Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Melihann Street Food, M. A... Hamdikene et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, dans la requête n° 1907371 de condamner la commune de Marseille à leur verser la somme de 751 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité de la décision du 22 mai 2015 par laquelle son maire a rejeté la demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public de M. Hamdikene pour l'installation d'un commerce ambulant de restauration légère, subsidiairement, d'ordonner une expertise pour déterminer l'entier préjudice subi par eux, dont notamment le préjudice indemnisable de la société Melihann Street Food et dans la requête n° 1910820 de condamner la commune de Marseille à leur verser la somme de 428 378 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017 par laquelle son maire a abrogé l'arrêté du 29 novembre 2016 portant autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour l'installation d'un commerce ambulant de restauration légère.
Par un jugement n° 1907371, 1910820 du 16 septembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune de Marseille, d'une part, à verser à la société Melihann Street Food la somme de 32 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 et celle de 16 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2019 et, d'autre part, à verser à M. Hamdikene la somme de 22 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 et celle de 11 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2019 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 novembre 2021 et 11 avril 2022, sous le n° 21MA04379, la SAS Melihann Street Food, M. et Mme Hamdikene représentés par Me Plantin, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 septembre 2021 en tant que la commune de Marseille n'a été condamnée qu'à verser la somme globale de 81 000 euros en réparation de leurs préjudices ;
2°) de condamner la commune de Marseille à leur verser la somme de 751 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis résultant de l'illégalité des décisions des 11 décembre 2014, 19 janvier et 22 mai 2015 ;
3°) de condamner la commune de Marseille à leur verser la somme de 438 458 euros augmentée des intérêts légaux au titre des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017 ;
4°) à titre subsidiaire, avant dire droit, de désigner un expert avec pour mission de déterminer l'entier préjudice indemnisable ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 10 000 euros en application de l'article l. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où leur mémoire en réplique enregistré le 27 août 2021 n'a pas été communiqué alors même qu'il contenait des pièces nouvelles ;
- la commune de Marseille ne conteste pas le principe de la responsabilité ;
- les préjudices dont ils demandent réparation présentent un lien de causalité directe avec l'illégalité de la décision du 22 mai 2015 ;
- la commune doit ainsi les indemniser des investissements réalisés, du prêt consenti dans l'attente de l'autorisation, du manque à gagner pour chacun, des pertes de revenus, pertes de bénéfices, des frais divers, des préjudices moraux : ils sont donc en droit d'être indemnisés à hauteur de 651 000 euros au titre du préjudice matériel et, au titre du préjudice moral, de 70 000 euros pour M. et 30 000 euros pour Mme qui était bien actionnaire de la société contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal ;
- la période d'indemnisation qui doit être retenue est celle du 11 décembre 2014 au 29 juillet 2017 : c'est à tort que les premiers juges ont réduit la période d'indemnisation à la période du 22 mai 2015, date du refus illégal d'autorisation au 29 novembre 2016, date à laquelle M. Hamdikene aurait bénéficié d'une autorisation temporaire du domaine public alors que la demande d'autorisation a été rejetée une première fois le 11 décembre 2014 et une deuxième fois le 19 janvier 2015, lesquelles décisions étaient illégales pour les mêmes motifs même si elles n'ont pas été contestées devant le tribunal et alors que dans les faits, les deux emplacements attribués le 29 novembre 2016 n'ont jamais pu être exploités, du fait pour le premier emplacement sur l'Espace Mistral d'une revendication de propriété du Port Autonome et, pour le second emplacement, devant le lycée de l'Estaque, en raison du plan Vigipirate ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en ne retenant que le manque à gagner comme indemnisable alors même que d'autres préjudices étaient établis ;
- les préjudices dont ils demandent, par ailleurs réparation présentent un lien de causalité directe avec l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017 ;
- la commune doit ainsi les indemniser des investissements réalisés, du prêt consenti dans l'attente de l'autorisation, du manque à gagner pour chacun, des pertes de revenus, pertes de bénéfices, des frais divers, des préjudices moraux : soit la somme de 338 458 euros au titre du préjudice matériel et la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu comme période d'indemnisation, celle allant du 20 juillet 2017, date de l'abrogation illégale de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public au 30 avril 2018, date à laquelle M. Hamdikene aurait refusé la proposition d'autorisation de la commune de Marseille, sur un emplacement qui lui avait été refusé initialement, alors que son préjudice s'est étendu jusqu'à la fin de validité de l'autorisation consentie le 29 novembre 2016 soit le 29 novembre 2019.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 décembre 2021 et 11 mai 2022, la commune de Marseille, représentée par Me Phelip, demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal en ce qu'il a rejeté certaines demandes des requérants ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'infirmer le jugement en tant qu'il a condamné la commune à verser aux requérants la somme globale de 81 000 euros ;
3°) de rejeter la requête ;
4°) de mettre à la charge solidaire de M. et Mme Hamdikene et D... la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que les demandes indemnitaires présentées par les requérants sont infondées, injustifiées, et, en tout état de cause, disproportionnées.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la Cour a demandé, les 3 et 5 mai 2023, à M. Hamdikene de produire ses déclarations de revenus et avis d'imposition pour les années 2015 à 2019.
