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04/04/2024 | FRANCE | N°22MA01933

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 04 avril 2024, 22MA01933


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2015 et 2016, ains

i que des majorations correspondantes.



Par un jugement n° 2002142 du 10 mai 2022, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2015 et 2016, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 2002142 du 10 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2022, la SAS A..., représentée par Me Attali-Balensi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 10 mai 2022 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et majorations en litige ;

3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de ce que seul le quantum des sommes versées à la société Sigmalis Consulting au titre des redevances pouvait être discuté ;

- la taxe sur la valeur ajoutée rappelée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, pour un montant de 33 700 euros, a été régularisée au cours du premier trimestre de l'année 2017 ;

- c'est à tort qu'a été remise en cause la déduction de ses résultats des redevances déduites au titre du contrat de concession de marque conclu avec la société Sigmalis Consulting ;

- les redevances versées à la société Sigmalis Consulting devraient être partiellement admises, à hauteur des prestations effectivement réalisées ;

- c'est à tort que l'administration a estimé qu'elle était sous la dépendance de la société Sigmalis Consulting ;

- par voie de conséquence, les rappels de retenue à la source ne sont pas fondés ;

- en faisant application de la retenue à la source sur les revenus réputés distribués, l'administration lui inflige une double sanction ;

- à titre subsidiaire, la retenue à la source n'aurait dû être appliquée que sur les redevances dont la déduction a été remise en cause ;

- l'administration n'était pas fondée à faire application de la majoration pour manquement délibéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce qu'il soit constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la requête à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il fait valoir que :

- le dégrèvement des rappels de retenue à la source assis sur des bases supérieures aux montants des bénéfices désinvestis est prononcé ;

- les moyens soulevés par la SAS A...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention du 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Platillero, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mastrantuono,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS A..., qui exploite des agences de travail temporaire, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 et, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, du 1er janvier 2016 au 31 mars 2017. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a rappelé la taxe sur la valeur ajoutée collectée au cours de l'année 2016 mais non déclarée, remis en cause la déduction des résultats de redevances comptabilisées au titre d'un contrat de concession de licence de marque conclu avec la société de droit espagnol Sigmalis Consulting, et fait application de la retenue à la source sur les sommes versées à cette société. La SAS A... relève appel du jugement du 10 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont ainsi été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a ainsi été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2015 et 2016, et des majorations correspondantes.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 23 décembre 2022, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé le dégrèvement des rappels de retenue à la source en litige au titre des années 2015 et 2016 à concurrence, respectivement, de 45 576 euros et 1 932 euros. Les conclusions de la requête sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur la régularité du jugement :

3. Le tribunal administratif, qui a jugé, aux points 8 et 9 de son jugement, que la SAS A... ne justifiait pas du principe de la déductibilité des redevances comptabilisées au titre du contrat de concession de marque conclu avec la société Sigmalis Consulting, n'était pas tenu d'examiner le moyen tiré de ce que seul le quantum des sommes versées au titre de ces redevances pouvait être discuté. Par conséquent, le tribunal, contrairement à ce que soutient la société requérante, a suffisamment motivé son jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée :

4. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la SAS A... a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 résultent de la taxation de la discordance résultant du rapprochement entre la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux encaissements taxables et la taxe sur la valeur ajoutée déclarée, soit un montant total de 33 700 euros. La SAS A..., qui ne conteste pas les insuffisances de déclaration, soutient qu'elle aurait régularisé cette discordance au cours du premier trimestre de l'année 2017. Toutefois, elle ne produit aucun élément de nature à justifier que la somme de 44 182 euros qu'elle a versée au titre du premier trimestre de l'année 2017 comprendrait la taxe sur la valeur ajoutée non reversée de l'année 2016, alors que l'administration fait d'ailleurs valoir que la dette de taxe sur la valeur ajoutée comptabilisée par la société au 31 mars 2017 portait notamment sur des sommes de 126 739 euros pour le compte " TVA collectée ", et 60 799 euros pour le compte " TVA 19,60 % ". Dans ces conditions, la société n'est en tout état de cause pas fondée à demander la compensation entre les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige et les sommes prétendument régularisées.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés :

5. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

6. Le 20 mai 2013, la SAS A... a signé un contrat de concession de licence de marque d'une durée de dix ans avec la société de droit espagnol Sigmalis Consulting, créée le 26 mars 2013, portant sur l'exploitation exclusive de la marque A..., moyennant le versement d'une redevance mensuelle égale à 9,5 % du chiffre d'affaires, ramenée à 4,7 % par un avenant du 24 octobre 2013. Elle a ainsi comptabilisé en charges des redevances s'élevant respectivement à 320 035 et 362 500 euros au cours des exercices 2015 et 2016, dont la déduction a été remise en cause par l'administration fiscale.

