Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Gardéenne d'économie mixte a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Saint-Tropez à lui payer, en réparation du dommage causé par son éviction de l'attribution d'une concession d'aménagement, les sommes hors taxes de 48 804 000 euros au titre du manque à gagner, de 6 250 000 euros au titre de la perte d'industrie, de 50 000 euros au titre du préjudice d'image et de 97 450 euros au titre du coût de la constitution de son offre.
Par un jugement n° 1601998 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Saint-Tropez à payer à cette société une somme de 97 450 euros hors taxes et rejeté le surplus de la demande de la société.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2021, et un mémoire récapitulatif enregistré le 29 novembre 2021, la société anonyme Gardéenne d'économie mixte (SAGEM), représentée par le cabinet Richer et Associés Droit public, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à ses demandes présentées en première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Tropez, de la société SCET et de la société Kaufman et Broad Provence la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- le jugement, qui est entaché d'erreurs de droit, de dénaturation des écritures, de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur de qualification juridique des faits, est irrégulier ;
- le jugement ne répond pas suffisamment au moyen tiré de l'irrégularité de l'intervention de M. E..., architecte de la commune de Saint-Tropez, au bénéfice de ses concurrents ;
- le jugement n'a pas répondu au moyen, présenté par la société Gardéenne d'économie mixte, et tiré de ce qu'au stade de la négociation, elle n'avait pas abandonné son offre de base " A " qui était conforme aux documents de la consultation ;
- elle n'a jamais abandonné son offre de base, qui était conforme aux documents de la consultation ;
- la commune l'a manifestement et volontairement sous-notée ;
- son offre " F " était régulière ;
- les autres candidatures, émanant d'opérateurs non agréés, auraient dû être écartées ;
- les sociétés Vinci et Icade ne disposaient pas de capacités techniques suffisantes, en l'absence de compétence ou référence en matière d'expropriation, préemption ou comme concessionnaire d'aménagement ;
- l'intervention de M. E..., architecte de la commune, au bénéfice de ses concurrents, a vicié la procédure ;
- le partenariat entre la société Icade et la société PERL " [indique] que ce candidat voulait contourner l'obligation qui lui était faite de construire des logements sociaux à proposer sur une durée habituelle ", dès lors que la société PERL est spécialisée dans l'usufruit locatif social, qui est un logement social provisoire ;
- l'assistant de la commune, la société SCET, était en situation de conflits d'intérêts compte tenu de l'appartenance de la société Icade au même groupe ;
- les irrégularités entachant la procédure de passation lui ont fait perdre une chance sérieuse de remporter la convention ;
- elle a donc droit à être indemnisée de la totalité de son préjudice, correspondant à son manque à gagner, ses frais de soumissionnement, sa perte d'industrie et son préjudice d'image.
Par deux mémoires, enregistrés le 6 mai 2021 et le 30 novembre 2021, la société anonyme Société Services Conseil Expertises Territoires (SCET), représentée par Me Lecomte, demande à la Cour :
1°) à titre principal, de confirmer le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a accordé à la société Gardéenne d'économie mixte une indemnisation de 97 450 euros hors taxes ;
2°) de rejeter cette demande ;
3°) de rejeter toute demande formulée à son encontre ;
4°) subsidiairement, de prescrire une expertise et de mettre à la charge de la société Gardéenne d'économie mixte l'éventuelle allocation provisionnelle au titre des honoraires de l'expert ;
5°) dans tous les cas, de mettre à la charge de la société Gardéenne d'économie mixte la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société SCET soutient que :
- le jugement est mal fondé en tant qu'il accorde une indemnité à la société Gardéenne d'économie mixte ;
- les moyens présentés par la société Gardéenne d'économie mixte sont infondés ;
- l'appel en garantie présenté par la commune de Saint-Tropez est infondé.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 10 septembre 2021, et un second mémoire enregistré 13 mars 2022, la commune de Saint-Tropez, représentée par Me Capiaux puis par Me Bernard-Chatelot et par Me Antoine, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la SCET à relever la commune de toute condamnation prononcée contre elle ;
3°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de la société Gardéenne d'économie mixte au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- les moyens de la requête d'appel sont infondés ;
- l'offre de la société Gardéenne d'économie mixte était irrégulière.
