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12/12/2022 | FRANCE | N°20MA01756

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 12 décembre 2022, 20MA01756


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'université de Toulon a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la SARL Arketype à lui verser la somme de 111 431,62 euros, assortie des intérêts légaux, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, à titre principal, sur le fondement de la garantie des vices cachés et à titre subsidiaire, sur le fondement contractuel, suite à l'acquisition d'une machine neuve de découpe/gravure " Laser Yag ".

Par un jugement n° 1702128 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de

Toulon a condamné la SARL Arketype à lui verser la somme de 84 446,16 euros, asso...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'université de Toulon a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la SARL Arketype à lui verser la somme de 111 431,62 euros, assortie des intérêts légaux, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, à titre principal, sur le fondement de la garantie des vices cachés et à titre subsidiaire, sur le fondement contractuel, suite à l'acquisition d'une machine neuve de découpe/gravure " Laser Yag ".

Par un jugement n° 1702128 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Toulon a condamné la SARL Arketype à lui verser la somme de 84 446,16 euros, assortie des intérêts à compter du 12 juillet 2017.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 mai 2020 et le 1er mars 2022, la SARL Arketype, représentée par Me Reina, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 5 mars 2020 ;

2°) de rejeter la demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 3 000 euros, dans le dernier état de ses écritures, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes de l'université tendant au versement d'une somme de 30 000 euros au titre du trouble de jouissance et de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- le tribunal s'est fondé sur des rapports d'expertise qui n'ont pas été établis contradictoirement ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'université de Toulon n'avait pas la qualité d'acheteur professionnel ;

- la non-conformité de la machine n'a pas été établie par un rapport d'expertise contradictoire et la SARL n'a ainsi pas été mise à même d'apprécier si les vices reprochés entraient dans le champ de l'article 1641 du code civil, alors notamment que l'université lui a refusé l'accès à cette machine pour son examen ;

- les vices étaient apparents et l'université a délivré un procès-verbal d'admission le 22 janvier 2015, soit plus de trois mois après la livraison de la machine, ce qui lui a laissé le temps d'effectuer les vérifications nécessaires en application de l'article 5.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ; et l'université n'ignorait pas que cette machine n'avait jamais été commercialisée alors notamment qu'elle a bénéficié d'une remise commerciale pour ce motif ;

- la restitution du prix doit s'accompagner de la restitution de la chose en application de l'article 1644 du code civil ;

- l'appel incident de la SARL Arketype fondé sur sa responsabilité contractuelle n'est pas fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2022, l'université de Toulon, représentée par la SCP Borel et Del Prete, conclut à titre principal à la confirmation du jugement, en tant qu'il condamne la SARL Arketype à lui verser la somme de 84 446,16 euros. A titre subsidiaire, elle demande à la Cour de condamner la société Arketype à lui verser la somme de 124 446,16 euros toutes taxes comprises en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts légaux, outre la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité de la SARL Arketype sur le fondement des vices cachés et l'a condamnée à lui verser la somme de 84 446,16 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts légaux à compter du 12 juillet 2017 ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité contractuelle de la SARL Arketype pourra être engagée sur le fondement des articles 1604 et suivants du code civil alors qu'elle a livré un équipement qui n'est pas conforme à sa destination en méconnaissance des stipulations des articles 2.1 et 3.1 du cahier des clauses particulières du marché.

Par ordonnance du 2 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 4 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Dech, représentant la SARL Arketype, et de Me Del Prete, représentant l'université de Toulon.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un marché de fournitures à procédure adaptée, signé le 16 juillet 2014 avec la SARL Arketype, l'université de Toulon a acquis une machine de découpe, gravure, laser, de marque " Laser Yag " pour les enseignants et les élèves de son département de génie mécanique et productique. La société Arketype relève appel du jugement du 5 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée, sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1641 à 1648 du code civil, à verser à l'université une somme de 84 446,16 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2017, en réparation des préjudices subis, l'équipement acquis n'étant pas, selon le tribunal, conforme aux normes de sécurité. L'université de Toulon demande, à titre principal, le rejet de la requête. Et à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident, l'université conteste le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes et demande la condamnation de la SARL Arketype à lui verser la somme de 124 446,16 euros toutes taxes comprises en réparation de ses préjudices.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, le moyen selon lequel le jugement serait insuffisamment motivé doit être écarté, dès lors que ses motifs permettaient de comprendre les raisons pour lesquelles le tribunal a condamné la société Arketype à la réparation des différents préjudices subis par l'université.

3. D'autre part, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

4. La circonstance que les rapports Qualiconsult du 15 juillet 2015 et Pyla du 22 juillet 2015, versés au dossier par l'université, n'aient pas été élaborés de façon contradictoire, mais ont été soumis au débat contentieux dans le cadre de la première instance, ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal en utilise les éléments de fait non contestés, ces rapports constituant néanmoins des pièces du dossier qui ne peuvent être écartées de son instruction. Par suite, alors que la non-conformité de l'équipement litigieux constatée par ces deux rapports n'était pas remise en cause par la société Arketype en première instance, comme souligné au point 3 du jugement, les premiers juges ont pu, sans entacher leur jugement d'irrégularité, se fonder sur ces éléments de fait non contestés de ces rapports.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'appel principal :

5. Aux termes de l'article 1641 du code civil : " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ". Et selon l'article 1642 du même code : " Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. ". Enfin, l'article 1648 du même code précise que : " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. ". Les règles résultant de ces dispositions sont applicables à un marché public de fournitures.

