Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.
Par un jugement n° 2303653 du 28 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Foulon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer un certificat de résidence algérien, et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai de quinze jours, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) en toute hypothèse de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur l'arrêté dans son ensemble :
- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente ;
- il est entaché d'un défaut de motivation dès lors qu'il ne mentionne pas qu'elle a fait l'objet de violences conjugales ;
Sur le refus de séjour :
- sa situation personnelle n'a pas été examinée ;
- il méconnaît l'article 6 alinéa 5 de l'accord franco-algérien ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît en outre l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- il méconnaît également les stipulations de la convention d'Istanbul du 1er août 2014 visant à protéger les femmes victimes de violences conjugales ;
- elle remplit les conditions de la circulaire Valls ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
Sur la mesure d'éloignement :
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît en outre l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Un courrier du 16 novembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit de mémoire en défense.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 26 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 7 avril 2011 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- et les observations de Me Foulon, pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 12 janvier 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée, le 24 juin 2022, Mme B..., ressortissante algérienne, sur le fondement de sa vie privée et familiale et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme B... relève appel du jugement du 28 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué et du défaut d'examen particulier de la situation personnelle de l'intéressée doivent être écartés par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 2 et 3 de leur jugement, qui n'appellent pas de précision en appel.
3. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué qui vise les textes appliqués et les éléments de fait de la situation de l'intéressée est suffisamment motivé, le préfet n'étant pas tenu de mentionner l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée mais seulement ceux sur lesquels il se fonde.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " ... Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : [...] 5. Au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus... ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Pour contester l'appréciation que le préfet a porté sur le fondement de ces stipulations, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors, d'une part, que celle-ci ne revêt pas un caractère réglementaire et, d'autre part, que les critères de régularisation y figurant ne présentent pas le caractère de lignes directrices susceptibles d'être invoquées mais constituent de simples orientations pour l'exercice, par le préfet, de son pouvoir de régularisation.
6. Mme B..., mariée en Algérie le 13 novembre 2012 à un compatriote, est entrée en France le 13 juillet 2016 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour en cours de validité, accompagnée de son époux, et de leurs deux premiers enfants, nés le 15 mai 2013 et le 27 avril 2015. Le couple a eu une troisième enfant, née le 23 mars 2017 à Aix-en-Provence. Si elle justifie s'être maintenue en France depuis cette date, soit depuis six ans et demi à la date de l'arrêté attaqué, par la production de plusieurs pièces et notamment de cartes d'admission à l'aide médicale d'Etat de 2017 à 2022, et de pièces justifiant du suivi de sa troisième grossesse en France ainsi que de la scolarisation de ses deux ainés, elle ne fait, toutefois, état d'aucune relation personnelle ou familiale sur le territoire français autre que la présence de son mari dont elle est désormais divorcée et qui est lui-même en situation irrégulière ainsi que de leurs trois enfants qui, eu égard à leur âge et, pour les aînés, à la durée de leur scolarité, n'ont pu eux-mêmes nouer des relations suffisamment anciennes, stables et intenses. S'il peut être tenu pour établi qu'à la suite des violences conjugales qu'elle a subies, Mme B... est prise en charge avec ses trois enfants depuis le 12 mars 2020 au sein du centre d'hébergement et de réinsertion sociale de l'association Solidarité femmes 13 à Istres et que le juge des enfants du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence avait instauré par jugement le 19 octobre 2017 une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert au profit des trois enfants du couple jusqu'au 14 mars 2022, elle n'a toutefois fait l'objet d'aucune mesure de protection, le divorce des époux a été prononcé par un jugement du 7 janvier 2022 de la juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Marseille sur le fondement des articles 237 et 238 du code civil pour altération définitive du lien conjugal, et non pour faute de son conjoint, en laissant notamment aux ex-époux la faculté de trouver un accord pour l'organisation du droit de visite du père des enfants, et elle ne fait pas valoir que des suites ont été données aux plaintes qu'elle aurait déposées. Par suite, et alors même qu'elle s'est investie du mieux possible dans l'éducation de ses enfants et qu'elle a participé aux activités proposées par l'association Solidarités femmes 13, qui a établi le 22 juin 2022 un bilan d'accompagnement favorable la concernant, la requérante qui se trouve néanmoins toujours en situation de grande précarité et ne justifie d'aucune insertion sociale significative n'est pas fondée à soutenir que la décision de refus de séjour litigieuse et l'obligation de quitter le territoire français qui s'en infère auraient porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et auraient ainsi méconnu les stipulations précitées du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La requérante n'est pas davantage fondée à soutenir qu'elles seraient entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle.
7. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 10 et 12 de leur jugement, qui n'appellent pas de précision en appel.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 53 de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 7 avril 2011 : " 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que des ordonnances d'injonction ou de protection appropriées soient disponibles pour les victimes de toutes les formes de violence couvertes par le champ d'application de la présente Convention. / 2. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les ordonnances d'injonction ou de protection mentionnées au paragraphe 1 soient : / - disponibles pour une protection immédiate et sans charge financière ou administrative excessive pesant sur la victime ; / - émises pour une période spécifiée, ou jusqu'à modification ou révocation ;/ - le cas échéant, émises ex parte avec effet immédiat ; / - disponibles indépendamment ou cumulativement à d'autres procédures judiciaires ; / - autorisées à être introduites dans les procédures judiciaires subséquentes. / 3. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que la violation des ordonnances d'injonction ou de protection émises conformément au paragraphe 1 fasse l'objet de sanctions pénales, ou d'autres sanctions légales, effectives, proportionnées et dissuasives ".
9. Mme B... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir d'une méconnaissance de ces stipulations, celles-ci ne pouvant, eu égard aux termes dans lesquels elles sont rédigées, être directement invoquées par les ressortissants des Etats signataires.
10. En dernier lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, il résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en vertu duquel " la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale mais qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national et qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre la sauvegarde de l'ordre public qui est un objectif de valeur constitutionnelle et les exigences du droit de mener une vie familiale normale (C. const. n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003). La requérante ne peut donc davantage utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions pour contester la légalité de l'arrêté attaqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions en injonction ainsi que celles tendant au versement d'une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2024, où siégeaient :
- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2024.
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N° 23MA01900