Vu la procédure suivante :
I°) Procédure contentieuse antérieure :
L'association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon - Saint-Tropez a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, d'annuler la décision du 19 juin 2017, par laquelle la SA Electricité de France (SA EDF) lui a réclamé une somme de 17 477,23 euros au titre de la mise en eau anticipée de son réseau d'irrigation et, par voie de conséquence, de condamner cette dernière à lui rembourser la somme de 17 477,23 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête et capitalisation des intérêts et, à titre subsidiaire, de lui verser la somme de 9 735,96 euros, somme assortie des intérêts capitalisés.
Par un jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée sous le n° 20MA01194 le 12 mars 2020, la SA EDF, représentée par Me Ruff, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 janvier 2020 ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez ;
3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert avec pour mission de déterminer le montant dû par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez au titre des prélèvements d'eau réalisés entre le 28 mars et le 14 avril 2017 inclus, sur la base des coûts générés par le traitement de la demande dérogatoire de l'ASA et la perte de production d'électricité générée par ces prélèvements ;
4°) de mettre à la charge de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* Sur la régularité du jugement :
- le tribunal ne pouvait rejeter ses prétentions indemnitaires sans ordonner une expertise ;
* Sur le bien-fondé du jugement :
- c'est à tort que l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez soutient que l'article 1er de la loi du 20 juillet 1881 ne pouvait être remis en cause qu'en mettant en œuvre une procédure d'éviction, de sorte que les décrets et accords visés par la SA EDF lui seraient en définitive inopposables et seraient en toute hypothèse insusceptibles de remettre en cause un droit consacré par la loi, en vertu de la pyramide des normes ;
- l'association syndicale, aux droits de laquelle vient l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, n'a jamais bénéficié d'un droit de prélèvement illimité à hauteur de 2 500 litres par seconde, dans la mesure où le canal d'irrigation de Ventavon tel qu'initialement imaginé, et dont la construction avait été autorisée par la loi du 20 juillet 1881, n'a jamais été construit dans son intégralité ;
- il est constant que l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a, comme précédemment exposé, indéniablement consenti par la conclusion de la convention du 24 janvier 1972 à ce que son droit ne s'exerce qu'entre le 15 avril et le 15 octobre de chaque année ; il importe peu dès lors qu'aucune procédure d'éviction n'ait été mise en œuvre ;
- dans ce cadre, elle a mis en œuvre la méthode de calcul la plus objective, conduisant à estimer non pas à partir du coût d'une " fourniture d'eau ", comme a pu le juger le tribunal, l'eau n'étant pas la propriété d'EDF, mais compte tenu de la perte de production électrique induite par les prélèvements réalisés, considérant que l'eau prélevée est destinée à être turbinée dans les usines hydroélectriques qui se situent à l'aval des prélèvements réalisés ;
- les frais de traitement ne correspondent pas au processus normal d'ouverture des vannes mais aux diligences exceptionnelles qui doivent être mises en œuvre pour traiter les demandes dérogatoires formées par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2020, et un mémoire non communiqué enregistré le 28 avril 2022, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, représentée par Me Landot, doit être regardée comme concluant :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à l'annulation du jugement en ce qu'il est contraire à ses conclusions, à l'annulation de la décision du 19 juin 2017, à la condamnation de la SA EDF à lui rembourser la somme de 17 477,23 euros, somme majorée des intérêts légaux capitalisés ;
3°) et elle demande à la Cour de mettre à la charge de la SA EDF la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- le contrat de concession du 18 janvier 1972 et le cahier des charges approuvé par décret du 11 octobre 1972, ne peuvent déroger au droit d'eau accordé par la loi, que cette dernière avait d'ailleurs déjà confirmé postérieurement au premier décret d'attribution d'une concession et surtout au regard du principe de légalité qui repose sur la hiérarchie des normes ;
