/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés.

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés - Mode de passation des contrats - Marché négocié.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : AARPI FERRI BRUNET

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-03;19ma05387 ?
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