Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme à responsabilité limitée Emma Trans a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020, par lequel le préfet de la région Provence Alpes-Côte d'Azur (PACA) a prononcé, à titre de sanction sur le fondement des dispositions des articles L. 3452-1 à L. 3452-4 du code des transports, le retrait de quatre copies conformes de la licence de transport communautaire pour une durée de trois mois, l'immobilisation de quatre de ses véhicules moteurs de type tracteur pour cette même durée ainsi que la publication des sanctions infligées à son encontre dans la rubrique d'annonces légales de deux journaux régionaux et dans ses locaux pendant toute la durée de l'immobilisation.
Par un jugement n° 2000779 du 20 septembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 novembre 2022 et le 4 décembre 2023, la société Emma Trans, représentée par Me Coste, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 janvier 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en fait et en droit ;
- en ne lui transmettant pas l'avis rendu le 12 novembre 2019 par la commission territoriale des sanctions administratives de Provence-Alpes-Côte d'Azur et en ne la mettant pas à même d'en solliciter la communication, le préfet n'a pas respecté les droits de la défense ;
- le préfet s'est fondé sur des faits matériellement inexacts et n'a pas tenu compte du jugement de relaxe dont elle a fait l'objet ;
- les sanctions qui lui ont été infligées sont disproportionnées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 9 octobre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 4 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Emma Trans, exerçant une activité de transports et de frets routiers, a fait l'objet de deux contrôles en entreprise les 6 décembre 2016 et 22 juin 2018 ainsi que de cinq contrôles sur route entre les 2 avril 2015 et 27 septembre 2018. Lors de ces contrôles, l'administration a relevé six infractions délictuelles, quarante-sept contraventions de 5ème classe et cinquante-deux contraventions de 4ème classe. Par un arrêté du 14 janvier 2020, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, a prononcé à l'encontre de la société Emma Trans le retrait de quatre copies conformes de la licence de transport communautaire pour une durée de trois mois, l'immobilisation de quatre des véhicules moteurs de type tracteur lui appartenant pour cette même durée ainsi que la publication des sanctions infligées dans la rubrique d'annonces légales de deux journaux régionaux et leur affichage dans les locaux de l'entreprise pendant toute la durée de l'immobilisation. La société Emma Trans a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par le jugement du 20 septembre 2022, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société Emma Trans relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le cadre légal et réglementaire du litige :
2. Aux termes de l'article L. 3452-1 du code des transports : " Les copies conformes de la licence de transport intérieur ou de la licence communautaire prévues par l'article L. 3411-1 peuvent être retirées, à titre temporaire ou définitif, en cas de constat d'infraction aux réglementations des transports, du travail, de l'hygiène ou de la sécurité constituant au moins une contravention de la cinquième classe ou d'infractions répétées constituant au moins des contraventions de la troisième classe ". L'article L. 3452-2 du même code dispose que : " Saisie d'un procès-verbal constatant une infraction de nature délictuelle aux réglementations des transports, du travail, de l'hygiène ou de sécurité, commise après au moins une première infraction de même nature, l'autorité administrative peut, indépendamment des sanctions pénales, prononcer l'immobilisation d'un ou plusieurs véhicules ou ensembles routiers à la disposition d'une entreprise de transport routier, ou d'une entreprise de déménagement, pour une durée de trois mois au plus, aux frais et risques de celle-ci. Ces dispositions s'appliquent également aux entreprises dont le transport est accessoire à leur activité. / L'immobilisation est exécutée sous le contrôle de l'autorité administrative compétente de l'Etat dans un lieu désigné par elle ". Aux termes de l'article L. 3452-3 de ce code : " Les sanctions, notamment les mesures de retrait et d'immobilisation prévues par les articles L. 3452-1 et L. 3452-2, ne peuvent être prononcées qu'après avis d'une commission des sanctions administratives placée auprès de l'autorité administrative (...) ". Aux termes de l'article L. 3452-4 du code des transports : " Une publication de la sanction administrative prévue par les articles L. 3452-1 et L. 3452-2 est effectuée dans les locaux de l'entreprise sanctionnée et par voie de presse ".
En ce qui concerne la régularité des sanctions infligées à la société Emma Trans :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 2° Infligent une sanction ; (...) ".
4. La décision en litige mentionne, d'une part, l'ensemble des textes qui fondent les sanctions infligées à la société Emma Trans. D'autre part, elle retrace par procès-verbal l'ensemble des manquements qui lui sont reprochés et des cent cinq infractions dressées. Il ne saurait être reproché au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur de ne pas avoir répondu à chacun des arguments qu'elle a pu présenter notamment devant la commission dont l'avis est requis dans les conditions prévues par les dispositions citées au point 2. Il ne saurait être davantage reproché au préfet de ne pas avoir caractérisé la défaillance généralisée et récurrente de la société dès lors qu'un tel grief n'a pas été retenu à son encontre. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 14 janvier 2020 manque en fait.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article R. 3242-8 du code des transports : " Avant le prononcé d'une sanction de retrait ou d'immobilisation, le représentant légal de l'entreprise est convoqué par le préfet de région devant la commission territoriale des sanctions administratives mentionnée à l'article R. 3452-1. Il est avisé des faits qui lui sont reprochés et de la sanction qu'il encourt. Il peut consulter son dossier, se faire assister ou représenter par toute personne à laquelle il a régulièrement donné mandat, présenter ses observations écrites et, sur sa demande, des observations orales ".