- aucune procédure d'éviction n'a été mise en œuvre ou même proposée à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez au cours des négociations relatives à la convention du 24 janvier 1972 et elle n'a jamais non plus manifesté sa volonté d'abandonner les droits d'eau ni même saisi le juge en ce sens, bien au contraire elle demande à EDF tous les ans à bénéficier de son droit d'eau octroyé par la loi de 1919 ;
- dès lors qu'aucune procédure d'éviction des droits d'eau n'a été mise en œuvre et qu'aucun accord n'a été validé, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez n'a pas pu perdre ou même renoncer à ses droits d'eau ;
- il n'y a aucune justification démontrant que l'ouverture des vannes aurait contribué à faire baisser la quantité d'électricité produite. Et ce, alors même que techniquement la lutte anti-gel et la période concernée ainsi que la configuration des lieux, font qu'il n'y a pas de réduction du volume d'eau pour EDF dans le canal et que dès lors, le coefficient énergétique retenu est injustifié ;
- à la période du 15 mars au 15 avril, le contexte est celui où les eaux naturelles excédentaires et, de surcroît, les eaux apportées par aspersion sur frondaisons pour la lutte anti-gel retournent intégralement dans le milieu naturel, soit par ruissellement, soit après un écoulement en nappe, pour être ensuite entonnées par la prise d'eau de Sisteron de la concession EDF associée au barrage de Sisteron et sont donc bien turbinées sur l'ensemble des usines jusqu'à St Chamas ;
- la référence dans les écritures de la société, au prix spot journalier du Kwh est faite sans explication sur ce choix et le prix horaire fixé de 9h à 20h ne correspond pas à la pratique de la lutte anti-gel pour laquelle les pompes fonctionnent dans les fourchettes horaires démarrant entre 00h00 à 02h00 et se terminant entre 09h00 et 12h00.
Par ordonnance du 20 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 6 octobre 2021.
Les parties ont été informées, par courrier du 14 juin 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, l'un tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Marseille, d'une part, à avoir fait droit à la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez tendant à l'annulation de la " décision du 19 juin 2017 ", qui n'est pas un acte administratif mais une demande préalable indemnitaire de la part de la SA EDF à l'encontre d'une personne publique ayant vocation à lier le contentieux et, d'autre part, à avoir fait droit à la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez tendant au remboursement de la somme de 17 477,23 euros, cette dernière n'étant pas recevable à demander au juge d'ordonner une mesure qu'elle peut prendre elle-même ( CE, Préfet de l'Eure, 30 mai 1913, n° 49241) et l'autre, tiré de l'irrecevabilité de ces deux demandes.
II°) Procédure contentieuse antérieure :
L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 13 février 2018, par laquelle la SA EDF lui a réclamé une somme de 10 442 euros au titre de la mise en eau anticipée de son réseau d'irrigation ou du maintien de l'ouverture des vannes tardivement, ensemble la décision implicite de refus de remboursement de cette somme prise sur recours gracieux en date du 30 avril 2018 et de condamner, par voie de conséquence, la SA EDF à lui rembourser la somme de 10 442 euros, avec intérêts capitalisés.
Par un jugement n° 1806952 du 16 mars 2020, le tribunal administratif de Marseille a fait droit sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée sous le n° 20MA01736 le 30 avril 2020, la SA EDF, représentée par Me Ruff, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 mars 2020 ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez ;
3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert avec pour mission de déterminer le montant dû par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez à la SA EDF au titre des prélèvements d'eau réalisés entre le 16 octobre et le 7 novembre 2017 inclus, sur la base des coûts générés par le traitement de la demande dérogatoire de l'ASA et par le refus d'accès aux compteurs opposé par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, et la perte de production d'électricité générée par ces prélèvements ;
4°) de mettre à la charge de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si le tribunal a justement apprécié la limitation temporelle des droits de prélèvement accordés à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, et en a déduit qu'elle était fondée à lui réclamer le coût de la fourniture d'eau, il a en revanche commis une erreur en retenant que " la SA Electricité de France n'a pas suffisamment justifié des bases et éléments de calcul de la somme mise, au titre d'une fourniture d'eau et non d'énergie, à la charge de son cocontractant, lequel en conteste précisément les bases de calcul, le bien-fondé et le montant ".
