Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Lelièvre Recyclage a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Arvieux à lui verser la somme de 7 860 euros toutes taxes comprises en réparation de son manque à gagner, outre la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Par un jugement n° 1810713 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Arvieux à lui verser la somme de 7 760 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2022, la commune d'Arvieux, représentée par Me Berguet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 novembre 2021 ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la société Lelièvre Recyclage la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement qui se fonde sur une pièce qui a été produite par la société Lelièvre Recyclage après la clôture de l'instruction, a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- le contrat est invalide dès lors qu'à la date de la signature du devis de la société Lelièvre Recyclage, seule la communauté de communes du Queyras était compétente pour entreprendre les travaux de démantèlement et de nettoyage de la station d'épuration ;
- la société Lelièvre Recyclage ne justifie pas du quantum de son préjudice ;
- la demande fondée sur la résistance abusive doit être regardée comme une demande tendant à l'indemnisation du retard de paiement indemnisable par l'attribution d'intérêts moratoires au taux légal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, la société Lelièvre Recyclage, représentée par Me Rouanet, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la commune d'Arvieux la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 5 avril 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 10 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office selon lequel la commune, qui ne peut pas être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas (CE, Section, 19 mars 1971, Sieur Mergui, n° 79962) ne peut pas être condamnée à verser l'indemnité à raison de la résiliation du contrat toutes taxes comprises (CE, 28 mai 2004, Sté Magnetti Marelli France, n° 250817).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la réhabilitation des bâtiments de son ancienne station d'épuration, la commune d'Arvieux (Hautes-Alpes) a signé le 26 avril 2016 le devis d'un montant de 8 000 euros hors taxes proposé par la société Lelièvre Recyclage. Les prestations ayant finalement été réalisées par la société Joseph Ferrari en 2017, la société Lelièvre Recyclage a saisi le tribunal administratif de Marseille qui, par un jugement du 23 novembre 2021 a condamné la commune d'Arvieux à lui verser la somme de 7 760 euros, outre 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de sa demande. La commune d'Arvieux relève appel de ce jugement de condamnation.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article R. 613-2 du code de justice administrative dispose que : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne. ". Lorsqu'il décide de soumettre au contradictoire une production de l'une des parties après la clôture de l'instruction, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Lorsque le délai qui reste à courir jusqu'à la date de l'audience ne permet plus l'intervention de la clôture automatique trois jours francs avant l'audience prévue par l'article R. 613-2 du code de justice administrative, il appartient au président de la formation de jugement, qui, par ailleurs, peut toujours, s'il l'estime nécessaire, fixer une nouvelle date d'audience, de clore l'instruction ainsi rouverte.
3. En l'espèce, alors que la clôture de l'instruction avait été prononcée dans le cadre d'un calendrier prévisionnel d'instruction le 7 octobre 2021, le tribunal a communiqué à la commune, par courrier du 27 octobre 2021, reçu le 2 novembre 2021, la pièce produite par la société Lelièvre Recyclage. Ce faisant, le tribunal doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction, qui a de nouveau été clôturée le 5 novembre 2021, trois jours francs avant l'audience en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative précité, comme mentionné par l'avis d'audience. Dès lors, la commune d'Arvieux n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait se fonder sur cette pièce sans rouvrir l'instruction.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la nullité du contrat :
4. D'une part, lorsqu'une partie à un contrat administratif soumet au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité, relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales : " Le transfert d'une compétence entraîne de plein droit la mise à la disposition de la collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés, à la date de ce transfert, pour l'exercice de cette compétence. Cette mise à disposition est constatée par un procès-verbal établi contradictoirement entre les représentants de la collectivité antérieurement compétente et de la collectivité bénéficiaire. Le procès-verbal précise la consistance, la situation juridique, l'état des biens et l'évaluation de la remise en état de ceux-ci. ". Et selon l'article L. 1321-2 du même code : " Lorsque la collectivité antérieurement compétente était propriétaire des biens mis à disposition, la remise de ces biens a lieu à titre gratuit. La collectivité bénéficiaire de la mise à disposition assume l'ensemble des obligations du propriétaire. Elle possède tous pouvoirs de gestion. Elle assure le renouvellement des biens mobiliers. Elle peut autoriser l'occupation des biens remis. Elle en perçoit les fruits et produits. Elle agit en justice au lieu et place du propriétaire. / La collectivité bénéficiaire peut procéder à tous travaux de reconstruction, de démolition, de surélévation ou d'addition de constructions propres à assurer le maintien de l'affectation des biens. ". Enfin l'article L. 1321-3 du même code précise que : " En cas de désaffectation totale ou partielle des biens mis à disposition en application des articles L. 1321-1 et L. 1321-2, la collectivité propriétaire recouvre l'ensemble de ses droits et obligations sur les biens désaffectés... ".