Par un mémoire, enregistré le 25 octobre 2021, la société à responsabilité limitée Kaufman et Broad Provence, représentée par la SCP Celice, Texidor, Perier, demande à la Cour de lui donner acte de ce qu'aucune conclusion n'est formulée contre elle, avec toutes conséquences de droit.
Elle soutient que les prétentions de la société Gardéenne d'économie mixte sont infondées.
Par ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 mars 2022.
La commune de Saint-Tropez a produit un mémoire le 14 mars 2023, après clôture de l'instruction. Il a été pris connaissance de ce mémoire, qui n'a pas été communiqué.
Par lettre du 3 mars 2023, la Cour a informé les parties que l'arrêt à intervenir serait susceptible de se fonder sur le moyen d'ordre public tiré de ce que, nul ne plaidant par procureur, à l'exception des mandataires prévus par les articles R. 432-1 et R. 432-2 du code de justice administrative, la société SCET n'est pas recevable à contester en appel la condamnation de la commune de Saint-Tropez.
Par un mémoire, enregistré le 15 mars 2023, la Société Services Conseil Expertises Territoires (SCET) a présenté ses observations sur ce moyen.
Par un mémoire, enregistré le 18 mars 2023, la commune de Saint-Tropez a également présenté ses observations sur ce moyen.
Ces deux mémoires ont été communiqués aux parties, sans avoir pour effet de rouvrir l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Meyer, pour la société Gardéenne d'économie mixte, de Me Antoine, pour la commune de Saint-Tropez, de Me Lecomte, pour la société SCET, et de Me Périer, pour la société Kaufman et Broad Provence.
Il a été pris connaissance des notes en délibéré adressées :
- le 20 mars 2023 pour la société Gardéenne d'économie mixte ;
- le 23 mars 2023 pour la commune de Saint-Tropez ;
- et le 24 mars 2023 pour la société SCET.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 23 décembre 2010, la commune de Saint-Tropez a lancé une procédure de consultation en vue de la passation d'une concession d'aménagement. Le 22 août 2011, le contrat de concession a été signé avec la société Kaufman et Broad Provence. Par une décision n° 413584 en date du 15 mars 2019, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi par la société Gardéenne d'économie mixte, a prononcé l'annulation de ce contrat. La société Gardéenne d'économie mixte a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de la commune à l'indemniser, à hauteur de 55 201 450 euros hors taxes, du préjudice résultant de son éviction. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a seulement condamné la commune de Saint-Tropez à l'indemniser à hauteur d'une somme de 97 450 euros correspondant au montant de ses frais de soumissionnement. La société Gardéenne d'économie mixte fait appel de ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses demandes.
1. Sur la mise hors de cause :
2. Dans le cadre de l'instance d'appel, aucune conclusion n'est présentée à l'encontre de la société Kaufman et Broad Provence, à laquelle le jugement attaqué ne préjudicie pas. Cette société doit donc être mise hors de cause.
2. Sur la recevabilité des conclusions et écritures présentées en appel :
2.1. En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la société Gardéenne d'économie mixte aux écritures de défense de la commune :
3. Si le premier mémoire en défense de la commune de Saint-Tropez mentionne le fait que celle-ci est " représentée par son maire en exercice Monsieur D... C... ", alors que Mme B... A... était entretemps devenue maire à la place de M. C..., cette erreur a, en tout état de cause, été corrigée dans le mémoire présenté le 13 mars 2022 par la commune. La commune était donc bien représentée par une personne ayant qualité pour ce faire.
2.2. En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de la société SCET dirigées contre l'article 1er du jugement :
4. Nul ne plaide par mandataire, autre qu'un de ceux prévus par les articles R. 432-1 et R. 432-2 du code de justice administrative. Aussi, la société SCET n'est pas recevable à contester en appel la condamnation de la commune de Saint-Tropez.
3. Sur l'appel de la société Gardéenne d'économie mixte :
5. Dans le point 6 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a retenu qu'" il ne résulte pas de l'instruction que l'offre de la SAGEM aurait été manifestement sous-évaluée par la commune dès lors que l'offre finale " F " de la SAGEM ne répondait pas au cahier des charges de la commune ". Toutefois, le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen, soulevé par la société Gardéenne d'économie mixte, et tiré de ce que cette dernière n'avait pas abandonné son offre de base " A " qui était quant à elle conforme aux documents de la consultation. Ce moyen n'était pas inopérant.
