Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... et Mme E... B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) à leur verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait d'un accident autoroutier ayant entraîné le décès de leur fils, F... A....
Par un jugement n° 1909012 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 décembre 2021, M. et Mme A..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner la société ASF à leur verser la somme de 60 000 euros.
Ils soutiennent que :
- la société ASF a manqué à son obligation contractuelle de sécurité envers les usagers ;
- la société ASF aurait dû renforcer ses systèmes de vidéoprotection, notamment en permettant la détection automatique des véhicules à contresens ;
- la signalisation selon laquelle l'autoroute est sous surveillance vidéo pour la sécurité des usagers est mensongère ;
- l'incapacité de la société à stopper un véhicule roulant à contresens est constitutive d'une faute ou d'un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;
- l'absence de mesures destinées à prévenir la sortie des aires de repos en cas de véhicule roulant à contresens est également constitutive d'une faute ou d'un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;
- le personnel de la société ASF aurait dû faire preuve d'une vigilance accrue et disposer de moyens techniques de protection efficaces.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2022, la société ASF, représentée par Me Pontier, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par M. et Mme A... ;
2°) à titre subsidiaire, de réduire la somme demandée à de plus justes proportions.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de la voirie routière ;
- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant M. et Mme A..., et H..., représentant la société ASF.
Considérant ce qui suit :
1. Le 24 juillet 2011 à 5h46, le véhicule d'une conductrice en état d'ébriété a forcé la barrière de péage de Coudoux et parcouru un peu plus de deux kilomètres sur l'autoroute A7. Il a ensuite fait demi-tour et emprunté la même autoroute à contresens pendant 4 minutes et 34 secondes sur une distance de 6 kilomètres, puis a heurté de plein fouet le véhicule conduit par Nicolas A.... Le choc a provoqué le décès de ce dernier, de deux des quatre passagers de son véhicule, et de la conductrice de l'autre véhicule. Le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a diligenté une expertise par une ordonnance du 20 novembre 2012. L'expert a rendu son rapport le 27 juillet 2015. M. et Mme A..., parents de Nicolas A..., font appel du jugement du 19 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à l'engagement de la responsabilité de la société ASF.
2. En premier lieu, M. et Mme A... font valoir que la société ASF a manqué à son obligation contractuelle de sécurité à l'égard des usagers de l'autoroute dont elle est concessionnaire. Toutefois, les usagers de l'autoroute ne sont pas dans une relation contractuelle, mais dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard du concessionnaire. Les requérants ne peuvent donc utilement invoquer ce fondement de responsabilité.
3. En deuxième lieu, le II de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure, prévoit que la transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique par le moyen de la vidéoprotection ne peuvent en principe être mis en œuvre que par les autorités publiques. Ces dispositions ne prévoient une exception pour les autres personnes morales qu'aux abords immédiats des lieux susceptibles d'être exposés à des actes de terrorisme.
4. Ainsi, si M. et Mme A... soutiennent que le dispositif de vidéoprotection mis en place par la société ASF aurait dû permettre l'identification et le suivi d'un véhicule à contresens afin de permettre une réaction plus rapide, il résulte des dispositions citées au point précédent que la société ASF, qui ne peut être regardée comme une autorité publique au sens des dispositions précitées, n'y était pas autorisée par la loi et n'a, par suite, pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
5. En troisième lieu, M. et Mme A... font valoir que la société ASF indique à tort aux usagers que la vidéoprotection est mise en œuvre pour leur sécurité alors qu'elle est en réalité destinée à la régulation des flux de transport. Toutefois, cette circonstance est étrangère aux causes de l'accident.
6. En quatrième lieu, M. et Mme A... critiquent l'organisation du centre opérationnel départemental d'incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (CODIS 13), d'une part, et du centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG), d'autre part, ainsi que le cheminement des appels d'urgence. Ces structures dépendent respectivement du service départemental d'incendie et de secours et de l'État, deux personnes morales distinctes de la société ASF. Les éventuelles fautes commises lors de l'intervention de ces structures sont donc insusceptibles d'engager la responsabilité de cette dernière. Par ailleurs, il ne résulte d'aucun principe ni d'aucun texte qu'il appartiendrait à la société ASF de conclure avec ces dernières un " protocole " portant sur l'organisation de leurs services et plus précisément sur le cheminement de l'alerte.
7. En cinquième lieu, il est constant, d'une part, que la société ASF et ses agents ne sont pas juridiquement habilités à intercepter les véhicules. D'autre part, il ressort du rapport d'expertise que les dispositifs physiques permettant l'arrêt d'un véhicule étaient, comme le reconnaissent les requérants, au stade de la recherche et du développement en France et en Europe à la date de l'accident. Par suite, l'absence de tels dispositifs n'est pas constitutive d'un défaut d'entretien normal des ouvrages autoroutiers.
8. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que le véhicule à contresens a été détecté par un patrouilleur autoroutier de la société ASF à 5h52, soit trente secondes avant l'accident. Ce patrouilleur a averti immédiatement le poste de commandement opérationnel ainsi qu'un autre patrouilleur arrivant à la gare de péage, a actionné la signalisation lumineuse de sécurité de son fourgon, et a engagé une marche arrière afin d'essayer de rejoindre la sortie de l'aire de repos de Lançon-de-Provence en vue de la bloquer. Le second patrouilleur s'est immédiatement dirigé vers les lieux. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A..., ces réactions, quand bien même elles n'ont pas permis d'éviter l'accident, ne révèlent pas un manque de vigilance ou une faute commise par le personnel de la société ASF.
9. En dernier lieu, l'accident a eu lieu au point PK 242 + 500, soit plusieurs centaines de mètres après la sortie de l'aire de péage de Lançon-en-Provence où s'était précédemment arrêté le véhicule conduit par Nicolas A.... M. et Mme A... font valoir que plusieurs mesures auraient dû être prises par la société ASF afin d'empêcher la sortie des véhicules de l'aire de repos du fait d'un véhicule roulant à contresens sur la voie concernée. Toutefois, les " feux stop " à la sortie des aires de repos ne sont pas des dispositifs courants dont l'absence révèlerait un défaut d'entretien normal des ouvrages autoroutiers. En outre, les stations-service n'ont aucune mission particulière en matière de sécurité routière. L'intervention de leurs personnels, dépourvu des compétences et du matériel adéquats, les exposerait eux-mêmes à un risque d'accident s'ils étaient inopinément appelés à intervenir par une société autoroutière. La société ASF n'a donc pas commis de faute en s'abstenant d'alerter le personnel de la station-service Total de l'aire de Lançon-de-Provence afin qu'il se positionne en sortie pour arrêter les véhicules. Enfin, les deux patrouilleurs de la société ASF se sont dirigés vers la sortie de l'aire de repos dès qu'ils ont eu connaissance du véhicule à contresens, sans pouvoir arriver à temps pour empêcher la sortie du véhicule de Nicolas A... de cette aire de repos. Le déroulement des évènements démontre que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'était pas possible d'installer un patrouilleur en véhicule pour bloquer la sortie de l'aire de repos dans le bref laps de temps dont a disposé la société ASF.
10. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la société ASF ne peut être engagée. M. et Mme A... ne sont pas donc fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs conclusions indemnitaires.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme E... B... épouse A..., et à la société Autoroutes du Sud de la France (ASF).
Délibéré après l'audience du 12 avril 2023, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. D... et Mme G..., premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2023.
N° 21MA0490302