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03/03/2023 | FRANCE | N°22MA00886

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 03 mars 2023, 22MA00886


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Engie a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté en date du 30 janvier 2020 par lequel la préfète de Corse l'a mise en demeure de se mettre en conformité avec la réglementation du code de l'environnement relative aux espèces protégées, sur des parcelles situées au lieu-dit A..., dans la commune d'Ajaccio.

Par un jugement n° 2000308 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une r

equête enregistrée le 22 mars 2022 et un mémoire enregistré le 9 février 2023, sous le n° 22MA00...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Engie a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté en date du 30 janvier 2020 par lequel la préfète de Corse l'a mise en demeure de se mettre en conformité avec la réglementation du code de l'environnement relative aux espèces protégées, sur des parcelles situées au lieu-dit A..., dans la commune d'Ajaccio.

Par un jugement n° 2000308 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 mars 2022 et un mémoire enregistré le 9 février 2023, sous le n° 22MA00886, la société anonyme Engie, représentée par Me Chevallier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000308 du 25 janvier 2022 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) d'annuler l'arrêté en date du 30 janvier 2020 de la préfète de Corse ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de manquement permettant de justifier la mise en demeure ;

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs ;

- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé, en l'absence de considérations de fait suffisamment précises ;

- cet arrêté prescrit, en méconnaissance du I de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de nouvelles obligations par rapport à l'arrêté du 24 octobre 2015 modifié, en délimitant les terrains soumis à mesures compensatoires sur les parcelles du lieu-dit A..., dans la commune d'Ajaccio, en rétablissant la topographie initiale et la végétation en mosaïque de ce site et en y rétablissant la population de tortue d'Hermann ;

- cet arrêté prescrit des moyens très détaillés d'exécution excédant les pouvoirs du préfet s'agissant d'une mise en demeure ;

- elle respecte les obligations quantitatives prescrites par l'arrêté du 24 octobre 2015 modifié de surface de compensation de 20 hectares, les surfaces de 2,89 hectares du site de Loretto relevant bien des mesures de compensation prévues, pour atteindre un total de 22,99 hectares qu'elle a couverts pour répondre à ses obligations de compensation ;

- elle respecte les obligations qualitatives prescrites par l'arrêté du 24 octobre 2015 modifié, la circonstance qu'une partie de la zone de compensation du site de A... a été détruite par un tiers ne pouvant remettre en cause l'intégralité de la compensation opérée sur ce site, dans le respect du principe d'équivalence écologique posé par l'article L. 163-1 du code de l'environnement et de l'objectif de compensation à long-terme résultant de mesures de gestion qui s'étendent sur 20 ans.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Engie ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Prieto,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;

- et les observations de Me Chevallier représentant la société Engie.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 octobre 2015 modifié par un arrêté du 7 octobre 2016, le préfet de Corse a autorisé la destruction et la transplantation d'espèces protégées, par des mesures de réduction d'impacts et des mesures compensatoires, dans le cadre du projet de la société Engie de réaménagement de la station GPL de Loretto, à Ajaccio. A la suite d'un rapport en manquement administratif de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) du 23 mai 2019, la préfète de Corse, par un arrêté du 30 janvier 2020, a mis en demeure cette société de régulariser sa situation administrative, en délimitant les terrains soumis à mesures compensatoires sur les parcelles cadastrées section CP n° 134 et CR n° 123, lieu-dit A..., sur le territoire de la commune d'Ajaccio, en rétablissant la topographie initiale et la végétation en mosaïque de ce site et en y rétablissant la population de tortues d'Hermann. La société Engie relève appel du jugement du 25 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 30 janvier 2020 de la préfète de Corse.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont suffisamment répondu aux moyens tirés de ce que les prescriptions contenues dans l'arrêté en litige ne constituaient pas des prescriptions nouvelles qui auraient été imposées à la société Engie. En outre, en jugeant que le préfet était en situation de compétence liée pour mettre la société Engie en demeure de se mettre en conformité avec la réglementation du code de l'environnement relative aux espèces protégées en présence d'un rapport de manquement administratif concernant ladite société, le tribunal administratif de Bastia, qui a suffisamment motivé son jugement, a implicitement mais nécessairement estimé que la société Engie avait manqué à ses obligations et écarté les autres moyens comme étant inopérants. Dès lors, la société Engie n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 170-1 du code de l'environnement : " Le présent titre définit les conditions dans lesquelles s'exercent les contrôles des installations, ouvrages, travaux, opérations, objets, dispositifs et activités régis par le présent code ainsi que les sanctions applicables en cas de manquement ou d'infraction aux prescriptions prévues par le présent code. ". L'article L. 171-6 de ce code dispose que : " Lorsqu'un agent chargé du contrôle établit à l'adresse de l'autorité administrative compétente un rapport faisant état de faits contraires aux prescriptions applicables, en vertu du présent code, à une installation, un ouvrage, des travaux, un aménagement, une opération, un objet, un dispositif ou une activité, il en remet une copie à l'intéressé qui peut faire part de ses observations à l'autorité administrative. ". Aux termes de l'article L. 171-8 de ce code : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. En cas d'urgence, elle fixe, par le même acte ou par un acte distinct, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 216-1 du code de l'environnement : " Pour l'application du présent titre, la mise en demeure effectuée en application des articles L. 171-7 et L. 171-8 peut prescrire tous contrôles, expertises ou analyses, les dépenses étant à la charge de l'exploitant ou du propriétaire. Pour l'application du présent titre, les mesures d'exécution d'office prises en application du 2o du II de l'article L. 171-8 peuvent être confiées, avec leur accord, aux personnes mentionnées à l'article L. 211-7-1. ".

