Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse après arrêt avant dire-droit :
Par arrêts n° 19MA05469 et 19MA05470 du 21 octobre 2022, la Cour a sursis à statuer sur la requête de l'association Transparence des canaux de la narbonnaise (ci-après TCNA) et autres et de l'association Collectif pour l'environnement des riverains élisyques à Narbonne (ci-après COLERE) et autres jusqu'à ce que le préfet de l'Aude ait procédé, jusqu'à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la notification desdits arrêts, à la transmission d'un arrêté régularisant les vices de l'arrêté du 8 novembre 2017 actualisant les prescriptions techniques applicables aux installations de purification de concentrés uranifères et de fabrication de tétrafluorure d'uranium exploitées par la société Orano Chimie Enrichissement sur le territoire de la commune de Narbonne et autorisant l'exploitation d'une unité complémentaire de traitement des nitrates, tirés d'une part, de l'absence d'autonomie réelle de l'autorité environnementale qui avait émis son avis sur le projet, et d'autre part, de l'insuffisance de l'étude d'impact concernant, en premier lieu, le stockage, le transport et le traitement des déchets de très faible activité et, en second lieu, l'état de pollution des sols.
Par lettres en date du 6 octobre 2023, le préfet de l'Aude a informé la Cour de ce qu'il avait édicté, le 3 octobre 2023, un arrêté de régularisation de l'arrêté du 8 novembre 2017 et transmis à la Cour, le 23 octobre 2023, les pièces demandées par mesure d'instruction.
I. Par un mémoire enregistré le 12 janvier 2024, sous le n° 19MA05469, l'association Transparence des canaux de la narbonnaise, Mme AL... I..., M. AA... AF..., M. E... AK..., M. P... AC..., M. X... D..., Mme W... B..., Mme L... G..., Mme J... AB..., M. O... AG..., M. C... AK..., Mme R... A..., M. V... A..., M. AI... H..., Mme F... S... et M. M... S..., représentés par Me Ambroselli, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801078 en date du 15 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur requête dirigée contre l'arrêté précité du préfet de l'Aude du 8 novembre 2017, ensemble ledit arrêté ;
2°) d'annuler l'arrêté complémentaire du préfet de l'Aude du 3 octobre 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Orano Chimie Enrichissement le paiement de la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les études d'impact réalisées postérieurement à l'arrêt de la Cour sur l'état de pollution des sols et sur le stockage, le transport et le traitement des déchets de très faible activité sont, à plusieurs égards, insuffisantes ;
- l'étude ne comporte pas de justification actualisée de la mise en œuvre du procédé THOR ; la prescription complémentaire édictée à l'article 1er de l'arrêté complémentaire prévoit une phase d'essais avant mise en service de l'installation alors que l'inspection des installations classées avait préconisé un essai avant construction de celle-ci.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2024, la société Orano Chimie Enrichissement, représentée par Me Boivin, doit être regardée comme demandant à la Cour :
- à titre principal, de rejeter la requête de l'association transparence des canaux de la Narbonnaise et autres ;
- à titre subsidiaire, de faire usage des pouvoirs résultant des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;
- à titre infiniment subsidiaire, de faire usage de ses pouvoirs de juge de plein contentieux en autorisant elle-même, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, de prescriptions complémentaires qu'elle fixerait, la poursuite de l'exploitation dans l'attente de la délivrance d'une nouvelle autorisation ;
- de mettre à la charge des requérants le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la Cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants sont infondés.
