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02/04/2024 | FRANCE | N°23MA00611

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 02 avril 2024, 23MA00611


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux requêtes distinctes, M. A... B... (père), M. A... B... (fils) et Mme C... B..., d'une part, et la commune de Saint-Etienne-du-Grès, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a décidé d'inscrire divers éléments du domaine du bâtiment dénommé " le Grand Mas " à Saint-Etienne-du-Grès au titre des monuments historiques.



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r deux jugements nos 2006812 et 2010027 du 1er décembre 2022, rectifiés par deux ordonnances du 12 janvi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, M. A... B... (père), M. A... B... (fils) et Mme C... B..., d'une part, et la commune de Saint-Etienne-du-Grès, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a décidé d'inscrire divers éléments du domaine du bâtiment dénommé " le Grand Mas " à Saint-Etienne-du-Grès au titre des monuments historiques.

Par deux jugements nos 2006812 et 2010027 du 1er décembre 2022, rectifiés par deux ordonnances du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte inscription des parcelles agricoles du domaine historique du Grand Mas comprenant l'oliveraie située sur les parcelles nos 741, 2347 et 2348.

Procédure devant la Cour :

I. Par un recours, enregistré le 13 mars 2023 sous le n° 23MA00611, et deux mémoires enregistrés le 12 octobre 2023 et le 16 novembre 2023, la ministre de la culture demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2006812 du 1er décembre 2022 en tant qu'il annule partiellement l'arrêté préfectoral du 8 juillet 2020 ;

2°) de rejeter la demande à laquelle ce jugement fait droit.

Elle soutient que :

- son recours est recevable ;

- il y a lieu de reconnaître l'intérêt patrimonial du domaine dans son ensemble.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 19 septembre 2023 et le 3 novembre 2023, M. A... B... (père), M. A... B... (fils) et Mme C... B..., tous trois représentés par Me Ragot, concluent au rejet du recours et à ce qu'une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens présentés à l'appui du recours sont infondés.

Par une lettre en date du 13 octobre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 28 février 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 1er novembre 2023.

Par ordonnance du 18 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Un mémoire, présenté pour MM. et Mme B..., a été enregistré le 15 mars 2024, après la clôture de l'instruction.

II. Par un recours, enregistré le 13 mars 2023 sous le n° 23MA00612, et un mémoire enregistré le 5 octobre 2023, la ministre de la culture demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2010027 du 1er décembre 2022 en tant qu'il annule partiellement l'arrêté préfectoral du 8 juillet 2020 ;

2°) de rejeter la demande à laquelle ce jugement fait droit.

Elle soutient que :

- son recours est recevable ;

- il y a lieu de reconnaître l'intérêt patrimonial du domaine dans son ensemble.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 septembre 2023 et le 10 octobre 2023, la commune de Saint-Etienne-du-Grès, représentée par la SCP Berenger, Blanc, Burtez-Doucède et Associés, conclut au rejet du recours et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens présentés à l'appui du recours sont infondés.

Par une lettre en date du 18 juillet 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 28 février 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2023.

Par ordonnance du 18 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Par une décision du 28 février 2024, le président de la formation de jugement a décidé d'une visite des lieux le 8 mars 2024 à 14 heures.

Vu le procès-verbal de la visite des lieux et les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code du patrimoine ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de M. et Mme B... et celles de Me Reboul pour la commune de Saint-Etienne-du-Grès.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 8 juillet 2020, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a décidé d'inscrire, au titre des monuments historiques, certains éléments du domaine historique du Grand Mas, situé sur le territoire de la commune de Saint-Etienne-du-Grès. Respectivement propriétaire des parcelles cadastrées 741 et 2347 et nus-propriétaires des parcelles cadastrées 1286 et 2348, M. A... B... (père) et ses enfants M. A... B... (fils) et Mme C... B..., de même que, par une requête distincte, la commune de Saint-Etienne-du-Grès, ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir. Par les jugements attaqués, dont la ministre relève appel, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 8 juillet 2020 en tant qu'il porte inscription au titre des monuments historiques des " parcelles agricoles du domaine historique du Grand Mas comprenant l'oliveraie " situées sur les parcelles n° 741, 2347 et n° 2348, motif pris de l'inexacte application de l'article L. 621-25 du code du patrimoine. Les jugements n'ont en revanche pas été contestés en tant qu'ils confirment l'inscription, au titre des monuments historiques, des autres parcelles nos 208, 2010, 1285 et 1286.