7. Le ministre relève à cet égard que la SAS A..., créée le 8 février 2013, a fait l'acquisition d'un fonds de commerce d'agence de travail temporaire dont elle a commencé immédiatement l'exploitation grâce à la reprise du personnel, en utilisant la dénomination " A... ", avant même le dépôt par la société Sigmalis Consulting, le 29 avril 2013, de cette marque, qui n'avait aucune notoriété antérieure. Il relève également que la société Sigmalis Consulting n'avait aucun salarié au cours de la période considérée, et sous-traitait son activité à une société établie en Tunisie. Enfin, il fait état du contrat conclu par la société A... le 1er mars 2013 avec la société Gidev, qui est son principal associé, portant sur des missions similaires. Ainsi, le ministre se prévaut d'indices sérieux susceptibles de faire douter de la réalité des prestations fournies par la société Sigmalis Consulting. Si la SAS A..., qui ne justifie pas que la société Sigmalis Consulting aurait disposé des moyens de fournir des prestations par la production de factures internet et de contrats de travail conclus postérieurement à la période vérifiée, fait valoir que cette société avait confié les prestations fournies en matière d'aide au développement externe et de stratégie à son sous-traitant tunisien, et que ces prestations ont permis l'accroissement de son chiffre d'affaires, les seuls documents qu'elle produit, à savoir notamment un " compte-rendu d'opération pour Sigmalis Consulting " rédigé par son sous-traitant, un modèle de courriel, des listes d'adresses mails et de prospects, des " tableaux de campagne " et un script de télémarketing établis par ses soins, ainsi qu'une attestation rédigée par une employée du sous-traitant tunisien, ne permettent pas de démontrer la mise en œuvre au cours des années en cause de prestations de publicité et de démarchage de masse, et donc de justifier de la réalité des prestations facturées par la société Sigmalis Consulting. Par suite, et sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'existence de liens de dépendance entre les sociétés A... et Sigmalis Consulting au sens de l'article 57 du code général des impôts, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction des charges comptabilisées par la société A... à raison des redevances dues à la société Sigmalis Consulting au titre de la concession de licence de la marque A.... Pour les mêmes motifs, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les redevances versées à la société Sigmalis Consulting devraient être partiellement admises, à hauteur des prestations effectivement réalisées.

S'agissant de la retenue à la source :

8. D'une part, aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ". Aux termes du 2 de l'article 119 bis de ce code : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". D'autre part, l'article 10 de la convention fiscale franco-espagnole, relatif aux dividendes, stipule : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / a) Les dividendes mentionnés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l'Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes ; / (...) 4. a) Le terme " dividendes " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident ; (...) ".

9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que doit être écarté le moyen tiré de ce que l'administration n'était pas fondée à faire application de la retenue à la source sur les redevances versées à la société Sigmalis Consulting, établie en Espagne, à raison du contrat de concession de licence de marque mentionné au point 6, dont la déduction a été remise en cause.

10. En second lieu, à supposer que la SAS A... soutienne avoir fait l'objet d'une double imposition du fait de l'application de la retenue à la source aux sommes imposées à l'impôt sur les sociétés, les deux rectifications sont relatives à des impositions différentes, à savoir l'impôt sur les sociétés pour les charges indûment déduites et la retenue à la source pour les distributions versées à une société établie hors de France. Le moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne les pénalités :

11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

12. L'administration, en relevant le caractère répété de la déduction des résultats imposables à l'impôt sur les sociétés de la SAS A... de montants importants à raison de redevances comptabilisées au titre du contrat de concession de licence de marque conclu avec la société Sigmalis Consulting et la circonstance que la société requérante ne pouvait ignorer l'absence de contreparties effectives à ces redevances, justifie du bien-fondé de l'application de la majoration pour manquement délibéré prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. En premier lieu, la présente affaire n'a donné lieu à aucun dépens. Par suite, les conclusions présentées par la SAS A... sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

15. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS A... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à la décharge des rappels de retenue à la source mis à la charge de la SAS A... au titre des années 2015 et 2016 à concurrence, respectivement, de 45 576 euros et 1 932 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, où siégeaient :

- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Mastrantuono, première conseillère,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

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N° 22MA01933


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