- si aucune modalité de calcul n'a été convenue, c'est simplement parce que, conventionnellement, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez ne devait pas réaliser de prélèvement après le 15 octobre ou avant le 15 avril : l'hypothèse d'une violation des engagements souscrits par l'ASA n'a pas été envisagée dans l'accord des parties ;
- elle a donc mis en œuvre la méthode de calcul la plus objective, conduisant à estimer non pas le coût d'une " fourniture d'eau ", comme a pu le juger le tribunal, l'eau n'étant pas la propriété d'EDF, ni d'une " fourniture d'énergie ", mais la perte de production électrique induite par les prélèvements réalisés, considérant que l'eau prélevée est destinée à être turbinée dans les usines hydroélectriques qui se situent à l'aval des prélèvements réalisés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2020, et un mémoire non communiqué enregistré le 28 avril 2022, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, représentée par Me Landot, doit être regardée comme concluant :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à l'annulation du jugement en ce qu'il est contraire à ses conclusions, à l'annulation de la décision du 13 février 2018 et à la condamnation de la SA EDF à lui rembourser la somme de 10 442 euros, somme majorée des intérêts légaux capitalisés ;
3°) et elle demande à la Cour de mettre à la charge de la SA EDF la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- le contrat de concession du 18 janvier 1972 et le cahier des charges, approuvés par décret du 11 octobre 1972, ne peuvent déroger au droit d'eau accordé par la loi, que cette dernière avait d'ailleurs déjà confirmé postérieurement au premier décret d'attribution d'une concession et surtout au regard du principe de légalité qui repose sur la hiérarchie des normes ;
- aucune procédure d'éviction n'a été mise en œuvre ou même proposée à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez au cours des négociations relatives à la convention du 24 janvier 1972 et elle n'a jamais non plus manifesté sa volonté d'abandonner les droits d'eau ni même saisi le juge en ce sens, bien au contraire elle demande à EDF tous les ans à bénéficier de son droit d'eau octroyé par la loi de 1919 ;
- dès lors qu'aucune procédure d'éviction des droits d'eau n'a été mise en œuvre et qu'aucun accord n'a été validé, l'ASA n'a pas pu perdre ou même renoncer à ses droits d'eau ;
- il n'y a aucune justification démontrant que l'ouverture des vannes aurait contribué à faire baisser la quantité d'électricité produite ; et ce, alors même que techniquement la lutte anti-gel et la période concernée ainsi que la configuration des lieux, font qu'il n'y a pas de réduction du volume d'eau pour EDF dans le canal et que dès lors, le coefficient énergétique retenu est injustifié ;
- à la période du 15 mars au 15 avril, le contexte est celui où les eaux naturelles excédentaires et, de surcroît, les eaux apportées par aspersion sur frondaisons pour la lutte anti-gel retournent intégralement dans le milieu naturel, soit par ruissellement, soit après un écoulement en nappe, pour être ensuite entonnées par la prise d'eau de Sisteron de la concession EDF associée au barrage de Sisteron et sont donc bien turbinées sur l'ensemble des usines jusqu'à St Chamas ;
- la référence dans les écritures de la société, au prix spot journalier du Kwh est faite sans explication sur ce choix et le prix horaire fixé de 9h à 20h ne correspond pas à la pratique de la lutte anti-gel pour laquelle les pompes fonctionnent dans les fourchettes horaires démarrant entre 00h00 à 02h00 et se terminant entre 09h00 et 12h00.
Par ordonnance du 20 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 6 octobre 2021.