6. La société appelante est donc fondée à soutenir que le jugement est, pour ce motif, irrégulier. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle présente à l'appui de son appel, elle est fondée à en demander l'annulation en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions.
7. Il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer l'affaire pour y statuer immédiatement.
4. Sur la demande indemnitaire de la société Gardéenne d'économie mixte :
4.1. En ce qui concerne le cadre juridique :
8. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un contrat demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter ce contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
4.2. Sur le droit à indemnité de la société Gardéenne d'économie mixte :
4.2.1. S'agissant de la régularité de l'offre de la société Gardéenne d'économie mixte :
9. Les parties intimées, pour s'opposer à la demande indemnitaire de la société Gardéenne d'économie mixte, soutiennent que la société avait, à l'issue des négociations, abandonné son scénario noté " A ", qui était seul conforme aux exigences des documents de la consultation, ne maintenant que ses scénarios notés " C " et " F ", lesquels, prévoyant la vente en l'état futur d'achèvement de cent quatorze logements à la commune, n'étaient donc quant à eux pas conformes aux exigences des documents de la consultation.
10. Toutefois, la société Gardéenne d'économie mixte n'a jamais fait expressément part à la commune de sa volonté d'abandonner son scénario de base " A ". D'ailleurs, il ressort du tableau synthétisant les offres discutées au moment de la négociation que l'ensemble des offres " A ", " B ", " C " et " F " a été examiné à ce stade. De même, le rapport d'analyse établi le 21 juin 2011 par la commission ad hoc relève que la société " répond[ait] au scénario de base avec l'offre financière la plus élevée et la marge la plus faible ". Dans ces conditions, à supposer même que, lors de son audition, le représentant de la société Gardéenne d'économie mixte ait insisté particulièrement sur les scénarios notés " C " et " F ", qui n'étaient donc pas conformes aux exigences des documents de la consultation, cette circonstance ne peut suffire à considérer que la société Gardéenne d'économie mixte avait renoncé à son offre de base notée " A ".
11. Il résulte de ce qui précède que les parties intimées ne sont donc pas fondées à soutenir que l'irrégularité de l'offre " F " de la société Gardéenne d'économie mixte faisait obstacle à ce qu'elle remportât le contrat de concession.
4.2.2. S'agissant des chances respectives des différents candidats :
12. Lors de la réunion de la commission ad hoc en date du 21 juin 2011, au terme de laquelle celle-ci a décidé de poursuivre les négociations avec les seules sociétés Kaufman et Broad Provence et Icade, la société Gardéenne d'économie mixte a été classée 4ème avec une note de 7,02 / 10, tandis que les sociétés Kaufman et Broad Provence, Icade et Vinci recevaient les notes de 8,32 / 10, 8,69 / 10 et 7,99 / 10. Il ressort du tableau détaillé produit par la commune que l'écart de notes au détriment de la société Gardéenne d'économie mixte s'explique, en premier lieu, par l'attribution d'une note de 2,8 / 4 au titre du critère n° 1, intitulé " capacité technique et financière des candidats et aptitude à conduire l'opération projetée ", là où les sociétés Kaufman et Broad Provence, Icade et Vinci ont reçu les notes de 3,6 / 4, 4 / 4 et 4 / 4 et, en second lieu, par l'attribution d'une note de 2,22 sur 4 au critère n° 2, relatif à la valeur technique de l'offre, là où ces sociétés ont reçu les notes de 3,4 / 20, 3,43 / 20 et 2,70 / 20. Il ressort de ce même tableau que cette note relativement faible au critère n° 2 s'explique pour l'essentiel par l'attribution d'une note en valeur pondérée de 0,28 / 0,8 (soit 0,7 / 2 en valeur non pondérée) au titre du sous-critère 2.1 " qualité de la méthodologie, valeur technique de la réponse au cahier des charges ", inférieure aux notes de 0,72 (soit 1,8 / 2 en valeur non pondérée), 0,8 (soit 2 / 2 en valeur non pondérée) et 0,56 (soit 1,4 / 2 en valeur non pondérée) attribuées aux sociétés Kaufman et Broad Provence, Icade et Vinci, et par l'attribution d'une note pondérée de 0,24 / 1,2 (0,6 / 3 en valeur non pondérée) au sous-critère 2.4 " délais de réalisation ", inférieure aux notes de 0,95 (2,37 / 3 en valeur non pondérée), 0,9 (2,25 / 3 en valeur non pondérée) et 0,84 (2,1 / 3 en valeur non pondérée) attribuées à ces sociétés.