II. Par un mémoire enregistré le 12 janvier 2024, sous le n° 19MA05470, l'association Collectif pour l'environnement des riverains élisyques à Narbonne, l'association de défense et protection des basses plaines de l'Aude (RUBRESUS), Mme et M. Z... et Serge Roque, Mme et M. AD... et Philippe Lapeyre, Mme et M. Q... et Pascal Serre, Mme et M. U... et Thierry Quintilla, Mme et M. AE... et Carlos Monteiro, Mme AJ... N... et Mme AH... K..., représentés par Me Maître, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801132 en date du 15 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur requête dirigée contre l'arrêté précité du préfet de l'Aude du 8 novembre 2017, ensemble ledit arrêté ;
2°) d'annuler l'arrêté complémentaire du préfet de l'Aude du 3 octobre 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les études d'impact réalisées postérieurement à l'arrêt de la Cour sur l'état de pollution des sols et sur le stockage, le transport et le traitement des déchets de très faible activité sont, à plusieurs égards, insuffisantes ;
- l'étude d'impact est également insuffisante s'agissant de la justification du procédé de traitement des nitrates, de l'analyse des effets sur la santé humaine et l'environnement, des effets sur les transports, sur l'atteinte aux paysages, sur l'impact des eaux pluviales ruisselant sur la zone de travaux en phase chantier et sur les conditions d'entreposage des concentrés uranifères qui sont actuellement sur l'emprise du futur projet ;
- le public n'a pas été correctement informé préalablement à la première enquête publique ;
- l'arrêté complémentaire est insuffisamment motivé ;
- la prescription posée par l'article 1er de l'arrêté complémentaire ne fixe pas la durée de la période d'essais ;
- le projet est trop consommateur d'eau et d'énergie et va engendrer l'émission de beaucoup de gaz à effet de serre.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2024, la société Orano Chimie Enrichissement, représentée par Me Boivin, demande à la Cour :
- à titre principal, de rejeter la requête de l'association COLERE et autres ;
- à titre subsidiaire, de faire usage des pouvoirs résultant des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;
- à titre infiniment subsidiaire, de faire usage de ses pouvoirs de juge de plein contentieux en autorisant elle-même, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, de prescriptions complémentaires qu'elle fixerait, la poursuite de l'exploitation dans l'attente de la délivrance d'une nouvelle autorisation ;
- de mettre à la charge des requérants le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la Cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants sont infondés.
Un mémoire, présenté pour les requérants représentés par Me Maître, et enregistré le 21 février 2024, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Ambroselli pour l'association TCNA et autres, de Me Maître pour l'association COLERE et autres et de Me Souchon pour la société Orano Chimie Enrichissement.
Considérant ce qui suit :
1. La société Areva NC, devenue la société Orano Cycle, puis Orano Chimie Enrichissement exploite, dans le cadre de ses activités de fabrication de combustibles nucléaires, une usine de conversion de l'uranium au lieu-dit " Y... " sur le territoire de la commune de Narbonne. L'usine réceptionne des concentrés miniers d'uranium et met en œuvre la première étape de la conversion de ces concentrés uranifères en procédant à leur purification à un très haut degré puis à leur conversion en tétrafluorure d'uranium. Les activités exploitées sur le site de Y... relèvent, d'une part, de la législation sur les installations classées, l'établissement étant classé Seveso seuil haut pour la zone " usine ", et, d'autre part, de la réglementation des installations nucléaires de base, s'agissant de la partie du site constituée des anciens bassins de décantation B1 et B2. La société Areva a déposé, le 16 décembre 2015, une demande d'autorisation pour la création, sur le site de Y..., d'une installation dénommée TDN (Traitement Des Nitrates) ayant pour objectif de traiter les effluents accumulés dans les lagunes d'évaporation afin de résorber le passif d'environ 350 000 m3 ainsi que les effluents qui continueront d'être produits par les installations de production via l'étape d'évaporation dans les lagunes. Le principe de traitement consiste en une décomposition chimique et thermique des effluents nitratés de façon à transformer les nitrates en azote moléculaire, d'une part, et d'autre part à piéger les substances indésirables au sein d'une matrice minérale solide évacuée vers une filière adaptée pour y être traités. Le préfet de l'Aude a, par arrêté du 8 novembre 2017, autorisé la société Areva à poursuivre l'exploitation des installations de purification de concentrés uranifères et de fabrication de tétrafluorure d'uranium et à créer une unité complémentaire de traitement des nitrates dénommée TDN au sein de son usine. L'association TCNA et autres, d'une part, et l'association COLERE et autres, d'autre part, ont relevé appel des jugements n° 1801078 et 1801132 du 15 octobre 2019 par lesquels le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de l'arrêté précité du 8 novembre 2017. Par deux arrêts en date du 21 octobre 2022, la Cour a sursis à statuer sur la requête de l'association TCNA et autres et de l'association COLERE et autres jusqu'à ce que le préfet de l'Aude ait procédé, jusqu'à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la notification dudit arrêt, à la transmission d'un arrêté régularisant les vices de l'arrêté du 8 novembre 2017, tirés d'une part, de l'absence d'autonomie réelle de l'autorité environnementale qui avait émis son avis sur le projet, et d'autre part, de l'insuffisance de l'étude d'impact concernant, en premier lieu, le stockage, le transport et le traitement des déchets de très faible activité et, en second lieu, l'état de pollution des sols. Par une lettre du 6 décembre 2022, le préfet de l'Aude a demandé à la société Orano Chimie Enrichissement de compléter l'étude d'impact conformément aux prescriptions des arrêts précités. L'exploitant a déposé une étude complémentaire le 1er février 2023. La mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) Occitanie a été saisie le 8 février 2023 et a émis un avis le 6 avril 2023. Par arrêté du 11 mai 2023, a été prescrite l'ouverture d'une enquête publique, laquelle s'est déroulée du 5 juin 2023 au 19 juin 2023. Le commissaire enquêteur a rendu son rapport le 27 juillet 2023. Enfin, le préfet de l'Aude a transmis à la Cour un arrêté complémentaire du 3 octobre 2023 dont l'annulation est également demandée par les requérants.