Sur la jonction :

2. Les deux requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre deux jugements prononçant chacun l'annulation partielle d'un même arrêté, et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé des jugements :

En ce qui concerne le cadre juridique :

3. Aux termes de l'article L. 621-25 du code du patrimoine : " Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l'autorité administrative, au titre des monuments historiques. / Peut être également inscrit dans les mêmes conditions tout immeuble nu ou bâti situé dans le champ de visibilité d'un immeuble déjà classé ou inscrit au titre des monuments historiques ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative peut procéder, sous l'entier contrôle du juge, à l'inscription au titre des monuments historiques d'immeubles qui présentent un intérêt d'art ou d'histoire suffisant pour en justifier la préservation. L'inscription peut également porter sur certaines parties de l'immeuble qui ne présentent pas, par elles-mêmes, cet intérêt à la condition, compte tenu des limitations ainsi apportées à l'exercice du droit de propriété, que cette mesure apparaisse nécessaire afin d'assurer la cohérence du dispositif de protection de l'immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques.

5. Dans le cas où ces immeubles, tout en formant avec un monument classé ou inscrit un ensemble cohérent, sont simplement susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur, sans être nécessaires à la cohérence du dispositif de protection, ils relèvent en revanche de la seule protection au titre des abords prévue par l'article L. 621-30 du code du patrimoine.

En ce qui concerne l'objet du présent recours :

6. Ainsi qu'il a été dit au point 1, les jugements n'ont pas été contestés en tant qu'ils confirment l'inscription, au titre des monuments historiques, d'éléments des parcelles nos 208, 2010, 1285 et 1286. N'est dès lors plus en litige l'inscription de la cour intérieure du Grand Mas et des éléments qui l'environnent, qu'il s'agisse du chemin au Nord, du jardin à l'Est, du jardin d'agrément, du bois d'agrément, des façades et toitures de l'ancienne maison du gardien et du jardin attenant, ainsi que celle des façades et des toitures de l'ancien chai dénommé " cellier ". N'est plus en litige, dans le cadre des présents recours, que l'inscription des " parcelles agricoles du domaine historique du Grand Mas comprenant l'oliveraie " situées sur les parcelles nos 741, 2347 et 2348.

En ce qui concerne l'intérêt d'art ou d'histoire des parcelles en litige :

7. Il ressort de la visite des lieux organisée le 8 mars 2024 en application de l'article R. 622-1 du code de justice administrative que les trois parcelles demeurant en litige constituent un espace non bâti, qui est partiellement planté, principalement sur la parcelle n° 2347, d'oliviers, la parcelle n° 741 étant quant à elle en friche depuis une époque immémoriale. Il en ressort également que ces oliviers ont été plantés à une époque récente, vraisemblablement à la fin des années 1950 à la suite de l'épisode de gel de février 1956 qui a causé la destruction de la vigne exploitée jusqu'alors. Il en ressort, enfin, que le dispositif d'irrigation présent sur ces parcelles se limite à quelques tranchées, dites " filioles ", faites à même la terre, sans aucun élément de maçonnerie.

8. Ainsi que l'admettent les services de l'Etat, ces éléments ne présentent, de manière intrinsèque, aucune forme d'intérêt d'art ou d'histoire susceptible de justifier, indépendamment de leur lien avec le Grand Mas, leur inscription au titre des monuments historiques.

En ce qui concerne la nécessité de leur inscription pour assurer la cohérence du dispositif de protection des éléments inscrits :

9. De fait, il ressort des pièces du dossier que l'inscription des parcelles en litige a été inspirée par la volonté d'assurer la cohérence du dispositif de protection du Grand Mas, compte tenu de la vocation initialement agricole de ce dernier. Il ressort à ce titre de l'avis du Conservateur des monuments historiques que " un mas étant avant tout un domaine agricole, il est souhaitable de protéger les terres (potager, oliveraie) et bâtiments (chai) qui subsistent autour de lui (...) ". De même, il ressort de l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, qui a statué au vu du dossier présenté par la direction régionale des affaires culturelles et sans procéder à une visite des lieux, que l'inscription de cet espace agricole était justifiée par le fait qu'" un mas étant un ensemble indissociable liant une demeure à un domaine agricole, la protection des parcelles conservant la cohérence de cet ensemble semble justifiée ". L'architecte des Bâtiments de France alors en fonction, quant à lui, a émis un avis " très favorable à l'extension de la protection ", y compris à l'oliveraie, en estimant qu'il était " indispensable de préserver le lien étroit entre le mas, le domaine agricole, le jardin et le réseau hydraulique ". L'inscription de cet espace agricole vise ainsi, dans l'esprit de ses instigateurs, à faire de celui-ci un témoin de la vocation initialement agricole du Grand Mas.

10. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que, si les parcelles en cause appartenaient au domaine agricole initial du Grand Mas, elles n'en constituaient qu'une infime fraction, ce domaine s'étendant au début du XVIIe siècle sur plus de six hectares, et atteignant même, au début du XIXe siècle, trente-quatre hectares, recouvrant l'emprise actuelle de l'agglomération de Saint-Etienne-du-Grès, qui a été bâtie pendant l'époque contemporaine, pour l'essentiel, sur des parcelles détachées de ce domaine. En outre, aucun document historique ne permet d'attester l'existence d'une culture traditionnelle de l'olivier sur les parcelles en litige avant le XIXe siècle, celle-ci pouvant tout au plus être supposée compte tenu de la vocation principalement oléicole du domaine, avant que la vigne n'y fût plantée de manière dominante dans la seconde moitié du XIXe siècle. A ce titre, ni les références au Grand Mas faites par l'écrivain provençal Frédéric Mistral, ni la maquette du Grand Mas réalisée par Jean Demonte en 1900 et figurant actuellement dans la collection du Muséon Arlaten d'Arles, ne comportent d'allusion à son domaine agricole attenant au bâtiment.

11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et de la visite des lieux que la continuité physique entre le Grand Mas et cet espace agricole a été rompue, à partir de la fin du XIXe siècle, par l'aménagement d'un écrin végétal environnant le bâtiment du Grand Mas. En effet, au sud du Grand Mas se trouve un jardin d'agrément créé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et entouré par une ceinture d'arbres. Au nord du Grand Mas se trouve un bois d'agrément vraisemblablement créé à la fin du XIXe siècle. A l'est du Grand Mas, enfin, se trouve une charmille traversant tout le tènement actuel du nord au sud, une roseraie aménagée dans les années 1920, puis une haie de cyprès séparant cet ensemble de l'espace agricole dont l'inscription est aujourd'hui en litige. Il ressort de la visite des lieux que cet écran végétal, témoin d'une époque récente et de traditions paysagères de la Belle Epoque et des années 1920, crée entre le Grand Mas et l'espace agricole dont l'inscription est en litige une rupture à la fois visuelle et physique. L'arrêté préfectoral du 8 juillet 2020 procède d'ailleurs à l'inscription du jardin d'agrément, du bois d'agrément et du jardin à l'Est du Grand Mas, conférant ainsi à cet écran végétal une protection qui ne peut que conforter cette nette solution de continuité entre le Grand Mas et le dernier vestige de son domaine agricole.

12. Eu égard à ces considérations, et compte tenu des limitations ainsi apportées à l'exercice du droit de propriété, la mesure d'inscription de l'espace agricole en cause au titre des monuments historiques n'apparaît pas nécessaire afin d'assurer la cohérence du dispositif de protection des parties inscrites du Grand Mas et de son environnement au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques, étant remarqué que les parcelles en litige sont incluses dans le périmètre de protection des abords en application de l'article L. 621-30 du code du patrimoine.

13. Compte tenu de ces éléments, le tribunal administratif a pu, à bon droit, estimer qu'en décidant d'inscrire les parcelles numérotées 741, 2347 et 2348 au titre des monuments historiques, le préfet avait fait une inexacte application des dispositions précitées du code du patrimoine.

14. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune, la ministre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Marseille a fait partiellement droit aux demandes des consorts B... et de la commune de Saint-Etienne-du-Grès.

Sur les frais liés au litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu des dépenses d'avocat occasionnées par les parties intimées dans le cadre de leur défense et au titre de la visite des lieux, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat deux sommes de 4 500 euros et de 2 000 à verser, respectivement, aux consorts B... et à la commune de Saint-Etienne-du-Grès au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Les recours de la ministre de la culture sont rejetés.

Article 2 : L'Etat (ministère de la culture) versera la somme de 4 500 euros aux consorts B... et la somme de 2 000 euros à la commune de Saint-Etienne-du-Grès en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... (père), à M. A... B... (fils), à Mme C... B..., à la commune de Saint-Etienne-du-Grès et à la ministre de la culture.

Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2024, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2024.

Nos 23MA00611 - 23MA00612 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00611
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

41-01-01-01 Monuments et sites. - Monuments historiques. - Classement. - Classement des immeubles.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : RAGOT;RAGOT;SCP BERENGER - BLANC - BURTEZ - DOUCEDE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23ma00611 ?
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