13. Il ressort des appréciations littérales accompagnant ces notations que trois séries d'appréciations étaient formulées par la commission à l'encontre de l'offre de la société Gardéenne d'économie mixte. En premier lieu, l'avis exprime d'abord le " sentiment général que le projet ne reposera que sur un seul homme ", " le directeur général de la Gardéenne d'économie mixte " et qui " ne se présente pas avec ses partenaires, lors de l'audition, alors même que des propositions d'achats formulées par ces partenaires sont communiquées au dossier du candidat ". En deuxième lieu, l'avis note que " la Gardéenne d'économie mixte répond au scénario de base avec l'offre financière la plus élevée et la marge la plus faible " et note une " connaissance et maîtrise de son offre et de ses différents scénarios " et " bonne connaissance des objectifs de la [direction départementale des territoires et de la mer] et des montages d'opérations immobilières en logements sociaux ". En troisième lieu, la commission exprime des doutes sur le réalisme du calendrier proposé, compte tenu de l'absence de précision sur le mode de sélection du constructeur et de prise en compte des délais d'appel d'offre pour choisir le bailleur social. En quatrième lieu, l'avis critique, comme inadaptés, les scénarios " C " et " F ", proposés par la Gardéenne d'économie mixte, qui prévoient le rachat par la commune, suivant le régime de la vente en l'état futur d'achèvement, de cent quatorze logements, en relevant que ce scénario modifierait l'objet de la consultation. Dans un tableau intitulé " avantages - inconvénients ", le rapport d'analyse note ensuite, au titre des avantages " - optimisation du calendrier / - part en numéraire scénario 1 / - scénarios diversifiés qui laissent le choix à la ville de définir le montant des loyers / - BEA sur 31 logements 1 638 000 euros / - marges faibles dont prix de revient pour la ville intéressants / - offre très complète jusqu'aux bilans financiers / - scénarios C et F (remise de 114 logements à la ville) évitent la procédure d'obtention de l'agrément PLS et permet à la ville de maîtriser les loyers et l'attribution ". Au titre des inconvénients, ce même tableau note : " - Calendrier trop optimisé / - tous les appels d'offres pour la construction et la gestion des biens sont à passer ; / - vente en VEFA à la ville : risque de requalification du contrat / - marges faibles qui laissent des doutes sur l'équilibre de l'opération / - offre très détaillée qui peut nuire à la clarté / - opération qui semble porter sur les épaules d'un seul homme / - montant des dations n'est jamais reporté dans les bilans à la valeur totale ".
14. Il résulte donc du rapprochement entre les notes attribuées aux critères et sous-critères et les appréciations littérales que la note relativement faible attribuée au titre du critère 1 " capacité technique et financière des candidats et aptitude à conduire l'opération projetée " est justifiée non par le manque d'expérience de la société, dont la commission souligne la bonne connaissance des montages de ce type, mais par le " sentiment général que le projet ne reposera que sur un seul homme ", " le directeur général de la Gardéenne d'économie mixte ", qui s'était présenté seul. Toutefois, cette seule circonstance n'était pas de nature à justifier une note aussi basse, alors qu'il est constant que, des quatre candidats, la société Gardéenne d'économie mixte est celle qui bénéficiait de l'expérience la plus significative en qualité d'aménageur et en matière de construction de logements sociaux. En outre, l'appréciation de la commission a pu sur ce point être influencée par le fait que, contrairement à ses trois concurrentes, la société Gardéenne d'économie mixte n'avait pas bénéficié, lors des négociations, de l'assistance du cabinet E..., qui avait établi pour le compte de la commune de Saint-Tropez les dossiers de demande de permis de construire sur la base desquels les offres devaient être élaborées, et dont la participation irrégulière à la négociation, a été de nature, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat à rompre l'égalité entre les candidats en avantageant les concurrentes de la société Gardéenne d'économie mixte.