2. Les requêtes enregistrées sous les n° 19MA05469 et 19MA05470 sont dirigées contre les mêmes arrêtés et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par suite, de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les moyens inopérants :
3. A compter de la décision par laquelle le juge administratif sursoit à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour régulariser une autorisation environnementale, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. A ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de la mesure de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'elle n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent, en revanche, soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
4. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'étude d'impact serait insuffisante, sauf en tant qu'il est afférent aux insuffisances retenues par la Cour dans son arrêt avant dire-droit tenant, d'une part, à l'état de pollution des sols et au stockage, transport et traitement des déchets de très faible activité, le moyen tiré de l'irrégularité de l'enquête publique qui s'est déroulée avant que ne soit édicté l'arrêté initial du 8 novembre 2017, de la consommation importante en eau, électricité et gaz que va susciter la mise en œuvre du projet, sur lesquels la Cour a déjà répondu, sont inopérants. Il en va de même du moyen tiré de ce que le projet va être à l'origine d'une émission importante de gaz à effet de serre dès lors que celui-ci n'est pas fondé sur des éléments révélés dans le cadre de la procédure de régularisation.
Sur les moyens opérants :
5. L'arrêté complémentaire du 3 octobre 2023, qui comporte, de manière suffisamment circonstanciée, les circonstances de droit et de fait sur lesquelles il se fonde n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation.
En ce qui concerne l'actualisation de l'étude d'impact au regard du procédé THOR et la prescription posée par l'article 1er de l'arrêté complémentaire du 3 octobre 2023 :
6. Les requérants soutiennent que dès lors qu'il est apparu que la méthode THOR choisie pour le projet ne présente pas de garantie de fiabilité, celle-ci ayant échoué à être mise en place dans des conditions satisfaisantes au sein des usines de Erwin ou d'Idaho aux Etats-Unis, la société Orano Chimie Enrichissement aurait dû actualiser son étude d'impact au regard de ces évènements. Il résulte cependant de l'instruction que le choix de cette méthode a été validé après la réalisation de nombreuses études techniques poussées dont les résultats sont retracés dans une note du 7 décembre 2016 qui a analysé les différents procédés envisageables pour le traitement des nitrates ainsi que leurs avantages et inconvénients. Par ailleurs, le professeur T..., mandaté par le préfet de l'Aude le 24 mai 2017 aux fins de réaliser une étude comparative des trois procédés les plus prometteurs, à savoir l'extraction par solvant, la cimentation directe et le steam reforming ou méthode THOR, a conclu que ce procédé, qui peut être qualifié de " robuste et fiable " présente, en dépit de la forte consommation d'énergie qu'il requiert, de nombreux avantages tels que la destruction des nitrates et la production d'éléments constitutifs d'un ciment en une seule étape, la réduction des volumes à traiter d'un facteur 2,5, le blocage d'éléments radioactifs dans une structure minérale acceptable par l'ANDRA (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) en tant que déchet de très faible activité (TFA), l'absence de production d'effluents aqueux et une émission de gaz à effet de serre correcte. S'il est constant que, postérieurement à ces études et expertise, les entreprises américaines utilisant ce procédé ont rencontré des difficultés dans le cadre de la mise en service de leurs installations qui ont donné lieu à la constitution, à Atlanta, d'un groupe de travail entre le bailleur du procédé, la société Orano Chimie Enrichissement et les exploitants américains, lequel a eu pour objectif de trouver des solutions permettant d'améliorer son efficacité, il ne résulte pas de l'instruction que ces adaptations seraient de nature à modifier la nature et les caractéristiques essentielles du procédé ainsi que les émissions qui en résultent et tels qu'ils ont été décrits dans l'étude d'impact préalable. La circonstance que l'étude d'impact réalisée postérieurement à l'arrêt avant dire droit de la Cour n'ait pas de nouveau abordé la question de la fiabilité du procédé THOR n'a donc pas été de nature à nuire à la bonne information du public. Par ailleurs, si le commissaire enquêteur désigné après l'arrêt avant dire-droit de la Cour a