6. En premier lieu, le seul fait que l'université ait été assistée de son département de génie mécanique lors de l'acquisition du matériel litigieux ne suffit pas à lui conférer la qualité de professionnel. Et contrairement à ce que soutient la société Arketype, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du cahier des clauses particulières valant acte d'engagement que l'université s'était engagée à fournir un accompagnement technique dans les recherches de la société Arketype pour la construction de cette machine, qui devait, selon ce même acte, présenter une taille limitée mais des performances industrielles. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que l'université, qui n'a pas la compétence d'un fabriquant spécialisé, avait la qualité de professionnel et ne pouvait à ce titre ignorer les vices de l'équipement acquis, et ce, alors même qu'elle était assistée par son département de génie mécanique.

7. En deuxième lieu, la société Arketype, qui ne contestait pas en première instance la non-conformité de la machine, ne la conteste pas sérieusement en appel en se bornant à relever le caractère non contradictoire des deux rapports établis les 15 et 22 juillet 2015 évoqués au point 4 et le fait que l'accès à la machine lui aurait été refusé, alors notamment qu'il résulte de l'instruction que, lors de la réunion du 2 novembre 2015 visant précisément à une mise aux normes de la machine, le manager de la SARL Arketype a explicitement reconnu la non-conformité de la machine et a indiqué qu'il n'entendait pas discuter ce point.

8. En troisième lieu, la société Arketype n'est pas fondée à soutenir que les vices étaient apparents en se prévalant du procès-verbal d'admission établi le 22 janvier 2015, trois mois après la livraison de la machine, alors qu'il résulte de l'instruction que seule l'expertise du bureau d'étude Qualiconsult du 15 juillet 2015, et celle du bureau d'étude Pyla du 22 juillet 2015, déjà évoquées aux points 4 et 7, ont permis de constater l'existence, l'étendue et la gravité des vices de sécurité affectant cet équipement. Les circonstances qu'une remise verbale de 20 % aurait été consentie sur le prix du marché, ou que l'université aurait été informée que ce type de machine n'avait jamais été commercialisé, ce qui au demeurant n'est pas établi, ne sont pas, à elles seules, de nature à révéler que l'établissement public avait nécessairement connaissance de ces vices. Et il résulte de l'instruction que la mise aux normes de l'appareil n'a pas été possible techniquement, la société requérante ne contestant d'ailleurs pas que les vices en cause rendaient la chose vendue, impropre à sa destination. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif de Toulon a considéré qu'il y avait lieu de retenir la responsabilité de la société Arketype sur le fondement de la garantie des vices cachés par le vendeur, qui a agi dans le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du code civil cité au point 5.

9. En quatrième lieu, l'article 1644 du code civil précise que : " Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix. ". L'action rédhibitoire de l'université de Toulon étant fondée, il y a donc lieu de condamner la société Arketype à lui verser la somme de 70 480,80 euros toutes taxes comprises en restitution du prix de vente, sous réserve de la restitution au vendeur de la machine défectueuse.

10. En cinquième et dernier lieu, l'article 1645 du code civil dispose que : " Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. ". Et selon l'article 1646 du code civil : " Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. ". Il résulte des dispositions de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant.

11. La société requérante ne conteste ni sa qualité de professionnelle, ni le bien-fondé des sommes de 4 560 euros toutes taxes comprises correspondant aux frais de vérification de la conformité, de 3 046,43 euros toutes taxes comprises correspondant aux frais de traduction du manuel d'utilisation de la machine et de 6 358,93 euros toutes taxes comprises correspondant aux frais d'installation de la ligne gaz pour l'alimentation en oxygène de la machine, l'ensemble de ces sommes ayant été accordées à l'université en réparation des préjudices subis par le juge de première instance. De telles sommes pouvaient être mises à la charge de la société Arketype qui était tenue, en application de l'article 1645 du code civil en sa qualité de professionnelle, outre à la restitution du prix, à la réparation de tous dommages et intérêts envers l'acheteur.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Arketype n'est pas fondée à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à verser à l'université de Toulon une somme totale de 84 446,16 euros assortie des intérêts légaux à compter du 12 juillet 2017.

En ce qui concerne l'appel incident :

13. L'université demande à titre principal le rejet de la requête. La requête d'appel étant rejetée, ainsi qu'il a été dit au point précédent, il n'y a donc pas lieu d'examiner les conclusions d'appel incident formées, à titre subsidiaire, par l'université.

Sur les frais de l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'université de Toulon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Arketype une somme de 2 000 euros à verser à l'université de Toulon sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Arketype est rejetée.

Article 2 : La SARL Arketype versera à l'université de Toulon une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Arketype et à l'université de Toulon.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2022.

N° 20MA0175602


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01756
Date de la décision : 12/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés - Mauvaise exécution.

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise - Caractère contradictoire de l'expertise.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SELARL PLANTAVIN - REINA ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-12-12;20ma01756 ?
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