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12/04/2023 | FRANCE | N°21MA04784

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 12 avril 2023, 21MA04784


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Vitrolles à remettre en état leurs parcelles sur lesquelles ont été irrégulièrement implantés la voie, le trottoir et l'éclairage publics pour une superficie de 233m2, à leur restituer les parties de parcelles concernées par cette emprise sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15 octobre 2019 et à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance ab

usive.

Par un jugement n°1910970 du 18 novembre 2021, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Vitrolles à remettre en état leurs parcelles sur lesquelles ont été irrégulièrement implantés la voie, le trottoir et l'éclairage publics pour une superficie de 233m2, à leur restituer les parties de parcelles concernées par cette emprise sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15 octobre 2019 et à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Par un jugement n°1910970 du 18 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 décembre 2021, 20 juillet et 30 août 2022 et 8 mars 2023, M. B... D... et Mme A... C... épouse D..., représentés par Me Kujumgian Anglade, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du 18 novembre 2021 ;

2°) de condamner la commune de Vitrolles à remettre en état leurs parcelles, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de condamner la commune de Vitrolles à leur verser la somme de 100 euros par jour au titre de l'occupation irrégulière de leurs parcelles à compter du délibéré du premier jugement ;

4°) de condamner la commune de Vitrolles à leur verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de sa résistance abusive ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Vitrolles le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la commune ne peut se prévaloir de la prescription acquisitive trentenaire prévue par l'article L. 2258 du code civil alors notamment qu'elle leur a proposé d'acheter le terrain concerné pour régulariser l'emprise ;

- l'emprise est abusive dès lors que la commune aurait pu agir par la voie de l'expropriation et avait en outre la possibilité, lors des travaux effectués en 2020, de la faire cesser ;

- la suppression des ouvrages litigieux ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général alors que l'atteinte portée à leur droit de propriété est excessive ; les parcelles concernées sont situées dans une zone habitable à forte tension ; ils n'ont pu vendre ces parcelles du fait de l'emprise irrégulière qui a entraîné l'abandon de projets de construction portant sur la totalité des parcelles ;

- l'indemnité proposée par la commune pour acquérir leur terrain est manifestement sous-évaluée ;

- les refus successifs de la commune d'accéder à leurs prétentions les ont contraint à agir en justice et constituent une résistance abusive, les premiers juges ayant reconnu le caractère abusif de l'emprise.

Par des mémoires, enregistrés le 17 juin 2022, le 30 novembre 2022 et le 6 janvier 2023, la commune de Vitrolles, représentée par MCL Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance est irrecevable pour tardiveté, les requérants n'ayant pas contesté la décision du 22 février 2016 par laquelle elle a rejeté leur demande indemnitaire dans le délai de recours raisonnable ;

- les conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal par les requérants sont irrecevables ;

- les conclusions tendant à la réparation de la prétendue résistance abusive sont irrecevables, ce chef de préjudice n'ayant pas fait l'objet d'une demande préalable ;

- la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public ;

- les observations de Me Kujumgian-Anglade représentant M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D... sont propriétaires des parcelles cadastrées section BI 207 et BI 208, sises sur le territoire de la commune de Vitrolles, au lieu-dit " Saint-Bourdon " et classées successivement en zone 1 ND du plan d'occupation des sols, puis en zone UCa du plan local d'urbanisme communal. M. et Mme D... ont fait procéder le 5 avril 2013 à un bornage de leur propriété. Par des courriers des 9 avril et 11 mai 2015, ils ont demandé à la commune de Vitrolles de faire cesser l'emprise irrégulière d'une superficie de 233 m2 sur ces parcelles sur lesquelles ont été implantées la voie, le trottoir et l'éclairage publics du chemin Saint-Bourdon. Par des courriers des 7 septembre 2015 et 22 février 2016, la commune de Vitrolles a proposé aux époux D... le versement d'une indemnité afin de régulariser l'emprise irrégulière affectant leurs parcelles sur une superficie de 233 m², ce qu'ils ont refusé au motif que cette indemnité était sous-évaluée. Par un courrier du 1er octobre 2018, M. et Mme D... ont proposé à la commune de Vitrolles d'acquérir le terrain de 233 m² faisant l'objet de l'emprise pour une somme de 100 000 euros et sollicité le versement d'une somme de 6 500 euros au titre des frais engagés pour régulariser cette emprise. Par un courrier du 5 novembre 2018, la commune a réitéré sa proposition d'achat du terrain en cause pour un montant de 3 300 euros HT. Par des courriers du 24 juillet 2019 et 14 octobre 2019, M. et Mme D... ont formé de nouvelles demandes tendant d'une part, à la remise des lieux en l'état et, d'autre part, au versement d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 25 septembre 2019. La commune, qui n'a pas donné suite à ces demandes, a de nouveau réitéré, par un courrier du 29 octobre 2019, sa proposition d'achat pour un montant de 3 300 euros HT. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 18 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Vitrolles à remettre en état leurs parcelles sur lesquelles ont été irrégulièrement implantés la voie, le trottoir et l'éclairage publics pour une superficie de 233m2, à leur restituer les parties de parcelles concernées par cette emprise, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15 octobre 2019 et à leur verser une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'exception de prescription acquisitive :

2. Aux termes de l'article 2227 du code civil : " Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Aux termes de son article 2258 : " La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ". Aux termes de son article 2261 : " Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. ". Aux termes de son article 2272 : " Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. (...). ". En outre, l'article R. 771-2 du code de justice administrative dispose que : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle. "