émis un avis favorable avec une réserve tendant à ce que soit mandatée une commission d'expertise ou un expert indépendant pour donner un avis sur la fiabilité du procédé THOR, le préfet de l'Aude a tenu compte de ces éléments en édictant, par l'article 1er de son arrêté complémentaire, une prescription aux termes de laquelle devra être menée, préalablement à la mise en service de l'installation de traitement des nitrates, une phase d'essais des installations et équipements associés au procédé aux fins de vérifier le respect de la performance du traitement THOR au regard des hypothèses établies dans l'étude d'impact. Cette prescription, bien qu'elle ne trouve à s'appliquer qu'après construction du bâtiment et avant mise en service de l'installation en dépit de la recommandation émise par l'inspection des installations classées dans son avis du 23 août 2023, alors, au demeurant qu'il résulte de l'instruction que des essais à l'échelle pilote ont déjà été réalisés, et ne fixe pas la durée de la phase d'essais est suffisante pour s'assurer d'une part, de la fiabilité de la méthode expérimentale mise en œuvre et, d'autre part, du respect par l'exploitant des prospectives résultant de l'étude d'impact.
En ce qui concerne l'étude d'impact au regard du stockage, du transport et du traitement des déchets de très faible activité :
7. La société Orano Chimie Enrichissement a, à la suite des arrêts de la Cour en date du 21 octobre 2022, établi, le 1er février 2023, une nouvelle étude d'impact portant sur l'entreposage, le transport et le traitement des déchets de très faible activité issus du traitement des nitrates. Il résulte de ladite étude qu'après analyse du processus qui sera mis en place ainsi que des déchets qui en seront issus, dont la nature et la quantité sont détaillées, les conditions d'entreposage desdits déchets sous forme de " big bags ", tout d'abord dans une zone de stockage temporaire dans l'attente de leur solidification puis dans une zone de stockage de 800 m² pouvant contenir 1 200 " big bags " ce qui correspond à deux mois de production, dans l'attente de leur transfert vers le CIRES (centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage) géré par l'ANDRA, ont été définies de manière précise.
8. Par ailleurs, un transport par voie routière ayant été privilégié par l'étude d'impact, les conditions de transport routier des déchets ont également été détaillées de manière suffisamment précise. La circonstance que l'étude ait été, il est vrai, très sommaire sur l'alternative d'un transport par voie ferroviaire, qui n'avait alors pas encore fait l'objet d'un convoi test, n'est pas de nature à avoir nui à la bonne information du public.
9. En outre, il résulte de l'instruction et notamment du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs au titre de la période 2022-2026 qu'actuellement, et bien qu'une étude en concertation avec l'ANDRA soit en cours au niveau national pour tenter de trouver des solutions alternatives de stockage local, les déchets de très faible activité ne sont susceptibles d'être pris en charge que par le CIRES, lequel a d'ailleurs accepté, le 3 août 2018, de recevoir les déchets émis par la société Orano sur le site de Y... identifiés et déclarés dans la catégorie des déchets TFA par arrêté ministériel du 23 février 2017 pris en application du décret n° 2017-231 du 23 février 2017 pris pour application de l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement et établissant les prescriptions du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Ces déchets de très faible activité n'étant susceptibles, ainsi qu'il vient d'être dit, d'être pris en charge que par le CIRES, le principe de proximité du traitement des déchets posé par les dispositions de l'article L. 541-1 II 4° du code de l'environnement ne leur est pas applicable. Au regard de l'ensemble des éléments précités, qui ont été nouvellement précisés dans l'étude d'impact remise le 1er février 2023, la circonstance que la société Orano Chimie Enrichissement n'ait pas encore, à ce stade et dans le cadre précis du projet d'installation de l'usine de traitement des nitrates, présenté de solution alternative de stockage local, n'a pas été de nature à nuire à la bonne information du public. Enfin, l'étude précise qu'en cas de saturation de son local d'entreposage du fait d'une éventuelle indisponibilité ou saturation du CIRES, l'exploitant s'engage à arrêter son installation, cet engagement valant prescription. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de la nouvelle étude d'impact réalisée à cet égard par la société Orano Chimie Enrichissement doit être écarté.
