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27/03/2023 | FRANCE | N°22MA01757

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 27 mars 2023, 22MA01757


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Jouaboul a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2021 par lequel le maire de l'Île-Rousse a délivré à la SCCV Stazzona un permis de construire un immeuble de quatre niveaux sur les terrains cadastrés section B nos 1909, 1802 et 341.

Par un jugement n° 2100287 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté en tant que le projet autorisé excède la hauteur permise par les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme.



Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 23...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Jouaboul a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2021 par lequel le maire de l'Île-Rousse a délivré à la SCCV Stazzona un permis de construire un immeuble de quatre niveaux sur les terrains cadastrés section B nos 1909, 1802 et 341.

Par un jugement n° 2100287 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté en tant que le projet autorisé excède la hauteur permise par les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 23 mars et 26 octobre 2022, ainsi que le 13 janvier 2023, la commune de l'Île-Rousse, représentée par Me Muscatelli, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 5 du jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SCI Jouaboul en première instance ;

3°) de mettre à sa charge la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué comporte une erreur matérielle sur une date ;

- la SCI Jouaboul n'a pas intérêt à agir contre le permis de construire contesté ;

- le projet pouvait être autorisé sur le fondement de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme ;

- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur matérielle quant aux dimensions des constructions ;

- il convient de substituer les dimensions du projet à celles figurant dans l'arrêté contesté ;

- les autres moyens soulevés par la SCI Jouaboul sont infondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 octobre et les 2, 6 et 29 décembre 2022, la SCI Jouaboul, représentée par Me Peres, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par la commune de l'Île-Rousse ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la commune de l'Île-Rousse ne sont pas fondés ;

- le maire n'a pas été saisi d'une demande de dérogation par le pétitionnaire ;

- elle se réfère à ses moyens de première instance.

Par des observations, enregistrées le 27 octobre 2022 et le 12 janvier 2023, la SCCV Stazzona, représentée par Me Albertini, demande à la cour :

1°) de faire droit aux conclusions de la commune de l'Île-Rousse ;

2°) de condamner la SCI Jouaboul à lui verser la somme de 1 352 000 euros sur le fondement de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme ;

3°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la SCI Jouaboul en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SCI Jouaboul n'a pas intérêt à agir contre le permis de construire contesté ;

- le projet pouvait être autorisé sur le fondement de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme ;

- il convient de prendre en compte les dimensions réelles du projet.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me Costa, substituant Me Muscatelli, avocat de la commune de l'Île-Rousse.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 5 janvier 2021, la maire de l'Île-Rousse a délivré à la SCCV Stazzona un permis de construire un immeuble de quatre niveaux sur les parcelles cadastrées section B nos 1909, 1802 et 341. Par un jugement du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia, après avoir donné acte du désistement d'une autre partie, a fait droit à la demande de la SCI Jouaboul et annulé l'arrêté du 5 janvier 2021 en tant que le projet autorisé excède la hauteur permise par les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme. La commune de l'Île-Rousse fait appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de la SCI Jouaboul.

Sur l'intérêt à agir de la SCI Jouaboul :

2. Le premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme prévoit qu' : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. " L'article L. 600-1-3 du même code ajoute que : " Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. "

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction (CE, 13 avr. 2016, n° 389798, publié au recueil Lebon).

4. Le présent litige porte sur la légalité d'un permis de construire délivré à la SCCV Stazzona par un arrêté du 5 janvier 2021 de la maire de l'Île-Rousse pour la construction d'un immeuble de quatre niveaux sur les parcelles cadastrées section B nos 1909, 1802 et 341. Force est de constater qu'il ne porte pas sur un permis de construire antérieur délivré à un autre pétitionnaire. Il résulte de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, dont les termes sont rappelés ci-dessus, que l'intérêt à agir des tiers s'apprécie au regard du projet faisant l'objet du permis contesté, et non, comme le soutient la SCCV Stazzona, au regard de la situation que l'auteur du recours aurait pu envisager au regard d'autres projets lors de l'acquisition de son bien immobilier. En l'espèce, la SCI Jouaboul a acquis un appartement dans un immeuble voisin en 2017, à une date en tout état de cause antérieure à celle du dépôt de la demande de permis de construire. Si la commune allègue que la SCI Jouaboul n'était plus propriétaire du bien en question à la date d'introduction de sa demande devant le tribunal administratif, elle ne l'établit pas. La construction d'un immeuble de quatre étages comprenant notamment une structure hôtelière, implanté à six mètres de distance, affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien par la SCI Jouaboul, riverain immédiat, notamment en ce qui concerne la perte d'intimité et l'ensoleillement. La fin de non-recevoir opposée en appel par la commune de l'Île-Rousse et la SCCV Stazzona doit donc être écartée.

Sur l'illégalité de la dérogation accordée sur le fondement de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme :

5. Aux termes de l'article R. 111-16 du code de l'urbanisme : " Lorsque le bâtiment est édifié en bordure d'une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l'immeuble au point le plus proche de l'alignement opposé doit être au moins égale à la différence d'altitude entre ces deux points. Lorsqu'il existe une obligation de construire au retrait de l'alignement, la limite de ce retrait se substitue à l'alignement. Il en sera de même pour les constructions élevées en bordure des voies privées, la largeur effective de la voie privée étant assimilée à la largeur réglementaire des voies publiques. / Toutefois une implantation de la construction à l'alignement ou dans le prolongement des constructions existantes peut être imposée. " Aux termes de l'article R. 111-17 du même code : " A moins que le bâtiment à construire ne jouxte la limite parcellaire, la distance comptée horizontalement de tout point de ce bâtiment au point de la limite parcellaire qui en est le plus rapproché doit être au moins égale à la moitié de la différence d'altitude entre ces deux points, sans pouvoir être inférieure à trois mètres. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 111-19 : " Des dérogations aux règles édictées aux articles R. 111-15 à R. 111-18 peuvent être accordées par décision motivée de l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3, après avis du maire de la commune lorsque celui-ci n'est pas l'autorité compétente. "

6. Il résulte de ces dispositions qu'une dérogation peut être légalement autorisée si les atteintes qu'elle porte à l'intérêt général que les prescriptions d'urbanisme ont pour objet de protéger ne sont pas excessives eu égard à l'intérêt général que présente cette dérogation.

