La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2024 | FRANCE | N°22MA02206

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 07 mai 2024, 22MA02206


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) La Licorne a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et des cotisations de contribution sur les revenus locatifs auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des majorations correspondantes et, d'autre part, de la retenue à la source qui lui a été

réclamée au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des majorations correspondantes.



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) La Licorne a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et des cotisations de contribution sur les revenus locatifs auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des majorations correspondantes et, d'autre part, de la retenue à la source qui lui a été réclamée au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 2001205 du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 août 2022 et le 29 mars 2024, la SCI La Licorne, représentée par Me Kraus, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 10 juin 2022 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et majorations en litige ;

3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration ne pouvait, sans méconnaître le principe de loyauté, lui adresser des mises en demeure de déposer ses déclarations de résultats au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ;

- elle n'était pas passible de l'impôt sur les sociétés sur le fondement de l'article 206 du code général des impôts ;

- l'administration, en estimant qu'elle exerçait une profession commerciale, a méconnu les énonciations des doctrines administratives référencées BOI-BIC-CHAMP-10-20 § 1 et BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 50 ;

- par voie de conséquence, elle n'est redevable ni de la retenue à la source, ni de la contribution sur les revenus locatifs ;

- la contribution sur les revenus locatifs aurait dû être mise à la charge de son associé, M. A... ;

- l'administration n'était pas fondée à faire application de la retenue à la source, dès lors que M. A... n'était pas résident fiscal des États-Unis, mais du Royaume-Uni ;

- c'est à tort que l'administration a regardé comme des passifs injustifiés les sommes portées au crédit du compte courant d'associé de M. A... à hauteur de 360 247 euros pour l'exercice clos en 2013, et de 477 000 euros pour l'exercice clos en 2014 ;

- les impositions en litige, eu égard à leur montant total, présentent un caractère confiscatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SCI La Licorne ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 31 août 1994, modifiée ;

- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital du 19 juin 2008 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Platillero, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mastrantuono,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- et les observations de Me Kraus, représentant la SCI La Licorne.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI La Licorne, qui est propriétaire d'une villa dénommée " La Licorne ", située à Antibes, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a estimé que la société devait être assujettie à l'impôt sur les sociétés, et a notamment réintégré à ses résultats les loyers perçus à raison de la location de la villa et remis en cause la constatation de dettes dans les écritures en compte courant d'associé. La SCI La Licorne a ainsi été assujettie à des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014, à des cotisations de contribution sur les revenus locatifs et à la retenue à la source au titre des années 2013 et 2014. Elle fait appel du jugement du 10 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale, après avoir adressé à la SCI La Licorne un avis de contrôle sur place, lui a envoyé des mises en demeure de déposer dans le délai de trente jours des déclarations des résultats soumis à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014. En adressant à la société des mises en demeure permettant de régulariser sa situation en déposant des déclarations de résultat, quand bien même les opérations de contrôle n'avaient pas débuté, l'administration fiscale, qui n'était pas tenue de motiver et de justifier au préalable le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, ne saurait être regardée comme ayant manqué de loyauté à son égard.

Sur le bien-fondé de de l'imposition :

En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 206 du code général des impôts, relatif à l'impôt sur les sociétés : " (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (...) ".

4. Une société civile donnant habituellement en location des locaux garnis de meubles doit être regardée comme exerçant une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts et, par suite, est passible de l'impôt sur les sociétés par application du 2 de l'article 206 du même code.

5. Il résulte de l'instruction que la villa dont la société requérante est propriétaire a été louée, en meublé, au titre du mois de juillet 2013, et du mois d'août 2014, en contrepartie de loyers s'élevant respectivement à 80 000 euros et 93 000 euros, et était mise gratuitement à la disposition de son gérant et associé, M. A..., le reste du temps. En outre, un mandat avait été conclu le 24 février 2011 avec la société Cap West International en vue de la location meublée saisonnière de la villa. Dans ces conditions, les locations ainsi consenties, pratiquées de façon répétée au cours de la période vérifiée, ne présentaient pas seulement un caractère occasionnel, sans que la 'société requérante, qui est propriétaire de la villa et qui a perçu les loyers provenant de la location meublée, puisse sérieusement faire valoir que le mandat du 24 février 2011 et les conventions de location meublée saisonnière auraient été signées par M. A... en son nom propre et que ce dernier n'était pas autorisé à sous-louer l'immeuble. Il suit de là que la SCI La Licorne doit être regardée comme s'étant livrée à une exploitation commerciale de la villa " La Licorne " au sens de l'article 34 du code général des impôts, la rendant, par suite, passible de l'impôt sur les sociétés au titre des années vérifiées.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".

7. La SCI La Licorne n'est pas fondée à invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le paragraphe n° 1 de la doctrine administrative référencée BOI-BIC-CHAMP-10-20 dès lors qu'il ne comporte pas, s'agissant des conditions permettant de caractériser l'exercice d'une profession commerciale, une interprétation formelle de la loi fiscale qui soit différente de celle dont le présent arrêt fait application. Il en va de même du paragraphe n° 50 de la doctrine administrative référencée BOI-BIC-CHAMP-40-20.

En ce qui concerne le passif injustifié :

8. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Il appartient au contribuable qui s'en prévaut de justifier le bien-fondé des écritures de passif entrant dans la détermination de l'actif net d'un exercice.

9. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a regardé comme des passifs injustifiés les sommes portées au crédit du compte courant d'associé de M. A... ouvert dans les écritures de la SCI La Licorne à hauteur de 797 222 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et de 481 109,50 euros au titre de l'exercice clos en 2014. Si la société requérante soutient que ces crédits correspondraient, à hauteur des montants respectifs de 360'247 euros et 477 000 euros, à des apports personnels de M. A..., dont les débiteurs lui ont versé directement les sommes comptabilisées, la seule production d'attestations rédigées en 2016, faisant état du versement de sommes en paiement d'œuvres d'art et de commissions versées au titre d'un contrat d'apporteur d'affaires conclu en 2013 et de la copie de ce contrat ne permettent pas, en l'absence de tout autre élément permettant d'établir la concordance entre les écritures en compte courant et le versement des sommes, de démontrer l'existence des dettes alléguées à l'égard de M. A.... Il en va de même de la circonstance, à la supposer même établie, que M. A... aurait déclaré aux États-Unis les revenus correspondants aux commissions perçues à raison de son activité d'apporteur d'affaires. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, c'est à bon droit que le service vérificateur a réintégré dans les résultats de la SCI La Licorne les passifs injustifiés à hauteur des sommes de 360 247 euros pour l'exercice clos en 2013, et de 477 000 euros pour l'exercice clos en 2014.

En ce qui concerne la contribution sur les revenus locatifs :

10. Aux termes de l'article 234 nonies du code général des impôts : " I.-Il est institué une contribution annuelle sur les revenus retirés de la location de locaux situés dans des immeubles achevés depuis quinze ans au moins au 1er janvier de l'année d'imposition, acquittée par les bailleurs mentionnés au I de l'article 234 duodecies (...) ". Aux termes de cet article 234 duodecies : " I.-Lorsque la location est consentie par une personne morale ou un organisme devant souscrire la déclaration prévue au 1 de l'article 223, (...) la contribution prévue à l'article 234 nonies est assise sur les recettes nettes définies à l'article 29 qui ont été perçues au cours de l'exercice (...) ". Aux termes de l'article 223 du même code : " 1. Les personnes morales (...) passibles de l'impôt sur les sociétés sont tenues de souscrire les déclarations prévues pour l'assiette de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les bénéfices industriels et commerciaux (...) ".

11. La SCI La Licorne, ainsi qu'il a été dit précédemment, était passible de l'impôt sur les sociétés au titre des années vérifiées. Par conséquent, alors qu'il n'est pas contesté que la villa qu'elle a donnée en location était achevée depuis plus de quinze ans au 1er janvier 2013, l'administration était fondée à l'assujettir à la contribution sur les revenus locatifs.

En ce qui concerne la retenue à la source :

12. D'une part, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / (...) 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (...) ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; (...) ". Aux termes de l'article 119 bis de ce code : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". D'autre part, l'article 10 de la convention fiscale franco américaine, relatif aux dividendes, stipule : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder : / (...) a) 5 pour cent du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (...) ; / b) 15 pour cent du montant brut des dividendes dans tous les autres cas. / (...) 6. a) Le terme " dividendes " désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident ; (...) ".

13. Il résulte de l'instruction que l'administration a soumis à la retenue à la source au titre des années 2013 et 2014, sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, au taux de 15 % prévu au b) du 2 de l'article 10 de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 modifiée, les montants correspondant aux avantages en nature résultant de la mise à disposition gratuite de la villa, regardés comme des avantages occultes accordés par la SCI La Licorne à M. A..., résident des Etats-Unis, au sens du c de l'article 111 du code général des impôts, et ceux correspondant aux sommes portées au crédit du compte courant ouvert au nom de l'intéressé dans les écritures de la société, regardés comme des revenus distribués au sens du 2° du 1. de l'article 109 du même code. M. A... n'ayant pas son domicile fiscal en France, c'est à bon droit que le service a fait application de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Si la société requérante soutient que M. A... était en réalité résident du Royaume-Uni, la seule production de formulaires de l'administration fiscale américaine relatifs aux revenus de M. A... perçus à l'étranger des années 2013 et 2014 n'est pas suffisante pour démontrer, en l'absence d'attestation fiscale établie par l'administration fiscale britannique, que M. A... aurait eu son domicile fiscal au Royaume-Uni au cours de la période considérée. En tout état de cause, à supposer même que M. A... ait été regardé à tort comme résident américain, cette circonstance serait sans incidence sur le bien-fondé et le montant de la retenue à la source en litige, dès lors que la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, qui ne fait pas davantage obstacle que la convention franco-américaine à l'application de la retenue à la source sur les revenus distribués, limite également le taux de l'imposition à 15 % du montant brut des revenus distribués. Par conséquent, la SCI La Licorne n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait faire application de la retenue à la source.

En ce qui concerne le caractère disproportionné des impositions :

14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que les impositions mises à la charge de la SCI La Licorne ont été établies conformément à la loi fiscale. L'appelante, en se bornant à faire état de l'importance du montant total de ces impositions, n'établit pas qu'elles présenteraient un caractère confiscatoire.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI La Licorne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Par conséquent, ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI La Licorne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière SCI La Licorne et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2024, où siégeaient :

- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Mastrantuono, première conseillère,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2024.

2

N° 22MA02206


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award