Les parties ont été informées, par courrier du 15 juin 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, l'un tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Marseille, d'une part, à avoir fait droit à la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez tendant à l'annulation de la " décision du 13 février 2018 ", qui n'est pas un acte administratif mais une demande préalable indemnitaire de la part de la SA EDF à l'encontre d'une personne publique ayant vocation à lier le contentieux et, d'autre part, à avoir fait droit à la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez tendant au remboursement de la somme de 10 442 euros, cette dernière n'étant pas recevable à demander au juge d'ordonner une mesure qu'elle peut prendre elle-même ( CE, Préfet de l'Eure, 30 mai 1913, n° 49241) et l'autre, tiré de l'irrecevabilité de ces deux demandes.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi du 20 juillet 1881 ;
- la loi du 26 août 1919 ;
- la loi du 16 octobre 1919 ;
- le décret du 7 septembre 1936 ;
- le décret du 2 février 1955 ;
- le décret du 11 octobre 1972 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Deidda, pour la SA EDF, et de Me Dubois, pour l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez.
Considérant ce qui suit :
1. Par la loi du 20 juillet 1881, a été accordée à perpétuité, une concession du volume d'eau à dériver à l'association syndicale formée par la réunion de tous les propriétaires arrosants du canal, dit " canal de Ventavon - Saint-Tropez ", dérivé de la Durance, à Valserres (département des Hautes-Alpes), pour l'irrigation de la rive droite de cette rivière, jusqu'aux abords de Sisteron (département des Basses-Alpes). Par un décret du 25 septembre 1936, l'Etat a accordé à la société des forces motrices de la Haute-Durance aux droits de laquelle est venu l'établissement public Electricité de France, puis la SA EDF, une concession hydroélectrique relative à l'aménagement et l'exploitation de l'usine hydroélectrique de Ventavon utilisant la chute existant sur la Durance et a approuvé son cahier des charges précisant notamment les réserves d'eau que la concessionnaire doit mettre à disposition gratuitement de l'ASA du 15 avril au 15 octobre de chaque année. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a sollicité de la SA EDF une fourniture gratuite de volumes d'eau en dehors de ces plages.
2. Par décision du 29 juin 2017, la SA EDF a réclamé à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez le paiement d'une facture d'un montant de 17 477,23 euros toutes taxes comprises au titre de la mise en eau anticipée des vannes agricoles du canal de Sisteron avant le 15 avril 2017. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de la SA EDF à lui rembourser cette somme ou, à titre subsidiaire, la somme de 9 735,96 euros, avec intérêts et capitalisation des intérêts. Par le jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020, le tribunal administratif a fait droit à sa demande principale. Par la requête enregistrée sous le n° 20MA01194, la SA EDF fait appel de ce jugement.
3. Par décision du 13 février 2018, la SA EDF a réclamé à l'ASA le paiement d'une facture d'un montant de 10 442 euros toutes taxes comprises d'irrigation au titre d'un prélèvement d'eau supplémentaire correspondant à l'ouverture des vannes du 16 octobre au 7 novembre 2017. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de la décision portant rejet de son recours gracieux et à la condamnation de la SA EDF à lui rembourser cette somme. Par le jugement n° 1806952 du 16 mars 2020, le tribunal administratif a fait droit à sa demande. Par la requête enregistrée sous le n° 20MA01736, la SA EDF fait appel de ce jugement. Les présentes requêtes concernent les mêmes parties et portent sur des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la régularité du jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020 :
4. Le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office et entacher ainsi sa décision d'irrégularité, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction.
5. En l'espèce, si le jugement mentionne l'impossibilité d'évaluer le montant du préjudice invoqué par la SA EDF au vu des pièces qu'elle produit, il rejette cette demande non pour ce motif mais au motif que la SA EDF n'établit pas la réalité de son manque à gagner, de telle sorte qu'il pouvait rejeter la demande de la requérante sans recourir à une mesure d'instruction en vue de déterminer l'étendue du préjudice. La SA EDF n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'une irrégularité sur ce point.