En ce qui concerne l'état de pollution des sols :
10. Aux termes de l'article L. 512-18 du code de l'environnement : " L'exploitant d'une installation classée relevant des catégories visées à l'article L. 516-1 est tenu de mettre à jour à chaque changement notable des conditions d'exploitation un état de la pollution des sols sur lesquels est sise l'installation. Cet état est transmis par l'exploitant au préfet, au maire de la commune concernée et, le cas échéant, au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme concerné ainsi qu'au propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation. Le dernier état réalisé est joint à toute promesse unilatérale de vente ou d'achat et à tout contrat réalisant ou constatant la vente des terrains sur lesquels est sise l'installation classée. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 516-1 de ce code : " La mise en activité, tant après l'autorisation initiale qu'après une autorisation de changement d'exploitant, des installations définies par décret en Conseil d'Etat présentant des risques importants de pollution ou d'accident, des carrières et des installations de stockage de déchets est subordonnée à la constitution de garanties financières ". Aux termes de l'article R. 512-4 du même code, alors en vigueur et applicable en l'espèce, dont les dispositions ont au demeurant été reprises en substance à l'article D. 181-15-2 du code de l'environnement entré en vigueur le 1er mars 2017 : " La demande d'autorisation est complétée dans les conditions suivantes : (...) 4° Lorsque le dossier est déposé dans le cadre d'une demande de modification substantielle en application du II de l'article R. 512-33 et si l'installation relève des catégories mentionnées à l'article L. 516-1, la demande comprend l'état de pollution des sols prévu à l'article L. 512-18 ; / Lorsque cet état de pollution des sols met en évidence une pollution présentant des dangers ou inconvénients pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques ou de nature à porter atteinte aux autres intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, l'exploitant propose soit les mesures de nature à éviter, réduire ou compenser cette pollution et le calendrier correspondant qu'il entend mettre en œuvre pour appliquer celles-ci, soit le programme des études nécessaires à la définition de telles mesures (...) ".
11. Par son arrêt n° 19MA05470 du 21 octobre 2022, la Cour a jugé que l'étude d'impact alors réalisée par la société exploitante était insuffisante s'agissant, d'une part, de la mise à jour de l'état de pollution des sols sur l'intégralité de l'emprise du site de Y... et, d'autre part, des mesures d'évitement, de réduction et de compensation de la pollution. La société Orano Chimie Enrichissement a, à la suite dudit arrêt, produit un nouveau document intitulé " Etat de pollution des sols du site de Y... ", référencé TRI-22-046699 et daté du 31 janvier 2023.
12. D'une part, ce document comporte des analyses radiologiques et chimiques des sols de Y..., sur chaque zone de l'emprise du site, en précisant la méthodologie retenue pour apprécier si ces marquages sont susceptibles d'entraîner des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L 511-1 du code de l'environnement, laquelle consiste notamment à actualiser les données collectées après chaque évènement justifiant un contrôle particulier, conformément aux spécifications de la norme NF X 31-620 (Qualité du sol - Prestations de services relatives aux sites et sols pollués). Pour chacune des zones, l'état de pollution des sols expose, d'une part, la qualité radiologique des sols et, d'autre part, leur qualité chimique en les comparant au bruit de fond géochimique local. Les données retracées dans cette étude résultent de prélèvements effectués en 2007 pour les zones A et F, en 2009, 2015 et 2018 pour la zone B, en 2011 pour les zones C et E, et en 2012 pour la zone D. S'il est constant que de nouveaux prélèvements n'ont pas été réalisés récemment, pour l'ensemble des zones du site, il ne résulte pas de l'instruction que les données affichées seraient devenues obsolètes. Si les requérants invoquent à cet égard des évènements indésirables qui se sont produits sur le site en août 2009 et juillet 2016, consistant en une contamination accidentelle des eaux et une fuite sur une cuve de nitrate d'uranyle dans le réseau des eaux pluviales, ainsi que l'explosion d'un fût de matières uranifères recyclables intervenu le 19 septembre 2018, ces incidents ont fait l'objet d'interventions spécifiques de l'exploitant et ne concernent pas directement la qualité de l'état des sols. Dès lors, l'état de pollution des sols produit en 2023 par la société Orano Chimie Enrichissement, porté à la connaissance du public et du préfet de l'Aude, doit être regardé comme suffisamment précis et représentatif de l'état de connaissance actuel de la qualité des sols du site de Y....