Des pièces ont été produites, les 5 et 11 mai 2023, par M. Hamdikene, en réponse à cette mesure d'instruction, communiquées le 12 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ciréfice,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Plantin représentant la SAS Melihann Street Food et de M. Hamdikene.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Melihann Street Food a formé le 6 octobre 2014 auprès de la commune de Marseille une demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public communal pour l'installation d'un commerce ambulant de restauration légère. Par un courrier du 11 décembre 2014, le maire de la commune de Marseille a rejeté sa demande au motif que " la ville de Marseille n'autorise pas ce type de vente sur le domaine public ". La société a réitéré sa demande par des courriers en date du 1er décembre 2014 et du 26 mars 2015. La commune de Marseille a, en dernier lieu, rejeté sa demande le 22 mai 2015 au motif que " les commerces de restauration ambulants ne sont pas autorisés, sur notre municipalité, car ils se trouvent en concurrence directe avec les restaurants et brasseries " et que " les camions-pizzas sont gérés, avec la ville de Marseille, par la fédération des camions pizzas ". Par un jugement n° 1505771 du 28 février 2018, devenu définitif, le tribunal a prononcé l'annulation de la décision du 22 mai 2015.
2. Par un arrêté du 29 novembre 2016, le maire de la commune de Marseille a autorisé la SAS Melihann Street Food à occuper, pour une durée de trois ans, deux emplacements du domaine public communal situés sur le parking du lycée professionnel de l'Estaque et dans la zone de stationnement de la société nautique à proximité de " l'Espace Mistral ". Mais, par un arrêté du 20 juillet 2017, le maire de la commune de Marseille a abrogé l'arrêté du 29 novembre 2016 pour un motif d'intérêt général. Par un jugement n° 1706763 du 25 juin 2019, devenu définitif, le tribunal a prononcé l'annulation de l'arrêté du 20 juillet 2017.
3. D'une part, après avoir adressé une réclamation indemnitaire préalable à la commune de Marseille par courrier du 2 mai 2019 reçu le 6 mai suivant, expressément rejetée par un courrier notifié au conseil des requérants le 18 septembre 2019, la SAS Melihann Street Food, M. A... Hamdikene et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, dans l'instance n° 1907371, de condamner la commune de Marseille à leur allouer la somme totale de 751 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 22 mai 2015.
4. D'autre part, après avoir adressé une réclamation indemnitaire préalable à la commune de Marseille par courrier du 29 août 2019 reçu le 3 septembre suivant, demeuré sans réponse, la SAS Melihann Street Food, M. A... Hamdikene et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Marseille, dans l'instance n° 1910820, de condamner la commune de Marseille à leur allouer la somme totale de 428 378 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017.
5. La SAS Melihann Street Food, M. A... Hamdikene et Mme C... relèvent appel de ce jugement du 16 septembre 2021 en tant que la commune de Marseille n'a été condamnée qu'à verser la somme globale de 81 000 euros en réparation de leurs préjudices. Par la voie de l'appel incident, la commune de Marseille demande à la Cour d'infirmer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser aux requérants cette somme globale de 81 000 euros et de rejeter la demande des requérants.
Sur la régularité du jugement attaqué :
6. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : "La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties. Les requérants soutiennent que le tribunal a méconnu ces dispositions en s'abstenant de communiquer leur mémoire du 27 août 2021, alors qu'il comportait des éléments nouveaux et sept pièces nouvelles. Il ressort toutefois du jugement attaqué que leurs écritures du 27 août 2021 ont été visées et analysées par les premiers juges et dès lors que le tribunal n'a fondé sa décision sur aucun argument de fait ou de droit auquel les requérants n'ont pas été mis en mesure de répondre, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, lesquelles n'imposent pas aux juridictions de communiquer toutes les productions des parties, doit être écarté.
