Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.
Par un jugement n° 2302372 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 23MA01586, le 23 juin 2023 et le 26 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Vincensini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 ;
3°) de l'admettre à titre provisoire à l'aide juridictionnelle ;
4°) à titre principal, sur le fondement de l'article L .911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir en lui délivrant un récépissé de demande de titre l'autorisant à travailler dans un délai de cinq jours ;
5°) à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative et de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre au préfet d'examiner de nouveau sa demande et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de titre l'autorisant à travailler dans un délai de cinq jours ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
Sur le refus de séjour :
- il est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa situation personnelle n'a pas été suffisamment examinée ;
- il est entaché d'erreurs de fait qui ont exercé une incidence sur le sens de sa décision ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la mesure d'éloignement :
- elle est illégale, par voie de conséquence du refus de séjour ;
- elle est entachée d'erreur de droit alors qu'elle peut obtenir un titre de séjour de plein droit au titre de sa vie privée et familiale ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il s'en rapporte à son mémoire de première instance.
Un courrier du 17 juillet 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 31 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 29 septembre 2023.
II°) Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 23MA01587, le 23 juin 2023 et le 26 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Vincensini, demande à la Cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 2023 ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande au fond, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué emportera des conséquences difficilement réparables ;
- elle reprend les moyens développés dans sa requête n° 23MA01586.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 17 juillet 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 31 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 29 septembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 10 novembre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 23 juin 2022 Mme A..., ressortissante albanaise, sur le fondement de sa vie privée et familiale et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme A... relève appel du jugement du 25 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, par une requête enregistrée sous le n° 23MA01586. Et par une requête enregistrée sous le n° 23MA01587, elle demande à la Cour de surseoir à l'exécution dudit jugement.
Sur la jonction :
2. Les affaires enregistrées sous les nos 23MA01586 et 23MA01587 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur les demandes d'aide juridictionnelle provisoire :
3. Les demandes d'aide juridictionnelle présentées par Mme A... ont fait l'objet d'une admission totale par décisions du 29 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille. Par suite, ses demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur la requête n° 23MA01586 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est arrivée en France fin 2016 à l'âge de quatorze ans accompagnée de ses parents, dont la demande d'asile a été rejetée le 26 janvier 2018. Elle justifie avoir été scolarisée à compter du 24 janvier 2017 et chaque année suivante, d'abord au collège Monticelli à Marseille puis au lycée professionnel Colbert et avoir obtenu en juillet 2021 son brevet d'études professionnelles agricoles. Ses bulletins scolaires révèlent son sérieux et sa détermination. Elle s'est ensuite inscrite en classe passerelle BTS le 26 septembre 2022 et a été admise pour la rentrée scolaire 2023 en BTS services au lycée Colbert. Elle bénéficie à cet effet d'une promesse de contrat d'apprentissage avec une société à l'enseigne Intermarché à compter du 1er juillet 2023. Suite à la séparation de ses parents en 2018, et dans un contexte conflictuel avec son père, elle a été hébergée avec sa mère par le réseau Hospitalité du 13 juillet 2018 au 30 mai 2021 et bénéficie désormais d'un appartement mis à leur disposition par une paroisse de la ville où elle s'est investie depuis plusieurs années. Elle s'est aussi investie au sein de l'association " Bien à Vous ", auprès de laquelle elle a d'abord bénéficié d'une aide avec sa mère mais a ensuite elle-même servi d'interprète, aidé à servir les repas et à gérer la distribution des vêtements. Elle justifie en outre de nombreuses attestations favorables de l'assistante sociale du lycée Colbert, de plusieurs de ses professeurs, de paroissiens et de membres d'associations qui révèlent ses efforts d'intégration, son sérieux et son insertion dans la société française.
6. Par suite, et alors même que sa mère a fait l'objet d'un nouveau refus de séjour le 22 novembre 2022, au demeurant postérieurement à la décision attaquée, la requérante est fondée à soutenir qu'en refusant de l'admettre au séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu notamment de la durée de présence de l'intéressée en France, à un âge où on construit sa personnalité, et de son projet de poursuivre un BTS.
7. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses demandes.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. ".
9. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution entraîne nécessairement la délivrance à l'intéressée d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... ce titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur la requête n° 23MA01587 :
10. Le présent arrêt statuant sur l'appel présenté contre le jugement n° 2302372 du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 2023, les conclusions de la requête n° 23MA01587 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Vincensini, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Vincensini de la somme de 2 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23MA01587 de Mme A....
Article 2 : Il n'y a pas lieu d'admettre Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2302372 du 25 mai 2023 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 10 novembre 2022 sont annulés.
Article 4 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs sus indiqués.
Article 5 : L'Etat versera à Me Vincensini une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Vincensini renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Vincensini.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
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N°s 23MA01586 - 23MA01587