15. Il résulte par ailleurs de ce même rapprochement entre les notes attribuées aux critères et sous-critères et les appréciations littérales que la note relativement faible attribuée au titre du sous-critère 2.1 " qualité de la méthodologie, valeur technique de la réponse au cahier des charges permettant la réalisation d'un projet pertinent en matière d'urbanisme, d'architecture et de développement durable " trouve sa seule explication précise et argumentée dans le fait que la proposition de rachat de cent quatorze logements sociaux par la commune ne correspondait pas au besoin exprimé par celle-ci, ce qui entraînait un " risque de requalification du contrat ". Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 10 ci-dessus, ce grief ne concerne que les scénarios notés " C " et " F ", et non le scénario " A " qui ne fait l'objet d'aucune critique à cet égard alors qu'il n'avait pas été abandonné. Cette irrégularité, si elle devait conduire à écarter comme irrégulières les offres " C " et " F ", ne pouvait donc conduire à minorer la note attribuée à l'offre notée " A ".
16. S'agissant, enfin, du sous-critère 2.4, relatif aux " délais de réalisation ", il résulte du même rapprochement entre le tableau de notation et les appréciations littérales que la note relativement faible attribuée au titre du sous-critère 2.4 " délais de réalisation " a été justifiée par le caractère irréaliste du nouveau calendrier " optimisé " proposé. En effet, après avoir initialement proposé à la commune des délais de trente mois, vingt-sept mois et quarante mois pour les secteurs des Lices, du Couvent et de l'hôpital, la société Gardéenne d'économie mixte, à la demande de la commune, a réduit ces délais en les ramenant à quatorze mois, vingt-deux mois et vingt-neuf mois. Ces nouveaux délais ont paru irréalistes à la commission ad hoc compte tenu des délais d'appel d'offres. Toutefois, cette appréciation ne justifiait pas, à elle seule, l'attribution d'une telle note. En effet, la société Gardéenne d'économie mixte avait précisé, dans son courrier en date du 6 juin 2011, que le nouveau planning optimisé proposé n'était valable que dans le cas des scénarios " C " et " F " prévoyant la remise des logements locatifs à la ville, et que, " dans l'hypothèse d'un conventionnement, il conviendrait d'en rester au planning déjà présenté ". Dès lors, il appartenait à la commission, qui avait écarté à juste titre la possibilité d'une vente en l'état futur d'achèvement, de porter une appréciation non pas sur ce nouveau calendrier, mais sur les délais initialement proposés par la société Gardéenne d'économie mixte. Or, cette offre, qui prévoyait des délais de trente mois, vingt-sept mois et quarante mois, avait reçu la note de 2,28 / 4 (en valeur non pondérée), soit 0,912 / 1,2 en valeur pondérée.
17. Ces différentes irrégularités, qui ont conduit à l'éviction de la société Gardéenne d'économie mixte, ont privé cette dernière d'une chance sérieuse de remporter la concession d'aménagement.
4.3. En ce qui concerne le préjudice :
4.3.1. S'agissant de la perte d'industrie :
18. Si la société Gardéenne d'économie mixte soutient qu'elle a été écartée de " nombreuses opérations potentielles proches de la presqu'île de Saint-Tropez ", elle n'établit pas que ces rejets s'expliqueraient " par le retentissement négatif de l'éviction par la commune de Saint-Tropez ", ou par des manœuvres de personnes intéressées.
4.3.2. S'agissant du préjudice d'image :
19. Il ne résulte pas de l'instruction que l'éviction irrégulière de la société Gardéenne d'économie mixte aurait causé à cette dernière un préjudice d'image.
4.3.3. S'agissant du manque à gagner :
20. Ayant été privée d'une chance sérieuse de remporter la concession d'aménagement, la société Gardéenne d'économie mixte a droit à être indemnisée de son manque à gagner, qui correspond au bénéfice net supplémentaire qu'elle aurait enregistré si son offre " A " avait été retenue. L'évaluation de ce préjudice faite par la société Gardéenne d'économie mixte est fondée sur des documents et des calculs qui sont contestés par les autres parties. Le dossier ne permet pas de trancher cette contestation et de chiffrer le manque à gagner de la société. Il y a donc lieu de prescrire une expertise comptable dans ce but.