Sur l'étendue du litige :
7. Il résulte des écritures des parties en appel que le principe de la responsabilité de la commune de Marseille en raison de l'illégalité des décisions des 22 mai 2015 et 20 juillet 2017, retenu par le tribunal, n'est plus contesté devant la Cour.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'appel principal :
8. Si les fautes de la commune de Marseille, tirées de l'illégalité des décisions des 22 mai 2015 et 20 juillet 2017, sont de nature à engager sa responsabilité, les requérants ne peuvent obtenir réparation que des seuls préjudices présentant un lien de causalité direct avec ces illégalités fautives.
S'agissant des préjudices invoqués par Mme C... :
9. Mme C..., mère de M. A... Hamdikene, demande réparation du préjudice moral résultant, pour elle, des fautes commises par la commune de Marseille en raison de l'illégalité des décisions du 22 mai 2015 et du 20 juillet 2017. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait effectué une demande d'autorisation en son nom personnel ni qu'elle pourrait être regardée comme dirigeante ou actionnaire de la société, par la production d'une pièce unique au terme de laquelle elle aurait versé un apport de 1 500 euros. Par suite, et alors que Mme B... ne justifie pas d'un préjudice personnel, ces demandes indemnitaires doivent, dès lors, être rejetées.
S'agissant des préjudices invoqués par la société et M. Hamdikene en lien avec l'illégalité de la décision du 22 mai 2015 :
Quant à la période indemnisable :
10. La période de responsabilité de la commune de Marseille s'étend à la période durant laquelle le refus illégal d'autorisation en date du 22 mai 2015 a produit des effets.
11. Si les requérants soutiennent que le point de départ de la période d'indemnisation doit être fixé au 11 décembre 2014 dans la mesure où la demande d'autorisation a été rejetée une première fois le 11 décembre 2014 et une deuxième fois le 19 janvier 2015 et que ces deux premières décisions étaient illégales pour les mêmes motifs, ils reconnaissent eux-mêmes ne pas avoir contesté ces décisions devant le tribunal. Seule est d'ailleurs invoquée dans leur demande indemnitaire préalable, l'illégalité de la décision du 22 mai 2015. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fixé au 22 mai 2015 la date de début de la période indemnisable.
12. Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que par un arrêté du 29 novembre 2016, M. Hamdikene a bénéficié d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public communal pour un emplacement situé sur le parking du lycée professionnel de L'Estaque hors période de vacances scolaires et un emplacement situé à l'Espace Mistral les week-ends et en période de vacances scolaires.
13. Si les requérants soutiennent que les deux emplacements attribués le 29 novembre 2016 n'ont jamais pu être exploités, ils indiquent eux-mêmes que l'activité a été empêchée à cette période pour des raisons indépendantes de l'octroi de cette autorisation, s'agissant d'un emplacement qui aurait relevé du Port autonome ou en raison du plan vigipirate, mais sans établir qu'ils n'auraient pu exercer leur activité à raison de tels motifs. En outre, si M. Hamdikene fait valoir qu'il a été dans l'impossibilité d'exploiter son commerce à compter de la décision du 29 novembre 2016 lui octroyant l'autorisation d'occupation dans la mesure où au mois de décembre 2016, il était sous le coup d'une procédure lancée par Natixis devant le tribunal de commerce, qu'un accord transactionnel n'a été homologué que le 17 mars 2017 et qu'il n'a eu ensuite un rendez-vous pour l'installation de son compteur EDF qu'au mois de mai 2017, ces circonstances sont elles aussi indépendantes de l'octroi de l'autorisation. Par suite, les requérants ne peuvent être regardés comme justifiant de la réalité d'un préjudice direct et certain durant la période du 29 novembre 2016 au 20 juillet 2017, date à laquelle l'autorisation d'occupation a été abrogée.
14. Enfin, l'impossibilité d'exploiter ce commerce dans laquelle M. Hamdikene s'est trouvé à compter du 20 juillet 2017 et les préjudices qui en résultent pour lui et sa société, sont la conséquence directe de la décision d'abrogation du 20 juillet 2017 et ne présentent pas de lien suffisamment direct avec l'illégalité fautive de la décision du 22 mai 2015.
15. Dans ces conditions, la période de responsabilité de la commune de Marseille en lien avec l'illégalité de la décision du 22 mai 2015 s'étend du 22 mai 2015 au 29 novembre 2016, comme l'ont retenu les premiers juges.