6. Il résulte de l'instruction qu'en vue de la tenue de la réunion de la commission territoriale des sanctions administratives de Provence-Alpes-Côte d'Azur qui a eu lieu le 12 novembre 2019, l'appelante a été convoquée par courrier du 15 octobre 2019 qu'elle a reçu le 17 octobre suivant et qui était accompagné du rapport de présentation établi par l'administration retraçant notamment l'ensemble des procès-verbaux des infractions relevées à son encontre. Dans ces conditions, la société Emma Trans doit être regardée comme ayant été informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre.
7. Si le contrevenant doit être mis à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, contrairement à ce que soutient la société Emma Trans, l'avis rendu par la commission territoriale des sanctions administratives et qui précède la décision prise par le préfet ne figure pas au nombre de ces pièces. Dès lors qu'il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe, pas même du principe général des droits de la défense, ni que cet avis devait être d'office communiqué à la société Emma Trans, ni qu'elle devait être informée de ce qu'elle pouvait en solliciter la communication, le moyen tiré du non-respect des droits de la défense ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des sanctions infligées à la société Emma Trans :
8. En premier lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
9. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 3315-5 du code du transport : " Est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende le fait de se livrer à un transport routier avec une carte de conducteur non conforme ou n'appartenant pas au conducteur l'utilisant, ou sans carte insérée dans le chronotachygraphe du véhicule./ Est puni des mêmes peines le refus de présenter les documents ou les données électroniques signés, de communiquer les renseignements, ou de laisser effectuer les contrôles ou investigations, nécessaires à la vérification du respect des obligations des chapitres Ier à IV du présent titre ou prévues par l'article L. 3315-2 ou par l'article L. 130-6 du code de la route. ". L'article L. 3315-6 du même code dispose que : " Est passible des peines prévues par le présent chapitre et des peines sanctionnant les obligations mentionnées au présent titre ainsi qu'aux titres II et III du livre Ier de la troisième partie du code du travail toute personne qui, chargée à un titre quelconque de la direction ou de l'administration de toute entreprise ou établissement, a, par un acte personnel, contrevenu aux dispositions précitées du présent titre et du code du travail ou commis les faits sanctionnés par les articles L. 3315-2, L. 3315-4, L. 3315-4-1 et L. 3315-5. / Cette personne est passible des mêmes peines si elle a, en tant que commettant, laissé contrevenir à ces dispositions ou commettre ces faits toute personne relevant de son autorité ou de son contrôle, en ne prenant pas les dispositions de nature à en assurer le respect. / Le préposé est passible des mêmes peines lorsque l'infraction résulte de son fait personnel. ".
10. Il résulte des mentions des procès-verbaux de constatations d'infractions aux règles de la circulation routière que la sanction d'immobilisation de quatre véhicules pour une durée de trois mois infligée à l'appelante était fondée sur la commission de six délits, à savoir cinq délits pour transports routiers sans carte de conducteur insérée dans l'appareil de contrôle et un délit pour emploi irrégulier du dispositif destiné au contrôle des conditions de travail. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'alors qu'il lui était reproché d'avoir fait effectuer un transport routier sans carte de conducteur insérée dans le tachygraphe numérique du véhicule, M. A..., gérant de la société Emma Trans, a été relaxé. Toutefois, les motifs de cette relaxe tirés de ce qu'à l'égard de ce dernier, les infractions étaient insuffisamment constituées au motif qu'" aucun élément [des] dossier[s] n'établissant [qu'il] a[vait], en tant que commettant, laisser [les chauffeurs] commettre les faits en ne prenant pas les dispositions de nature à en assurer le respect " ne sauraient s'imposer à l'administration pour lui interdire, sur le fondement des constatations auxquelles elle a procédé dont la matérialité n'est pas infirmée par ces jugements, d'infliger une sanction administrative à la société elle-même. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette sanction serait illégale en ce qu'elle méconnaîtrait la qualification juridique donnée aux faits par les jugements du 22 janvier 2022 par lesquels le tribunal judiciaire d'Avignon a relaxé M. A... et reposerait sur des faits inexacts doit être écarté.
11. En second lieu, pour alléguer du caractère disproportionné de la sanction d'immobilisation des véhicules, la société Emma Trans ne saurait se prévaloir des jugements de relaxe prononcés en faveur de son gérant ni de ce qu'elle n'organiserait pas sciemment des transports contraires à la réglementation sociale. Elle ne saurait davantage imputer la responsabilité des manquements constatés à ses salariés qui, contrairement à elle, ne tirent aucun profit des manquements reprochés notamment celui tenant à l'emploi irrégulier du dispositif destiné au contrôle des conditions de travail. Par suite, le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ne saurait être accueilli.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Emma Trans n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Emma Trans dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Emma Trans est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme à responsabilité limitée Emma Trans et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera transmise au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur
Délibéré après l'audience du 15 avril 2024, où siégeaient :
- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2024.
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No 22MA02842