3. Les époux D... justifient, par la production de l'attestation de vente du 11 septembre 2000 et du plan de bornage établi au contradictoire de la commune le 5 avril 2013, de leur qualité de propriétaires des parcelles cadastrées BI 207 et BI 208. La commune de Vitrolles invoque les dispositions du code civil relatives à la prescription acquisitive trentenaire pour revendiquer la propriété d'une partie des parcelles cadastrées section BI 207 et BI 208. Toutefois, ni les photographies aériennes datant des années 1960 et 1970 qu'elle produit pour illustrer les " prémices " de cette emprise, qui ne font apparaître que le tracé au demeurant imprécis d'un chemin de terre, ni le plan cadastral dont elle se prévaut, peu lisible et à la date incertaine, ni enfin les écritures des requérants, qui font seulement état de l'acquisition par la commune de parcelles voisines en 1982, n'établissent que la voie, le trottoir et l'éclairage publics litigieux auraient été implantés depuis plus de trente ans sur les parcelles des requérants avant qu'ils en sollicitent le déplacement. Dans ces conditions, la commune de Vitrolles ne justifie pas avoir, durant une période de trente années, possédé de manière continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire la bande de parcelles en cause, alors qu'elle a, au surplus, proposé aux époux D... d'acquérir celle-ci. La commune de Vitrolles ne peut, dès lors, se prévaloir du bénéfice de la prescription acquisitive trentenaire. Par suite, ainsi que l'a jugé le tribunal, la question de la propriété de la bande de parcelles en cause ne soulève pas une difficulté sérieuse au sens de l'article R. 771-2 du code de justice administrative justifiant qu'une question préjudicielle soit transmise à la juridiction judiciaire.

En ce qui concerne les conclusions tendant au déplacement des ouvrages publics :

4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier du plan de bornage et des vues aériennes produites par les requérants, que les ouvrages publics litigieux ont été implantés sur une partie des parcelles cadastrées section BI 207 et BI 208 appartenant aux époux D..., sur une superficie de 233 m². Il est constant qu'aucune convention de servitude autorisant l'implantation de ces ouvrages n'a été conclue et que la commune de Vitrolles ne justifie d'aucun autre titre l'autorisant à instaurer une servitude portant atteinte au droit de propriété des requérants. En outre, il est établi que M. et Mme D... ont refusé l'indemnité de 3 000 euros, puis de 3 300 euros HT qui leur a été proposée par la commune de Vitrolles au cours de l'année 2015. Dès lors, ainsi que l'a jugé le tribunal, la présence des ouvrages publics litigieux sur une superficie de 233m2 des parcelles appartenant à M. et Mme D... revêt le caractère d'une emprise irrégulière.

6. Il résulte de l'instruction qu'une régularisation de l'implantation de la voie publique, du trottoir et de l'éclairage public en litige n'apparaît pas envisageable à la date du présent arrêt dès lors, d'une part, que les perspectives d'un accord amiable entre les parties sont inexistantes et, d'autre part, que la commune de Vitrolles ne démontre pas qu'elle aurait engagé une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique qui serait susceptible d'aboutir.

7. Il résulte également de l'instruction que l'emprise litigieuse concerne une bande de terrain de 233 m2 situé à la lisière de la voie publique et de la propriété des requérants, dont la surface totale est de 48,79 ares. Les requérants, qui se prévalent uniquement de la perte de valeur vénale de leur bien du fait de l'implantation sur cette bande de terrain d'une partie de la voie, du trottoir et de l'éclairage publics, ne font état d'aucun trouble de jouissance occasionné par la présence de ces ouvrages. S'ils font valoir que la commune aurait pu procéder à leur déplacement lors des travaux de réhabilitation du chemin Saint-Bourdon qu'elle a effectués en décembre 2020, qui ont conduit au passage à sens unique de cette voie pour les automobilistes et à la création d'une piste cyclable à double sens, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur l'appréciation de l'atteinte à l'intérêt général qu'entraînerait, à la date du présent arrêt, la démolition de la voie, du trottoir et de l'éclairage publics litigieux. Eu égard aux inconvénients limités qu'entraîne la présence, sur une portion très réduite de la propriété des requérants, de ces ouvrages nécessaires à la libre circulation et à la sécurité des personnes qui empruntent la voie publique, leur déplacement, qui nécessiterait de nouveaux travaux engendrant des troubles temporaires à cette libre circulation et à cette sécurité et, par ailleurs, onéreux pour la collectivité publique, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs conclusions tendant au déplacement des ouvrages publics litigieux, sous astreinte.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

9. M. et Mme D... demandent à être indemnisés du préjudice qu'ils allèguent avoir subi du fait de la résistance abusive de la commune de Vitrolles, en sollicitant à ce titre la somme de 5 000 euros demandée en première instance ainsi que la condamnation de la commune à leur verser une somme de 100 euros par jour " au titre de l'occupation irrégulière par voie de fait à compter du délibéré du premier jugement ". Toutefois, ils n'établissent pas avoir subi un tel préjudice alors qu'il résulte de l'instruction que la commune de Vitrolles leur a proposé à plusieurs reprises au cours de l'année 2015 puis en 2018 et en 2019, de régulariser à l'amiable l'emprise litigieuse en acquérant la bande de parcelles sur laquelle sont implantés les ouvrages publics en cause.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leurs conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Vitrolles qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme D... demandent au titre des frais liés à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Vitrolles présentées à ce même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., Mme A... C... épouse D... et à la commune de Vitrolles.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2023, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Balaresque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023.

N° 21MA04784 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 21MA04784
Date de la décision : 12/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Diverses sortes de recours - Recours de plein contentieux - Recours ayant ce caractère.

Travaux publics - Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Claire BALARESQUE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : MCL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-04-12;21ma04784 ?
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