7. Le permis contesté déroge aux règles de prospect prévues par les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme. Pour justifier cette dérogation, la maire s'est fondée sur le fait que le projet comprend une structure hôtelière de dix-huit chambres et une résidence service séniors de neuf appartements, répondant aux besoins de la micro-région de Balagne en la matière. Toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la question n'est pas de savoir si le projet autorisé répond à un ou plusieurs motifs d'intérêt général, mais si la dérogation accordée présente un intérêt général supérieur aux atteintes qu'elle porte à celui protégé par les prescriptions d'urbanisme en question. La commune et le pétitionnaire n'ont jamais précisé en quoi les motifs invoqués, qui sont relatifs à la nature du projet lui-même, justifieraient de déroger aux règles de prospect prévues par les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme. Il n'est donc pas établi que la dérogation accordée réponde elle-même à un motif d'intérêt général. Par suite, le tribunal administratif a retenu à bon droit le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-19 du même code.

Sur la demande de substitution de motifs :

8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. En premier lieu, la commune et le pétitionnaire font valoir que le projet contribuera à l'esthétique du quartier du centre-ville, comme le ferait toute construction nouvelle dans cet environnement où le bâti existant serait disparate, vétuste et peu entretenu. Ce motif ne justifie pas une dérogation sur le fondement de l'article R. 111-19 du code de l'urbanisme, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 7.

10. En deuxième lieu, la commune fait valoir que la construction aura une hauteur semblable aux immeubles limitrophes, ce qui permettrait une harmonie des volumes de ce quartier. Ce motif est contredit par les pièces du dossier, selon lesquelles les bâtiments avoisinants ont des hauteurs en façade variées. En outre, le caractère inesthétique d'une construction respectant les règles de prospect n'est pas démontré. Une dérogation justifiée par des considérations esthétiques aussi limitées emporterait une atteinte excessive à l'intérêt général que les prescriptions d'urbanisme ont pour objet de protéger, en particulier en ce qui concerne la protection de la situation des riverains immédiats.

11. En troisième lieu, la commune fait valoir que le permis contesté est entaché d'une erreur matérielle en ce qui concerne les hauteurs en façade de la construction autorisée, qui diffèrent de celles figurant dans le dossier de demande de permis de construire. Toutefois, ces dernières ne respectent pas davantage les articles R. 111-16 et R. 111-17 du code de l'urbanisme, sans qu'une dérogation sur le fondement de l'article R. 111-19 du même code soit justifiée, ainsi qu'il résulte de ce qui a été vu ci-dessus.

12. Il suit de là que ces nouveaux motifs ne peuvent être substitués à ceux initialement retenus à tort par la commune.

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commune de l'Île-Rousse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a partiellement annulé l'arrêté du 5 janvier 2021 de la maire de la commune.

Sur l'erreur matérielle affectant le dispositif du jugement :

14. L'article 3 du jugement attaqué prévoit, pour l'application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme, que : " Le délai dans lequel la SCV Stazzona pourra demander la régularisation du permis de construire délivré par l'arrêté du 21 septembre 2020 est fixé à trois mois à compter de la notification du présent jugement ", alors que l'arrêté en litige est daté du 5 janvier 2021. Il convient de rectifier cette erreur matérielle.

Sur l'application de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme :

15. La SCCV Stazzona demande pour la première fois en appel la condamnation de la SCI Jouaboul à lui verser la somme de 1 352 000 euros sur le fondement de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme. Ces conclusions ne sont pas présentées par un mémoire distinct. En outre, ainsi qu'il a notamment été vu aux points 2 à 7, la demande présentée par la SCI Jouaboul n'est pas revêtue d'un caractère abusif, ce que la SCCV Stazzona n'argumente d'ailleurs pas. Enfin, le préjudice allégué n'est établi par aucune pièce du dossier. Ces conclusions doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. La commune de l'Île-Rousse est partie perdante pour l'essentiel. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à sa charge le versement de la somme de 2 000 euros à la SCI Jouaboul au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

17. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune et la SCCV Stazzona sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : A l'article 3 du jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Bastia, les mots " l'arrêté du 21 septembre 2020 " sont remplacés par les mots " l'arrêté du 5 janvier 2021 ".

Article 2 : Le surplus des conclusions de la commune de l'Île-Rousse est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SCCV Stazzona sont rejetées.

Article 4 : La commune de l'Île-Rousse versera la somme de 2 000 euros à la SCI Jouaboul en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de l'Île-Rousse, à la SCI Jouaboul et à la SCCV Stazzona.

Délibéré après l'audience du 13 mars 2023, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2023.

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No 22MA01757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01757
Date de la décision : 27/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-03-01-02-01 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Légalité interne du permis de construire. - Légalité au regard de la réglementation nationale. - Règlement national d'urbanisme. - Dérogations.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : CABINET MUSCATELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-03-27;22ma01757 ?
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