Sur le bien-fondé des jugements :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
6. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 20 juillet 1881 ayant pour objet la déclaration d'utilité publique et la concession d'un canal, dit " canal de Ventavon - Saint-Tropez ", dérivé de la Durance, à Valserres (département des Hautes-Alpes), pour l'irrigation de la rive droite de cette rivière, jusqu'aux abords de Sisteron (département des Basses-Alpes) : " Sont déclarés d'utilité publique : / 1° Les travaux à exécuter pour l'établissement d'un canal, dit canal de Ventavon - Saint-Tropez, à dériver de la Durance (rive droite), en vue de l'irrigation de territoires (...) / 2° La dérivation pour l'alimentation dudit canal, d'un volume d'eau de deux mille cinq cents litres par seconde, dont le prélèvement effectif devra être opéré de manière à ne porter aucune atteinte aux droits antérieurement acquis par les usagers inférieurs. ". Aux termes de l'article 3 de la loi du 20 juillet 1881 : " La concession du volume d'eau à dériver est accordée, à perpétuité, à l'association syndicale formée par la réunion de tous les propriétaires arrosants, autorisée par arrêté du préfet des Hautes-Alpes, en date du 20 juin 1880, conformément aux clauses et conditions acceptées par la commission syndicale, dans sa délibération du 18 juillet suivant, et insérées dans un cahier arrêté par le ministre des travaux publics, et qui restera annexé à la présente loi. ". L'annexe à la loi du 20 juillet 1881 a prévu que : " Clauses et conditions de la concession / (...) Art. 3 : L'association syndicale du canal de Ventavon - Saint-Tropez aura le droit de se servir des eaux du canal, non seulement pour l'irrigation des terres et, s'il y a lieu, pour la submersion des vignes, mais encore d'en tirer profit pour des besoins municipaux, domestiques ou d'agrément, ou pour la mise en jeu des usines qui pourront être établies sur le cours du canal ou de ses branches, à charge par elle de se conformer aux lois et règlements sur la police des cours d'eau et de satisfaire avant tout aux besoins de l'irrigation. ".
7. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique au moment de son entrée en vigueur : " Nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'Etat. Toutefois, aucune concession ou autorisation ne sera accordée sans avis préalable des conseils généraux des départements représentant des intérêts collectifs régionaux, sur le territoire desquels l'énergie est aménagée. " Aux termes de l'article 10 de cette même loi au moment de son entrée en vigueur : " Le cahier des charges détermine notamment : / 6° Les réserves en eau et en force à prévoir, s'il y a lieu, au profit des services publics de l'Etat, ainsi qu'à celui des départements, des communes, des établissements publics, ou des associations syndicales autorisées et des groupements agricoles d'utilité générale qui seront spécifiés dans un règlement d'administration publique ; les conditions dans lesquelles ces réserves doivent être tenues à la disposition des ayants droits, notamment : la période initiale pendant laquelle aucun préavis ne sera nécessaire, les délais de préavis après l'expiration de cette période, les travaux qui peuvent être imposés au concessionnaire pour l'utilisation de ces réserves, ainsi que les tarifs spéciaux ou les réductions sur les tarifs maxima indiqués au 9° du présent article, applicables à ces réserves. ".
