Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Marseille a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société à responsabilité limitée MetA..., la société par actions simplifiée Ingérop, et la société à responsabilité limitée Crudeli France à lui verser la somme de 969 967,60 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires, au titre des désordres affectant les installations de traitement de l'air des bâtiments construits par ces sociétés et destinés à accueillir le centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine, de condamner la société par actions simplifiée Travaux du Midi, venant aux droits et obligations de la société Sovame, la société en commandite simple Otis et la société par actions simplifiée Socotec Construction à lui payer 35 134 euros toutes taxes comprises au titre de désordres affectant les ascenseurs de ce bâtiment, et de condamner solidairement les sociétés MetA..., Ingérop, Crudeli France, Travaux du Midi, Socotec Construction et Otis à lui payer la somme de 102 236,94 euros au titre des frais engagés pour le transport et la protection des œuvres pendant la réalisation des travaux de remise en état des installations.
Par un jugement n° 2004825 du 12 avril 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023, et un mémoire enregistré le 14 septembre 2023, la commune de Marseille, représentée par la SELAS d'avocats Charrel et Associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;
3°) de mettre à la charge solidaire des sociétés MetA..., Ingérop, Crudeli France, Travaux du Midi, Socotec Construction et Otis les dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son action n'est pas prescrite ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, les désordres affectant les centrales de traitement de l'air et le monte-charge rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
- ces désordres n'étaient pas apparents ;
- elle doit donc être indemnisée du préjudice résultant de ces désordres par les constructeurs auxquels ces désordres sont imputables ;
- les dépens et frais non compris dans les dépens devaient être mis à la charge des constructeurs.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 29 juin 2023 et le 19 juillet 2023, et deux mémoires récapitulatifs enregistrés le 13 septembre 2023 et le 21 septembre 2023, la société MetA..., représentée par Me Melloul, demande à la Cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête d'appel, ainsi que toute conclusion dirigée contre elle, de confirmer le jugement et de la mettre hors de cause ;
2°) subsidiairement, de condamner, in solidum, les sociétés Ingérop, Fayat Bâtiment, Sovame, Crudeli France, Socotec Construction, Icade G3A et Otis à la relever et garantir intégralement en principal, accessoire, intérêts et frais, de toute condamnation prononcée à son encontre ;
3°) plus subsidiairement, de prononcer le montant des condamnations à un taux de taxe sur la valeur ajoutée réduit ;
4°) plus subsidiairement, de limiter le montant des condamnations prononcées à son encontre ;
5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Marseille ou de tout succombant la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de mettre les entiers dépens à la charge de la commune de Marseille.
Elle soutient que :
- la requête d'appel est insuffisamment motivée ;
- les demandes de la commune sont prescrites et forcloses ;
- les moyens de la requête d'appel sont infondés ;
- il ne peut y avoir de condamnation in solidum ;
- subsidiairement, elle doit être relevée et garantie par les autres constructeurs ;
- le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable est le taux réduit.
Par un mémoire, enregistré le 6 juillet 2023, la société par actions simplifiée Icade Promotion, représentée par Me Garnier, demande à la Cour :
1°) de rejeter les conclusions présentées à son encontre par la société MetA... ;
2°) subsidiairement, de condamner solidairement les sociétés MetA..., Ingérop et Crudeli France à la relever et garantir de toute somme qui serait mise à sa charge au titre des désordres affectant les installations de traitement de l'air, et de condamner solidairement les sociétés Travaux du Midi, Otis, Ingérop et Socotec à la relever et garantir de toute somme mise à sa charge au titre des désordres affectant l'ascenseur ;
3°) de mettre à la charge de la société MetA... ou tout succombant la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens présentés à l'appui des conclusions dirigées contre elles sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2023, et deux mémoires récapitulatifs enregistrés le 18 septembre 2023 et le 19 septembre 2023, la société Otis, représentée par Me Ortolland, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Marseille comme prescrite ;
2°) subsidiairement, de la rejeter comme infondée ;
3°) plus subsidiairement, de rejeter comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, l'appel en garantie de la société Travaux du Midi à son encontre, de rejeter comme infondés les autres appels en garantie présentés à son encontre et de condamner in solidum les sociétés MetA..., Ingérop, Crudeli France et Socotec Construction à la relever et garantir de toute condamnation ;
4°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de la commune de Marseille ou de tout succombant la somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité décennale du sous-traitant ne peut être engagée en l'espèce ;
- la créance est prescrite ;
- les moyens de la requête et des appels en garantie dirigés contre elle sont infondés ;
- subsidiairement, elle est fondée à appeler en garantie les autres constructeurs.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 8 et le 10 août 2023, la société Socotec Construction, représentée par Me Tertian, demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement en tant qu'il a rejeté les demandes présentées à son encontre, de rejeter toute demande présentée à son encontre et de la mettre hors de cause ;
2°) subsidiairement, de condamner les sociétés Ingérop, MetA... et Otis à la relever et garantir de toute condamnation ;
3°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Marseille une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête d'appel sont infondés ;
- subsidiairement, elle est fondée à appeler en garantie les autres constructeurs.