5. Il résulte de ces dispositions que lorsque des agents ont constaté l'inobservation de conditions légalement imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d'édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé.

6. Aux termes du 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ". Le I de l'article L. 163-1 du même code énonce que : " Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont les mesures prévues au 2° du II de l'article L. 110-1 et rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d'un projet de travaux ou d'ouvrage ou par la réalisation d'activités ou l'exécution d'un plan, d'un schéma, d'un programme ou d'un autre document de planification. Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n'est pas autorisé en l'état. (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que les arrêtés du préfet de Corse du 24 octobre 2015 et du 7 octobre 2016 prescrivent à la société Engie, au titre de mesures de compensation, la maîtrise foncière et la gestion des espaces naturels favorables à la biodiversité impactés par le projet pour une surface minimum de 20 hectares, l'étude et le suivi des espèces envahissantes sur le site de Loretto, contigu à l'exploitation de la société Engie, sur une surface de 2,1 hectares et l'entretien du milieu en mosaïque, favorable en particulier à la tortue d'Hermann, sur les terrains de compensation pendant 20 ans. Ayant constaté des travaux de déboisement et de débroussaillement sur des parcelles supports de mesures de compensation, en lien avec des travaux réalisés par une agricultrice sur des terrains adjacents, le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement a adressé à la société Engie un rapport de manquement administratif, le 23 mai 2019, pour non-respect des dispositions de l'article L. 163-1 du code de l'environnement et des prescriptions de l'article 3 de l'arrêté du 7 octobre 2016. L'arrêté attaqué du 30 janvier 2020 met en demeure cette société de délimiter des terrains en mesures compensatoires sur ce site, de rétablir la typographie initiale du site ainsi que la végétation en mosaïque et la population de tortues d'Hermann.

8. La société Engie conteste l'existence d'un manquement en faisant valoir qu'elle a respecté l'ensemble des obligations, quantitatives et qualitatives, prescrites par les arrêtés préfectoraux des 24 octobre 2015 et 7 octobre 2016. Toutefois, la circonstance que cette société a alloué une surface de 22, 99 hectares aux mesures de compensation, supérieure à la surface minimale de 20 hectares prévue par l'arrêté du 7 octobre 2016 est sans incidence sur l'existence du manquement qui lui est reproché, résultant du constat de la destruction effective des terrains dont elle assurait la gestion au titre de la compensation. Par ailleurs, les circonstances que l'origine de la destruction est imputable à un tiers, que les terrains de compensation appartiennent à la commune d'Ajaccio, et qu'ils ont fait l'objet d'un conventionnement avec le Conservatoire d'espaces naturels de Corse sont également sans influence sur le manquement constaté, résultant du non-respect de son obligation de gestion de ces terrains, afin d'assurer l'effectivité des mesures de compensation.

9. Enfin, si l'arrêté en litige précise qu'Engie est mise en demeure de délimiter les terrains retenus au titre de mesures compensatoires sur ce site, de rétablir la topographie initiale du site, d'y rétablir la végétation en mosaïque ainsi que la population de tortues d'Hermann, de telles prescriptions n'ont, contrairement à ce que soutient la société Engie, pas eu pour objet ni pour effet de modifier la nature et la portée des obligations lui incombant et résultant de ces mises en demeure mais doivent être regardées comme résultant des conditions initiales posées par l'arrêté du 7 octobre 2016. Dans ces conditions, et dès lors que le rapport en manquement de la DREAL du 23 mai 2019 a été transmis à la préfète de Corse, celle-ci était tenue d'édicter une mise en demeure à l'encontre de la société Engie afin de remédier aux manquements relevés.

10. Ainsi que l'a à bon droit jugé le tribunal, dès lors que la préfète de Corse était en situation de compétence liée, tous les autres vices allégués, de légalité externe ou interne, susceptibles d'affecter l'arrêté litigieux, doivent être écartés comme étant inopérants.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Engie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 30 janvier 2020 de la préfète de Corse.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Engie demande au titre des frais liés à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Engie est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Engie et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 17 février 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 mars 2023.

N° 22MA00886 2

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00886
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : FOLEY HOAG AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-03-03;22ma00886 ?
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