8. Enfin, aux termes de l'article 3 du décret du 25 septembre 1936 qui a autorisé et déclaré d'utilité publique les travaux à entreprendre de l'usine hydroélectrique de Ventavon utilisant la chute qui existe sur la Durance entre le confluent de la Roussine et le confluent du Beynon : " Est approuvée la convention passée le 7 septembre 1936 entre le ministre des travaux publics, agissant au nom de l'Etat, et la société des forces motrices de la Haute-Durance, pour l'exécution de ces ouvrages et leur exploitation, conformément aux conditions du cahier des charges joint à ladite convention, lesquels cahier des charges et convention resteront annexés au présent décret ". Aux termes de l'article 21 de la convention du 7 septembre 1936 conclue entre l'Etat et le concessionnaire intitulé CHAPITRE V RESERVES EN EAU ET EN FORCE - Réserve en eau : " Les réserves en eau que le concessionnaire mettra à la disposition [...] des associations syndicales autorisées [...] seront fournies gratuitement aux conditions suivantes : [...] Du 15 avril au 15 octobre de chaque année, dans la limite d'un maximum de 1.800 litres par seconde prélevée dans le canal d'amenée de l'usine, un débit de 1 litre 25 par seconde et par hectare à irriguer par l'association syndicale d'irrigation de Ventavon, étant entendu que l'association veillera à éviter tout gaspillage. Le concessionnaire assurera par prélèvement sur ce débit la fourniture d'eau nécessaire à l'irrigation des plaines de Safre et de Plan-de Lardler, de la commune de Lardler. Les prises à établir sur le canal feront l'objet des projets-types approuvés par le préfet ; les travaux en seront effectuées par le concessionnaire aux frais des associations intéressées ; leurs dépenses d'entretien et d'exploitation seront à la charge de ces associations ". L'article 9 de la convention conclue le 24 janvier 1972 et relative au rétablissement des ouvrages de l'association syndicale autorisée interceptés par les travaux d'Electricité de France conclue entre l'Etat et EDF stipule que : " Toutes les dispositions prévues dans les cahiers des charges de concession de chutes ou dans des accords antérieurs et non contraires aux stipulations de la présente convention demeurent applicables ".
9. Par ailleurs, l'article 6 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique susvisée, reprise par l'article L. 521-14 du code de l'énergie dispose que " L'éviction des droits particuliers à l'usage de l'eau, exercés ou non, donne ouverture à une indemnité en nature ou en argent si ces droits préexistaient à la date de l'affichage de la demande en concession. [...] " et prévoit que tout désaccord sur ce point relève de la compétence des juges judiciaires.
10. Il se déduit de l'ensemble de ces dispositions et stipulations que, si la loi du 20 juillet 1881 a reconnu d'utilité publique la dérivation pour l'alimentation du canal de Ventavon - Saint-Tropez d'un volume d'eau de deux mille cinq cents litres par seconde, la loi du 16 octobre 1919 dont les dispositions ont été reprises en partie dans le code de l'énergie autorise la conclusion par l'Etat de concessions portant sur l'exploitation de l'énergie hydraulique, susceptible d'affecter le volume d'eau intercepté par les associations syndicales autorisées concernées. Le décret pris en application de la loi du 16 octobre 1919 et portant sur l'usine hydroélectrique de Ventavon renvoie à un cahier des charges le soin de concilier les intérêts en présence et de fixer notamment les obligations pesant sur le concessionnaire quant aux réserves d'eau à mettre à disposition de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, affectée par cette concession. Cette compensation par mise à disposition de réserve d'eau prévue dans le cadre de l'exécution de deux services publics se distingue de la procédure d'éviction des droits particuliers à l'usage de l'eau, prévue notamment par les dispositions de l'article 6 de la loi du 16 octobre 1919.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation et de restitution des sommes réglées à la SA EDF :
11. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a sollicité devant le tribunal administratif de Marseille l'annulation de la décision du 19 juin 2017 par laquelle la SA EDF lui réclamait la somme de 17 477,23 euros toutes taxes comprises pour service rendu d'une mise en eau anticipée de son réseau en avril 2017, à hauteur de 15 477,23 euros et pour frais de traitement de dossier, à hauteur de 2 000 euros. Cette facture accompagnait un courrier du 19 juin 2017 dans lequel la SA EDF explicitait le montant de cette facture. Requalifiant la demande présentée par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement en litige, annulé la décision du 19 juin 2017.
12. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez a également sollicité du tribunal administratif de Marseille l'annulation de la décision du 13 février 2018, par laquelle la SA EDF a fixé le montant dû à raison de la prolongation de l'ouverture des vannes, en octobre 2017, à 10 442 euros.