Quant à l'évaluation des préjudices :
16. En premier lieu, contrairement à l'argumentation soutenue par la commune de Marseille, la société n'aurait pas seulement disposé d'une chance sérieuse d'exploiter le " Food truck ", mais d'un droit à l'exploiter, si elle avait été en possession d'une autorisation, et par suite d'un droit à recueillir les bénéfices attachés à cette exploitation, dont elle n'a été privée que par les refus illégaux opposés par la commune. Par suite, la société Melihann Street Food a droit à l'indemnisation de l'intégralité du préjudice résultant pour elle de la perte de chance de réaliser un bénéfice en raison de l'impossibilité d'exploiter son véhicule ou " Food Truck ", ce manque à gagner devant être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré l'autorisation d'occuper le domaine public.
17. Pour établir le montant de l'indemnisation du manque à gagner de la société requérante, celle-ci produit un document comptable dénommé " prévisionnel d'activité " établi au 1er septembre 2013 par l'association " Planet Adam ", organisme solidaire d'accompagnement à la création d'entreprise, sur la base des informations transmises par l'entrepreneur. La commune de Marseille ne critique pas utilement les résultats prévisionnels analysés dans ce document, étant précisé qu'à défaut d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public la société n'a réalisé aucun commencement d'exploitation de son commerce. Ce document mentionne un coefficient de marge de 7,27 et un résultat annuel net hors-taxe de 21 176 euros. Compte tenu de ces éléments, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant la commune de Marseille à verser à la société Melihann Street Food à ce titre une somme de 32 000 euros.
18. En deuxième lieu, pour la même période d'indemnisation, M. Hamdikene a droit à l'indemnisation de sa perte de chance de percevoir une rémunération en tant que salarié de la société Melihann Street Food. Il résulte de l'instruction, et notamment du " prévisionnel d'activité " susmentionné, dont les éléments ne sont pas utilement contestés par la commune de Marseille, que la société Melihann Street Food projetait l'emploi de deux salariés à temps complet pour une rémunération mensuelle nette de 1 120 euros. Il n'est par ailleurs pas contesté que M. Hamdikene, président de la société devait en être salarié. En outre, il ressort des pièces produites en appel par M. Hamdikene que ce dernier n'a perçu aucun salaire ni aucun autre revenu sur la période concernée. Dès lors, le préjudice financier subi par M. Hamdikene au titre de sa perte de chance de percevoir une rémunération en tant que salarié de la société doit être regardé comme établi. Compte tenu de ces éléments, le montant de l'indemnité à allouer à M. Hamdikene à ce titre peut être évalué à 20 000 euros. En revanche, comme le fait valoir la commune de Marseille en défense, M. Hamdikene n'établit pas, en se bornant à soutenir que la ligne H2 du prévisionnel d'activité prévoyant une telle rémunération et en ne produisant ni les statuts D... ni de décision de son assemblée, qu'une rémunération en sa qualité de président de la société aurait été prévue. Le préjudice ne présentant pas de caractère certain, M. Hamdikene ne peut prétendre à en obtenir réparation.
19. En troisième lieu, les requérants demandent réparation du préjudice financier résultant de la souscription de divers emprunts ayant permis de réaliser les investissements nécessaires à l'exploitation du commerce en cause, ainsi que du coût de l'immobilisation de ces emprunts et de celui du capital versé pour la constitution de la société Melihann Street Food.
20. Toutefois, d'une part, l'exigibilité de frais financiers à raison de retards dans le remboursement d'un emprunt contracté pour la réalisation d'un projet commercial contrarié, peut donner lieu à réparation d'un préjudice pour autant que ce dernier revête un caractère direct, certain et actuel.
21. D'autre part, dès lors que la société obtient, ainsi que cela résulte du point 16 du présent arrêt, une indemnisation au titre de la perte de chance de réaliser un bénéfice net qui tient nécessairement compte des produits et des charges liées à l'activité de la société ainsi que des frais généraux qui auraient dû être mobilisés pour l'exploitation du commerce en cause, les requérants ne sauraient prétendre en outre à l'indemnisation de préjudices correspondant aux montants mêmes de différents emprunts contractés, au coût de l'immobilisation des sommes empruntées, à celui de l'immobilisation du capital versé pour constituer la société.