Par un mémoire, enregistré le 6 septembre 2023, la société par actions simplifiée Travaux du Midi, représentée par Me Engelhard et venant aux droits et obligations de la société Sovame, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) subsidiairement, de rejeter toutes les demandes présentées par la commune de Marseille et dirigées contre elles ;
3°) plus subsidiairement, de condamner in solidum les sociétés Otis, Crudeli France, Socotec Construction et MetA... à la relever et garantir de toute condamnation ;
4°) en tout état de cause, de rejeter toutes les demandes présentées par les différentes parties et de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune a présenté des conclusions à l'encontre de la société Sovame, alors que celle-ci a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 7 janvier 2014 ;
- elle n'a jamais reçu communication de la requête initiale ou de la requête en appel ;
- les conclusions de la commune à son encontre sont donc irrecevables ;
- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur ce point ;
- les demandes de la commune sont prescrites s'agissant du bâtiment E ;
- subsidiairement, le caractère décennal des désordres n'est pas établi ;
- les désordres ne lui sont pas imputables ;
- elle doit être relevée et garantie de toute condamnation ;
- la commune ne justifie pas du préjudice qu'elle revendique ;
- sa responsabilité ne peut être recherchée sur un fondement quasi-délictuel à raison des fautes commises par son sous-traitant.
Par un mémoire, enregistré le 8 septembre 2023, la société par actions simplifiée unipersonnelle Fayat Bâtiment, représentée par Me Guillet, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de rejeter toute demande présentée à son encontre ;
4°) de condamner in solidum les sociétés MetA..., Ingérop, Otis, Crudeli France et Socotec Construction et à la relever et garantir de toute condamnation.
Elle soutient que :
- la demande de la commune est prescrite en ce qui concerne le bâtiment E ;
- les appels en garantie dirigés contre elle ne sont pas motivés ;
- les conclusions dirigées contre elles sont infondées ;
- en cas de condamnation, elle serait fondée à appeler les autres constructeurs en garantie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2023, la société par actions simplifiée Ingérop Conseil et Ingénierie, représentée par la SCP de Angelis, Semidei, Vuillquez, Habart-Melki, Bardon, de Angelis, demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement attaqué et de rejeter l'ensemble des conclusions présentées à son encontre, et notamment les demandes et conclusions présentées par la commune de Marseille, comme prescrites et irrecevables ou, subsidiairement, comme infondées ;
2°) subsidiairement :
- de condamner in solidum la société Travaux du Midi, la société Fayat Bâtiment, la société Otis et la société MetA... et son assureur la compagnie d'assurance MAF, à la relever et garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre au titre des désordres affectant l'ascenseur ;
- de condamner in solidum la société Travaux du Midi, la société Fayat, la société Idex, la société Crudeli et son assureur la compagnie d'assurance SMABTP, et la société MetA... et son assureur la compagnie d'assurance MAF, à la relever et garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre au titre des désordres affectant les centrales de traitement de l'air, des préjudices annexes réclamés, des dépens et des frais de justice ;
3°) de mettre in solidum à la charge de tout succombant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'action décennale de la commune est prescrite et forclose ;
- les moyens présentés à l'appui des demandes et conclusions présentées à son encontre sont infondés ;
- subsidiairement, elle devrait être relevée et garantie par les constructeurs fautifs.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Harket, pour la commune de Marseille, de Me Petit, pour la société Ingérop Conseil et Ingénierie, de Me Martinez, pour la société Socotec Construction, de Me Ortolland, pour la société Otis, et de Me Bouillon substituant Me Engelhard, pour la société Travaux du Midi.