13. Il résulte de l'instruction qu'alors que le dispositif prévu tel que décrit aux points 8 et 10 ne prévoit des réserves d'eau au profit de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez que pour la période du 15 avril au 15 octobre de chaque année, l'ASA a sollicité l'ouverture anticipée ou prolongée des vannes pour assurer ses missions de service public et notamment afin de faciliter la préparation de ses réseaux d'irrigation et la lutte antigel. Si dans un premier temps, la SA EDF a donné une suite favorable, à titre exceptionnel, à ces demandes et ce, sans contrepartie, dès 2014, elle a conditionné par la suite ces ouvertures en dehors des périodes prévues, à la saisine par l'ASA des services de l'Etat afin que la convention conclue le 24 janvier 1972 entre ce dernier et la SA EDF soit modifiée en vue d'intégrer ces nouveaux besoins exprimés par l'ASA. Devant la récurrence des demandes émanant de l'association syndicale autorisée, par courrier du 21 mars 2016, la SA EDF a posé des conditions à la satisfaction de ces demandes, notamment relatives au comptage des volumes prélevés. Par courrier du lendemain, le président de l'association syndicale autorisée a indiqué donner son accord quant aux contrôles que la SA EDF souhaiterait mettre en œuvre sur les compteurs. En sollicitant en février 2017 une ouverture anticipée, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, à laquelle la SA EDF a répondu le 28 février 2017, doit être regardée comme ayant manifesté sa volonté de conclure un accord avec la SA EDF, lequel a la nature d'un contrat administratif conclu dans le cadre de l'exécution même de deux services publics.
14. Il est constant que la convention conclue le 24 janvier 1972 ne traite pas de la possibilité de l'ouverture des vannes en dehors de la période du 15 avril au 15 octobre de chaque année ni des conditions d'ouverture ni des modalités de sa tarification. Toutefois, les ouvertures anticipées ou retardées des vannes ont été effectuées à la demande de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez qui en a d'ailleurs assuré le règlement avant d'invoquer le caractère excessif du tarif qui lui était appliqué et de revendiquer la gratuité. L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez ne saurait davantage invoquer l'absence de justification par la SA EDF de la baisse de production d'électricité résultant de l'ouverture décalée des vannes.
15. Dans ces conditions, en l'absence de dol ou de vices du consentement, l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez, qui doit être regardée comme ayant conclu un accord avec la SA EDF, n'est pas fondée à solliciter l'annulation de la décision du 19 juin 2017 ni celle du 13 février 2018 par lesquelles la SA EDF a fixé le montant dû en raison de l'ouverture en dehors de la période du 15 avril au 15 octobre de chaque année ni à réclamer la restitution des sommes qu'elle a réglées.
16. Il résulte de ce qui précède que la SA EDF est fondée à se plaindre de ce que, par le jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020, les premiers juges ont annulé sa décision du 19 juin 2017 et l'ont condamnée à rembourser à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez la somme de 17 477,23 euros et de ce que, par le jugement n° 1806952 du 16 mars 2020, ces mêmes juges ont annulé sa décision du 13 février 2018 et l'ont condamnée à rembourser à l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez la somme de 10 442 euros
17. Il résulte de ce qui précède que le jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020 doit être annulé et que la demande présentée par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez doit être rejetée sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise et que le jugement n° 1806952 du 16 mars 2020 doit être annulé et que la demande présentée par l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez doit être rejetée sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez dirigées contre la SA EDF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez une somme de 1 000 euros à verser à la SA EDF en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1705975 du 20 janvier 2020 et le jugement n° 1806952 du 16 mars 2020 du tribunal administratif de Marseille sont annulés.
Article 2 : Les demandes de l'ASA sont rejetées.
Article 3 : L'ASA du canal de Ventavon - Saint-Tropez versera à la SA EDF une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association syndicale autorisée (ASA) du canal de Ventavon - Saint-Tropez et à la SA EDF.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.
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Nos 20MA01194 - 20MA01736