22. Enfin, si les requérants demandent réparation du préjudice résultant du paiement du loyer d'un local à destination de bureau pour la société Melihann Street Food, les frais exposés à ce titre, à supposer que l'occupation de ce local soit nécessaire à l'exploitation du commerce en cause, sont nécessairement inclus dans la détermination du manque à gagner et ne saurait faire l'objet d'une indemnisation séparée.
23. En quatrième lieu, s'agissant du prêt consenti dans l'attente de l'autorisation, ce chef de préjudice n'est, en tout état de cause, pas établi par les pièces produites par les requérants.
24. En cinquième lieu, les requérants demandent l'indemnisation du préjudice résultant pour eux de " frais divers " d'un montant total de 50 000 euros. Toutefois, d'une part, les dépenses d'origine contentieuse peuvent constituer, en tout ou partie, des frais remboursables au titre du préjudice subi à la condition d'avoir été utilement exposés. D'autre part, les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le calcul du préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend ce juge sur ce fondement. Ainsi, les frais d'avocat de la société Melihann Street Food et de M. Hamdikene en lien avec les instances antérieures devant le tribunal administratif de Marseille doivent être regardés comme ayant été intégralement remboursés par l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les décisions juridictionnelles du tribunal administratif. Dès lors, le paiement des frais d'avocats exposés pour ces précédentes instances ne constitue pas un préjudice indemnisable en lien avec la faute commise par la commune de Marseille. En outre, les frais de recouvrement et de saisie mis à la charge des requérants dans les différentes procédures non contentieuses et judiciaires engagées par leurs créanciers sont dépourvus de lien de causalité directe avec la faute commise par la commune de Marseille. Enfin, la société Melihann Street Food et M. Hamdikene n'apportent aucun élément de nature à justifier que les frais correspondants aux honoraires versés au cabinet comptable " Exparta Conseil " présenteraient un lien direct avec l'illégalité fautive commise par la commune de Marseille. Par suite, ces frais ne peuvent donner lieu à indemnisation.
25. En sixième lieu, les requérants font valoir que les fonds de commerce installés sur le domaine public, bien que précaires et nominatifs, sont en réalité revendus avec l'accord de la commune de Marseille. Toutefois, et en tout état de cause, la perte de la valeur d'un futur fonds de commerce sur le domaine public et d'un développement ambitieux de l'activité de la société Melihann Street Food, au demeurant non chiffrée, est trop incertaine pour pouvoir être indemnisée.
26. En septième lieu, M. Hamdikene, auquel le maire de la commune de Marseille a illégalement refusé la délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public pour l'exploitation de son " Food truck ", a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence consécutifs à la faute du maire dont il est fondé à demander réparation. Dans les circonstances de l'espèce, dès lors qu'il est établi par des attestations médicales circonstanciées qu'il a souffert de troubles dépressifs très sévères en lien, notamment, avec les décisions de la commune de Marseille ayant entravé la réalisation de son projet d'activité, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. Hamdikene et des troubles dans ses conditions d'existence en lui allouant, à ce titre, une somme globale de 2 000 euros.
27. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la commune de Marseille, en raison de l'illégalité de la décision du 22 mai 2015, à verser à la société Melihann Street Food la somme de 32 000 euros et celle de 22 000 euros à M. Hamdikene, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019, date de réception de la demande indemnitaire préalable par la commune de Marseille.
S'agissant des préjudices invoqués par la société et M. Hamdikene en lien avec l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017 :
28. En premier lieu, la société Melihann Street Food a droit à l'indemnisation de l'intégralité du préjudice résultant pour elle de la perte de chance de réaliser un bénéfice en raison de l'impossibilité d'exploiter son véhicule ou " Food Truck ", le montant de cette indemnisation devant être déterminé en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré l'autorisation d'occuper le domaine public.
29. La période de responsabilité s'étend à la période durant laquelle le refus illégal d'autorisation en date du 20 juillet 2017 a produit des effets, soit à la période comprise entre le 20 juillet 2017 et le 25 juin 2019, date de lecture du jugement du tribunal administratif de Marseille prononçant l'annulation de cette décision.
30. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'après le jugement du 28 février 2018 annulant la décision de refus d'autorisation du 22 mai 2015, le maire de Marseille a émis un avis favorable le 13 avril 2018 pour délivrer aux requérants une autorisation d'occupation temporaire sur le domaine public à la ZAC Saumaty dans le 15ème arrondissement de Marseille, à débuter au 1er mai 2018. A partir de cette date l'intéressé pouvait donc exploiter son activité sur le domaine public de Marseille. Ainsi, la période d'indemnisation doit s'arrêter à compter du 30 avril 2018, date du refus de cette proposition par M. Hamdikene, et alors que dès 2016, il avait demandé des emplacements près de lycées dans les 10ème, 12ème et même dans le 15ème arrondissement avant de demander finalement en 2017 un emplacement dans le 8ème, notamment boulevard Michelet. Dans ces conditions et en raison du comportement du gérant de la société requérante, la commune de Marseille doit être exonérée de sa responsabilité à compter du refus que lui a adressé M. Hamdikene le 30 avril 2018. Par conséquent, la société Melihann Street Food ne pourra être indemnisée de son manque à gagner que sur la période comprise entre le 20 juillet 2017 et le 30 avril 2018.
31. Pour établir le montant de l'indemnisation du préjudice commercial de la société requérante, cette dernière produit un document comptable dénommé " prévisionnel d'activité " établi au 1er septembre 2013 par l'association " Planet Adam ", organisme solidaire d'accompagnement à la création d'entreprise, sur la base des informations transmises par l'entrepreneur. La commune de Marseille ne critique pas utilement les résultats prévisionnels analysés dans ce document, étant précisé qu'à défaut d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public la société n'a réalisé aucun commencement d'exploitation de son commerce. Ce document mentionne un coefficient de marge de 7,27 et un résultat annuel net hors-taxe de 21 176 euros. Compte tenu de ces éléments, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant la commune de Marseille à verser à la société Melihann Street Food à ce titre une somme de 16 000 euros.
32. En deuxième lieu, pour la même période d'indemnisation, M. Hamdikene a droit à l'indemnisation de sa perte de chance de percevoir une rémunération en tant que salarié de la société Melihann Street Food. Il résulte de l'instruction, et notamment du " prévisionnel d'activité " susmentionné, dont les éléments ne sont pas utilement contestés par la commune de Marseille, que la société Melihann Street Food projetait l'emploi de deux salariés à temps complet pour une rémunération mensuelle nette de 1 120 euros. Il n'est par ailleurs pas contesté que M. Hamdikene, président de la société devait en être salarié. En outre, il ressort des pièces produites en appel par M. Hamdikene que ce dernier n'a perçu aucun salaire ni aucun autre revenu sur la période concernée. Dès lors, le préjudice financier subi par M. Hamdikene au titre de sa perte de chance de percevoir une rémunération en tant que salarié de la société doit être regardé comme établi et réparé, compte tenu de ces éléments, à hauteur de 10 000 euros.
33. En revanche, comme le fait valoir la commune de Marseille en défense, M. Hamdikene n'établit pas, en se bornant à soutenir que la ligne H2 du prévisionnel d'activité prévoyant une telle rémunération et en ne produisant ni les statuts D... ni de décision de son assemblée, qu'une rémunération en sa qualité de président de la société aurait été prévue. Le préjudice ne présentant pas de caractère certain, M. Hamdikene ne peut prétendre à en obtenir réparation.
34. En troisième lieu, si les requérants demandent réparation du préjudice matériel correspondant aux frais de compteurs électriques pour un montant total de 1 400 euros, la pièce produite ne permet pas d'établir que l'engagement de ces frais serait en lien direct avec l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017. L'indemnisation de ce préjudice devra donc être rejetée.
35. En quatrième lieu, M. Hamdikene, dont l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public délivrée le 29 novembre 2016 a été illégalement abrogée par la décision du 20 juillet 2017, a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence consécutifs à la faute du maire dont il est fondé à demander réparation. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. Hamdikene et des troubles dans ses conditions d'existence en lui allouant, à ce titre, une somme globale de 1 000 euros.
36. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la commune de Marseille, en raison de l'illégalité de la décision du 20 juillet 2017, à verser à la société Melihann Street Food la somme de 16 000 euros et celle de 11 000 euros à M. Hamdikene, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2019, date de réception de la demande indemnitaire préalable par la commune de Marseille.
37. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que les requérants ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement attaqué. Les conclusions de la commune de Marseille, présentées par la voie de l'appel incident, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
38. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Melihann Street Food, de M. Hamdikene et de Mme Hamdikene est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Marseille présentées par la voie de l'appel incident et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Melihann Street Food, M. A... Hamdikene, Mme C... et à la commune de Marseille.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Ciréfice, présidente assesseure,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juin 2023.
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N° 21MA04379
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