Connaissance prise de la note en délibéré et des pièces présentées pour la commune de Marseille et enregistrées au greffe les 2 et 3 octobre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. En 1994, la commune de Marseille a acquis une partie de l'ancienne manufacture des tabacs de Marseille, située 10 rue Clovis-Hugues à Marseille en vue d'y faire aménager un centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine, des réserves des musées et des archives municipales. Par contrat conclu le 1er octobre 2001, la commune a confié à un groupement d'entreprises constitué de la société Carillion BTP Nicoletti, aux droits et obligations de laquelle vient la société Fayat, et de la société Sovame, aux droits et obligations de laquelle vient la société Travaux du Midi, la réalisation des travaux, tous corps d'état confondus, sous maîtrise d'œuvre d'un groupement constitué de la société Nicolas Magnan Architecte, devenue MetA..., et de la société S3E Méditerranée, devenue Ingérop, ainsi que sous la maîtrise d'ouvrage déléguée de la société Icade G3a et sous le contrôle technique de la société Socotec Construction. Après la réception des travaux prononcée avec réserves le 19 mars 2003 et la levée des réserves intervenue le 12 février 2004, la commune de Marseille a constaté des désordres relatifs aux températures et aux taux d'hygrométrie, au système de traitement d'air, à l'étanchéité des coursives, au monte-charge et aux nuisances sonores. Elle a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, qui a ordonné à sa demande une expertise. Après le dépôt du rapport d'expertise le 4 octobre 2019, la commune a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à la condamnation, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, en premier lieu, des deux sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre et de la société Crudeli France, sous-traitante du groupement d'entreprises de travaux chargée de l'installation des centrales de traitement de l'air, à lui verser la somme de 969 967,60 euros toutes taxes comprises, en deuxième lieu, condamner la société par actions simplifiée Travaux du Midi, la société Otis, sous-traitante du groupement d'entreprises de travaux chargée de l'installation du monte-charge, et la société Socotec Construction à lui payer 35 134 euros toutes taxes comprises au titre de désordres affectant les ascenseurs de ce bâtiment, et, en troisième lieu, de condamner solidairement l'ensemble de ces sociétés à lui payer la somme de 102 236,94 euros au titre des frais engagés pour le transport et la protection des œuvres pendant la réalisation des travaux de remise en état des installations. Par le jugement attaqué, dont la commune de Marseille relève appel, le tribunal administratif a rejeté ces demandes en estimant qu'il n'était pas établi que ces désordres seraient de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.
Sur le cadre juridique :
2. En application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, alors en vigueur, est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d'un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage, liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.
Sur le désordre affectant les centrales de traitement de l'air :
3. S'il est constant que le désordre affectant les centrales de traitement de l'air se traduit par des températures et une hygrométrie non conformes aux valeurs contractuelles stipulées dans le cahier des clauses techniques particulières, la commune, qui ne fournit aucune précision sur la nature des œuvres devant être protégées et sur les effets des températures et taux d'hygrométrie constatés sur leur conservation, n'établit pas plus en appel qu'en première instance que le désordre constaté serait de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination.
Sur le désordre affectant l'ascenseur du bâtiment E :
4. S'il est constant que le désordre affectant l'ascenseur est à l'origine de pannes au moment de l'ouverture et de la fermeture des portes, la commune de Marseille ne démontre pas plus en appel qu'en première instance que ces pannes, par leur fréquence et leur gravité, seraient de nature à rendre l'ouvrage dans sa totalité impropre à sa destination.
5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les exceptions de prescription qui sont opposées à ses demandes, la commune de Marseille n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs. Ses conclusions à fin de condamnation doivent donc être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que les dépens de l'instance et les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés soient mis à la charge des autres parties. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des autres parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Marseille est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Marseille et aux sociétés MetA..., Ingérop, Fayat Bâtiment, Crudeli France, Travaux du Midi, Socotec, Otis et Icade G3a.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
N° 23MA01430 2