13. D'autre part, il ressort de ce nouvel état de pollution des sols que les sols sur le site sont marqués par des concentrations en uranium, fluorures, nitrates et ammonium, supérieures au fond géochimique local, la zone E, englobant les bassins de décantation du secteur entreposage, étant la plus impactée. Les études complémentaires réalisées en 2009 et 2018 au sein de la zone B ont également révélé des dépassements en ce qui concerne les concentrations en uranium, plomb, cuivre, ammonium et hydrocarbures. En outre, l'ensemble du site présente un marquage en uranium et en activité alpha bêta supérieur au fond géochimique local, en particulier s'agissant de la zone C, correspondant à d'anciens dépôts de déchets, et de la zone E. Il ressort du mémoire en réponse à l'avis de la MRAE en date du 6 avril 2023 produit par la société exploitante que ces marquages chimiques et radiologiques ponctuels sont situés dans des zones du site non accessibles au public, et ne sont pas associés à des voies de transfert et d'exposition identifiées. La société expose également les mesures d'évitement et de réduction déjà mises en place, à savoir, en premier lieu, une surveillance par un programme de mesures environnementales en dehors et à proximité du site de Y..., portant notamment sur les eaux de surface et les sédiments, les eaux souterraines, les sols, la flore terrestre, la faune et la flore aquatiques, en deuxième lieu, la mise en place, en 2012, d'un dispositif de confortement environnemental, comprenant un dispositif de paroi souterraine d'imperméabilité avec géomembrane associé à des dispositifs de captage et d'exhaure des eaux souterraines confinées, afin de réduire les risques de transfert de polluants chimiques et radiologiques via les eaux souterraines vers l'aval hydraulique situé à l'Est du site. Par ailleurs, a été mise en place, en 2020, une couverture bitumineuse au niveau des bassins B1 et B2 correspondant à l'INB ECRIN, destinée à entreposer les déchets radioactifs historiques de Y..., afin de limiter les infiltrations par les eaux de surface. Enfin, a été également mis en place un plan de surveillance associé aux différentes voies de transfert liées aux marquages observés dont, notamment, les sols, impliquant des prélèvements ponctuels au droit du site. S'agissant plus précisément de la zone d'implantation du projet TDN, la société précise que les déchets et déblais qui seront générés par les travaux de préparation du sol pour la mise en œuvre du projet TDN seront analysés et gérés en fonction des résultats de ces analyses. Pour les déblais et autres matériaux qui ne pourraient pas être réutilisés sur le site dans le respect de la réglementation applicable, une évacuation en filières adaptées et régulièrement autorisées sera prévue. Dans ces conditions, cet état de pollution des sols dresse, de manière suffisamment détaillée, la liste des mesures prises et envisagées pour éviter, réduire ou compenser cette pollution actuelle et future, conformément aux dispositions de l'article R. 512-4 du code de l'environnement.
14. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance du nouvel état de pollution des sols réalisé par la société Orano Chimie Enrichissement doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation présentées par les requérants doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
16. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par les requérants doivent, dès lors, être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orano Chimie Enrichissement en application des dispositions précitées.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes des associations TCNA et autres et COLERE et autres sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orano Chimie Enrichissement en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Transparence des canaux de la Narbonnaise, première dénommée de la requête n° 19MA05469 et à l'association Collectif pour l'environnement des riverains élisyques à Narbonne, première dénommée de la requête n° 19MA05470, en qualité de représentantes uniques en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à l'association Réseau sortir du nucléaire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Orano Chimie Enrichissement.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2024.
N° 19MA05469, 19MA05470 2
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