6. Eu égard à son contenu, le devis signé par le maire de la commune d'Arvieux avec le représentant de la société requérante le 26 avril 2016 a le caractère d'un contrat, comme l'admet d'ailleurs la commune. Si la communauté de communes du Queyras est devenue compétente en matière d'assainissement et s'est vu, dans ce contexte, transférer la station d'épuration située sur le territoire de la commune d'Arvieux par une délibération du conseil municipal de la commune du 30 juin 2008 et par une convention de transfert signée le 6 octobre 2008, entraînant ainsi de plein droit la mise à sa disposition de l'ensemble des biens meubles et immeubles utilisés, il résulte toutefois des pièces du dossier et notamment d'un courrier adressé par la commune à la communauté de communes du Queyras du 22 août 2016 que cette station d'épuration avait été désaffectée, et qu'un procès-verbal d'état des lieux constatant la fin d'utilisation de cette station avait été dressé le 14 août 2015. Par suite, et alors même que la communauté de communes n'avait pas procédé de facto au démantèlement de l'installation et à la libération et au nettoyage des lieux, la commune d'Arvieux avait retrouvé l'ensemble de ses droits et obligations sur les biens désaffectés, en application des dispositions précitées de l'article L. 1231-3 du code général des collectivités territoriales. C'est donc à bon droit que le tribunal a estimé qu'elle était bien compétente pour signer le devis présenté le 26 avril 2016 par la société Lelièvre Recyclage et a par conséquent écarté l'exception de nullité opposée par la commune d'Arvieux.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
7. En premier lieu, la commune d'Arvieux ne conteste pas que postérieurement à la signature, le 26 avril 2016, du devis présenté par la société Lelièvre Recyclage, dont l'objet était la découpe et l'enlèvement de tous les matériaux métalliques présents sur le site de l'ancienne station d'épuration située sur le territoire de la commune d'Arvieux, la commune a confié la réalisation de ces prestations à une société tierce par un contrat signé le 4 septembre 2017. Ce faisant, elle devait être regardée comme ayant implicitement résilié le contrat précédemment conclu avec la société Lelièvre Recyclage. En l'absence de faute de sa part, cette dernière était donc fondée à demander à la commune d'Arvieux le versement d'une indemnité correspondant au montant de son manque à gagner.
8. Pour démontrer la perte de gain, la société Lelièvre Recyclage se prévaut du devis signé évoqué au point 6 pour un montant de 8 000 euros hors taxes, soit 9 600 euros toutes taxes comprises. Elle se prévaut en outre d'un devis de frais non daté, faisant état de divers frais pour la somme totale de 1 840 euros toutes taxes comprises et d'une attestation de son expert-comptable du 27 octobre 2021 selon laquelle il n'a " pas d'observation à formuler sur la cohérence de ces informations avec les données internées de votre entité en lien avec votre comptabilité ", mais qui précise toutefois que ces frais s'élèvent à 1 840 euros hors taxes et non toutes taxes comprises. En se bornant à soutenir que la société Lelièvre Recyclage ne justifie pas de son taux de marge, sans contester ces éléments précis, la commune d'Arvieux ne conteste pas sérieusement le calcul de la société.
9. En revanche, une personne publique ne peut pas être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas. Or, l'indemnité mentionnée au point précédent, qui ne résulte pas des modalités dont les parties étaient convenues pour assurer l'équilibre économique du contrat, ne constitue pas la contrepartie directe et la rémunération d'une prestation de services individualisable mais a pour objet de réparer le préjudice subi par le bénéficiaire du versement du fait de la résiliation unilatérale de ce contrat. Elle n'est dès lors pas au nombre des opérations que le I de l'article 256 du code général des impôts soumet à la taxe sur la valeur ajoutée. Il y a donc lieu de réduire l'indemnité accordée à la société Lelièvre Recyclage par le tribunal en la fixant à la somme de 6 160 euros hors taxes (8 000 euros hors taxes - 1 840 euros hors taxes).
10. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Lelièvre Recyclage tant en première instance qu'en cause d'appel.
11. En première instance la société Lelièvre Recyclage demandait d'engager la responsabilité extra-contractuelle de la commune d'Arvieux. Toutefois la société Lelièvre Recyclage, qui est liée à la commune d'Arvieux par un contrat ainsi qu'il a été dit au point 7, ne peut exercer à l'encontre de la commune d'autre action que celle procédant du contrat. Ce fondement de responsabilité, au demeurant non étayé, ne peut donc être retenu.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lelièvre Recyclage et de la commune d'Arvieux de sommes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le montant de l'indemnité que la commune d'Arvieux est condamnée à verser à la société Lelièvre Recyclage est ramené de la somme de 7 760 euros à la somme de 6 160 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1810713 du 23 novembre 2021 est réformé, en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Arvieux et à la société Lelièvre Recyclage.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 septembre 2023.
N° 22MA0000502