Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Seaworks a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision en date du 20 juin 2019 par laquelle l'établissement public national Grand port maritime de Marseille a rejeté sa demande tendant au règlement de travaux, de condamner le Grand port maritime de Marseille à lui payer la somme de 62 640 euros hors taxes, et d'enjoindre au Grand port maritime de Marseille de lui verser ces sommes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1907502 en date du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné le Grand port maritime de Marseille à payer à la société Seaworks une somme de 49 780 euros et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 mars 2021, et un mémoire récapitulatif enregistré le 10 février 2022, le Grand port maritime de Marseille, représenté par Me Fouilleul, demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes et conclusions présentées par la société Seaworks ;
3°) de mettre à la charge de cette dernière la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la société Seaworks ne peut se prévaloir d'aucune décision implicite d'acceptation de l'acte spécial modificatif de sous-traitance ;
- ne lui étant pas liée par contrat, la société Seaworks ne peut engager sa responsabilité contractuelle ;
- le droit au paiement direct du sous-traitant ne peut excéder les sommes indiquées dans le marché, l'avenant ou l'acte spécial, à l'exclusion de tout complément au titre notamment des travaux supplémentaires ;
- la société Seaworks ne justifie absolument pas de la réalité de travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage ;
- la société Seaworks n'a pas adressé sa demande de paiement direct au groupement titulaire, en méconnaissance de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l'article 136 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;
- il a réglé la somme de 12 860 euros hors taxes à la société Bouygues Travaux publics Régions France (TPRF) ;
- la société Seaworks n'établit ni le caractère supplémentaire des travaux, ni le caractère indispensable de ces travaux ;
- le Grand port maritime, ayant payé la société Bouygues TPRF, ne s'est pas enrichie ;
- la société Seaworks n'établit pas remplir les autres conditions ouvrant droit à une indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2021, la société Seaworks, représentée par la SELARL Noûs Avocats, conclut au rejet de la requête du Grand port maritime de Marseille, à la confirmation du jugement, à ce qu'il soit enjoint au Grand port maritime, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, de lui verser les sommes dues, et de mettre à la charge du Grand port maritime la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Seaworks soutient que :
- les moyens présentés par le Grand port maritime de Marseille à l'appui de sa requête d'appel sont infondés ;
- elle est en droit de demander au maître de l'ouvrage, en raison de l'enrichissement qu'ils lui ont procuré, le paiement direct des travaux qu'elle a effectués et qui ne lui ont pas été réglés par la société Bauland Travaux Publics.
Par une lettre en date du 25 août 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2022, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2022.
Par ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;
- le décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Cournand pour le Grand port maritime de Marseille.
Considérant ce qui suit :
1. Par accord-cadre en date du 7 août 2015, le Grand port maritime de Marseille, établissement public national à caractère industriel et commercial, a confié à un groupement d'entreprises composé des sociétés Bouygues Travaux Publics Régions France, DTP, Bauland Travaux Publics et SPAC un marché de travaux ayant pour objet l'élargissement de la passe nord du port de Marseille. La société Bauland Travaux Publics a sous-traité les travaux subaquatiques à la société Seaworks, que le Grand port maritime a acceptée comme sous-traitante et dont il a agréé les conditions de paiement. Le 26 octobre 2016, la société Bauland Travaux Publics a été placée en liquidation judiciaire. Par un courrier en date du 30 janvier 2017, la société Seaworks a demandé à la société Bouygues Travaux Publics Régions France, mandataire du groupement, d'acquitter une facture d'un montant de 62 640 euros hors taxes émise le 21 octobre 2016. Par un courrier en date du 8 février 2017, la société Bouygues Travaux Publics Régions France a rejeté cette demande. Par un courrier en date du 24 mars 2017, le Grand port maritime de Marseille a à son tour refusé de payer cette somme. La société Seaworks a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation du Grand port maritime à lui payer la somme de 62 640 euros hors taxes. Par le jugement attaqué, dont le Grand port maritime relève appel, le tribunal administratif a fait partiellement droit à cette demande en condamnant le Grand port maritime à payer à la société Seaworks une somme de 49 780 euros hors taxes au titre des travaux supplémentaires réalisés par cette dernière.
Sur le droit au paiement direct prévu par la loi du 31 décembre 1975 :
2. Il résulte de la combinaison de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l'article 116 du code des marchés publics, alors en vigueur, que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché, assortie des pièces justificatives servant de base à ce paiement. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s'il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l'issue de cette procédure, le maître d'ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s'il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement.
3. Si elle affirme avoir envoyé à la société Bauland Travaux Publics une demande de paiement dès le 25 octobre 2016, la société Seaworks n'établit pas avoir adressé à cette occasion à cette dernière les pièces justificatives prévues par les dispositions rappelées au point 2. Par ailleurs, la lettre en date du 7 novembre 2016 par laquelle la société Seaworks a transmis à la société Bouygues Travaux Publics Régions France l'acte spécial modificatif indiquant l'ensemble des prestations à réaliser ne peut être regardée comme de telles pièces justificatives. La société Seaworks n'établit donc pas avoir adressé au groupement titulaire du marché les pièces requises par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1975 avant d'avoir, par courrier du 6 janvier 2017, mis en demeure le Grand port maritime de Marseille de lui régler la facture de 62 640 euros hors taxes. Si elle a, par la suite, adressé le 30 janvier 2017 une nouvelle mise en demeure de paiement à la société Bouygues TPRF et au Grand port maritime de Marseille, cette seconde demande de paiement direct n'avait pas non plus été précédée de l'envoi des pièces justificatives au groupement titulaire du marché. Dans ces conditions, faute d'avoir respecté la procédure instituée par l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 et par l'article 116 du code des marchés publics alors en vigueur, la société Seaworks ne pouvait prétendre au paiement direct ni des prestations prévues par le marché, ni des travaux supplémentaires qu'elle allègue avoir effectués.
4. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés à l'appui de sa requête, le Grand port maritime de Marseille est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a admis que la société Seaworks pouvait se prévaloir du droit au paiement direct du sous-traitant ouvert par la loi du 31 décembre 1975.
Sur l'enrichissement sans cause :
5. Il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande, présentée à titre subsidiaire par la société Seaworks en première instance, et tendant à l'engagement de la responsabilité du Grand port maritime de Marseille au titre de l'enrichissement sans cause.
6. La loi susvisée du 31 décembre 1975 a ouvert aux sous-traitants une voie de droit pour obtenir le paiement direct des prestations réalisées par eux, y compris en cas de défaillance du titulaire du marché. Le sous-traitant qui, faute d'avoir suivi la procédure instituée par l'article 8 de cette loi et par l'article 116 du code des marchés publics, n'a pu bénéficier d'un paiement direct, ne peut dès lors, en tout état de cause, solliciter la rémunération des prestations qu'il a réalisées sur le fondement de l'enrichissement sans cause du maître de l'ouvrage.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le Grand port maritime de Marseille est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a fait partiellement droit aux demandes présentées par la société Seaworks. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par cette dernière doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge du Grand port maritime de Marseille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Seaworks une somme de 2 000 euros à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1907502 du tribunal administratif de Marseille en date du 19 janvier 2021 sont annulés.
Article 2 : Les demandes auxquelles ces articles font droit sont rejetées.
Article 3 : La société Seaworks versera au Grand port maritime de Marseille une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au Grand port maritime de Marseille et à la société Seaworks.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2023, où siégeaient :
- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2023.
N° 21MA00935 2