4.3.4. S'agissant des frais de constitution de l'offre :
21. Le manque à gagner incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, ces derniers ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation spécifique. La société Gardéenne d'économie mixte n'a donc pas droit à l'indemnisation de ces frais en supplément de celle du manque à gagner.
5. Sur la demande de renvoi :
22. Conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance des mémoires et notes en délibéré enregistrés après la clôture de l'instruction avant de rendre sa décision, ainsi, au demeurant, que de les viser sans les analyser. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte - après les avoir visés et, cette fois, analysés - il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire ou cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
23. Si, dans leurs écritures présentées après la clôture de l'instruction, et lors de l'audience publique, les parties défenderesses ont sollicité le renvoi de l'affaire en présentant de nouveaux moyens, ces écritures ne contiennent l'exposé d'aucune circonstance de fait dont elles n'étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite, ni d'aucune circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait, en l'espèce, relever d'office.
24. Par ailleurs, aucune considération tenant à la bonne administration de la justice ne justifie en l'espèce le renvoi. En particulier, si, dans ses écritures présentées après la clôture de l'instruction, la commune de Saint-Tropez soutient, pour la première fois et en contradiction avec ses précédentes affirmations, que l'offre " A " présentée par la société Gardéenne d'économie mixte était elle-même irrégulière, elle ne l'établit pas. A ce titre, si elle cite un nouvel extrait du rapport d'analyse des offres, distinct des éléments déjà produits et discutés par les parties avant la clôture de l'instruction, cet extrait se borne à mentionner, sans plus de précision, que " l'analyse est ramenée au seul bilan F formé par le candidat en ce qu'il répond aux objectifs quantitatifs et qualitatifs de la consultation relative à l'opération d'aménagement des deux quartiers urbains projetés par le concédant " et que " les autres propositions sont inappropriées à ces objectifs en ne leur répondant pas. Ainsi, le bilan A [ne] fait apparaître que le bilan aménageur, le bilan se positionnant par priorité en qualité unique d'aménageur ". Cette seule appréciation ne peut, en tout état de cause, suffire à établir que l'offre " A " de la société SAGEM était irrégulière. Rien n'indique notamment que cette offre méconnaîtrait l'obligation, figurant à l'article 2 du règlement de la consultation, de réaliser les logements locatifs à prix maîtrisé sous la forme d'un bail emphytéotique. A ce titre, s'agissant de l'offre " A ", le document présentant les différentes offres de la SAGEM, produit par la commune, ne prévoit, contrairement à ce que cette dernière soutient, pas de remise en dation à la commune, mais fait bien, au contraire, état du recours au à la technique du bail emphytéotique administratif.
25. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de renvoi.
D É C I D E :
Article 1er : La société Kaufman et Broad Provence est mise hors de cause.
Article 2 : Les conclusions d'appel présentées par la société SCET sont rejetées.
Article 3 : L'article 3 du jugement n° 1601998 du 30 décembre 2020 du tribunal administratif de Toulon qui rejette le surplus de la demande de la société Gardéenne d'économie mixte est annulé.
Article 4 : Les demandes de la société Gardéenne d'économie mixte tendant à l'indemnisation de sa perte d'industrie, de son préjudice d'image et de ses frais de soumissionnement sont rejetées.
Article 5 : La commune de Saint-Tropez est déclarée responsable du préjudice correspondant au manque à gagner subi par la société Gardéenne d'économie mixte du fait de son éviction.
Article 6 : Il sera procédé à une expertise, au contradictoire de l'ensemble des parties présentes à l'instance, avec mission pour l'expert :
1°) de se faire communiquer tous documents utiles ;
2°) de chiffrer le montant du manque à gagner subi par la société Gardéenne d'économie mixte du fait de son éviction de l'attribution du contrat de concession d'aménagement, correspondant au supplément de bénéfice net qui aurait été enregistré par cette société si elle avait réalisé le projet correspondant à son offre de base notée " A ".
Article 7 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. Il déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 8 : Tous les droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gardéenne d'économie mixte, à la commune de Saint-Tropez, à la société Services Conseil Expertises Territoires (SCET) et à la société Kaufman et Broad Provence.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2023.
N° 21MA00626 2